logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Création d’activité : le rêve brisé des chômeurs de la Nièvre

Décodages | publié le : 03.11.2015 | Lucie Tanneau

Image

Création d’activité : le rêve brisé des chômeurs de la Nièvre

Crédit photo Lucie Tanneau

L’association Récoltes a créé en deux ans 30 CDI en pluriactivité, grâce à des aides au retour à l’emploi. Mais elle s’est heurtée à des difficultés financières. Le projet a inspiré ATD Quart Monde, qui milite pour l’expérimentation de « Territoires zéro chômeur longue durée », avec le soutien de députés.

En septembre, Jessy Rabereau était encore en train de repeindre des portes dans des appartements d’un bailleur social de la Nièvre. De l’autre côté du couloir, Patricia et Amélie décollaient du papier peint. Tous pouvaient être magasinier un jour, ouvrier viticole le lendemain, plaquiste le jour suivant. Ajoutées les unes aux autres, ces activités offraient un CDI à ces anciens chômeurs. Pour certains, le premier de leur vie. Leur employeur ? Récoltes, association créée dans ce département en 2012. « Notre territoire a perdu plus de 10 % d’emplois salariés depuis 2008 », explique Jean Rouffiac qui, aidé d’un conseiller départemental, est à l’origine du projet. Le but de cet ancien salarié d’une régie de quartier ? Recréer de l’emploi sur le bassin de vie à partir d’activités multiples, non pourvues, « sans taper dans la gamelle des autres ». Des emplois durables, en CDI et à temps choisi.

L’aventure commence à Clamecy, La Charité-sur-Loire et Cosne-sur-Loire, avec une idée : utiliser les dispositifs d’aide au retour à l’emploi – contrat d’accompagnement à l’emploi, emplois d’avenir… – pour capter des activités saisonnières. Cet été, les 30 salariés travaillaient pour 70 donneurs d’ordre, pour l’essentiel des bailleurs sociaux, des organismes de tutelle, des communes et des communautés de communes. En 2014, Récoltes a vendu pour 320 000 euros de prestations. De quoi contribuer à financer des salaires de 1 200 à 2 400 euros, selon les compétences. La mairie de La Charité-sur-Loire, par exemple, avait confié à l’association des travaux de nettoyage de l’espace public et des berges de Loire. « On sollicite des sociétés classiques de prestation de services mais on a aussi fait appel à Récoltes », résume Gérard Voisine, premier adjoint au maire. Pas simple. En conseil municipal, il a d’abord fallu surmonter la peur de faire travailler des chômeurs de longue durée, voire des SDF.

Gâchis et grosse épine.

Récoltes, qui s’investit pour faire revivre le territoire, n’est pas partout prise au sérieux. À mi-chemin entre chantier d’insertion et entreprise privée, l’association tente d’atteindre une rentabilité presque classique. Mais certains donneurs d’ordre ne paient pas leurs factures et les subventions encaissées (52 000 euros) s’avèrent trois fois moins importantes que celles espérées. De quoi fragiliser gravement la structure. Cet été, un plan de retour à l’équilibre est mis en place, la Mutualité sociale agricole acceptant d’échelonner le paiement des cotisations sociales dues. Le conseil départemental de la Nièvre est aussi appelé à la rescousse. Mais le prêt de 50 000 euros, prévu, n’est finalement pas voté. Résultat, avec une dette dépassant les 200 000 euros fin 2014, Récoltes est mise en liquidation judiciaire début octobre. Et les 30 salariés licenciés en fin de mois.

Un « gâchis » pour les instigateurs qui espéraient engranger 150 000 euros de chiffre d’affaires l’an prochain. Et une grosse épine dans le pied d’ATD Quart Monde, qui milite pour la mise en place d’une expérimentation de « territoires zéro chômeurs longue durée ». Inspiré de l’expérience de Récoltes, le projet de l’ONG vise à faire transférer les fonds alloués pour l’accompagnement du chômage de longue durée – soit 17 500 euros par an et par demandeur d’emploi longue durée – à des entreprises offrant, en échange, des CDI à temps choisi, payés au smic pour effectuer des travaux utiles mais délaissés. « Refaire des chemins de randonnée, porter des courses pour les seniors, entretenir l’espace public… », détaille René Faust, maire de Champlemy, membre de la communauté de communes Entre Nièvre et forêts, candidate pour devenir, à titre expérimental, un des « territoires zéro chômeur longue durée ». « L’Assemblée nationale doit donner le feu vert en novembre, nous sommes prêts », poursuit-il (voir page 11). Les 300 demandeurs d’emploi de son bassin de vie aussi.

Perspectives nulles.

Les ex-salariés de Récoltes, eux, sont amers. « Nous pensons que le modèle économique que nous avons créé peut fonctionner, si chacun fait ce qu’il dit », ont-ils écrit dans un communiqué envoyé avant un rassemblement, début octobre, devant la mairie de Varzy. Une commune pour laquelle ils ont travaillé sur un projet de vélorail touristique, dont la facture de 20 000 euros n’a pas été réglée. Aux élus et à la population, ils demandent « une attitude bienveillante vis-à-vis de ceux qui veulent un emploi ». « 64 % de Français pensent que les gens qui sont au chômage trouveraient un travail s’ils le cherchaient vraiment. Ici, c’est pareil, on dit que l’emploi est une priorité, mais on n’encourage pas ceux qui essaient de recréer vraiment de l’activité et de permettre aux demandeurs d’emploi de se remettre au travail », commente Jean Rouffiac.

Pourtant, depuis deux ans, les salariés avaient commencé à « y croire ». En septembre, le webmaster de Récoltes racontait sa « chance ». « J’ai un BTS de gestion des entreprises mais, pendant deux ans, je n’ai pas trouvé de travail. Au chômage, on perd confiance. J’étais bloqué, je me sentais inutile. » Depuis son arrivée dans l’association, le jeune homme avait mené des projets, les avait présentés aux élus et s’était investi à fond. Il avait aussi monté une autoentreprise de création de sites Web. Mais pour lui comme pour les autres, la liquidation judiciaire sonne le retour à la case chômage, dans un bassin où 12 % de la population se trouvent déjà sans emploi, où les perspectives sont quasi nulles. Tous pourtant pensent déjà à rebondir, « pour que cette expérience ne serve pas à rien ». Les instigateurs, eux, se sont déjà remis au travail, avec des économistes et des sociologues, pour analyser les raisons de l’échec. Et mieux repartir.

Auteur

  • Lucie Tanneau