logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

À la une

Une mobilité à reculons

À la une | publié le : 03.11.2015 |

Image

Une mobilité à reculons

Crédit photo

Les salariés français apprécient la mobilité… tant qu’elle ne les concerne pas ! Il faut qu’ils soient au pied du mur pour s’y résoudre.

58 % perçoivent le changement de métier ou d’entreprise comme une opportunité, plutôt qu’un risque ou une nécessité

Les Français se seraient-ils convertis au slogan de campagne de François Hollande, « le changement, c’est maintenant » ? Eux qu’on croyait rivés à leur confortable fauteuil de bureau sont, au moins dans les intentions et les discours, prêts à le quitter. Les mentalités seraient donc en train d’évoluer. « Les salariés ne sont pas si accrochés à leur CDI qu’on le dit, relève Mercedes Erra, communicante et fondatrice de l’agence BETC. Ils sont dans le “pourquoi pas”. »

La mobilité est perçue comme un accélérateur de carrière : 76 % estiment que changer régulièrement de poste et de métier favorise l’employabilité. Les jeunes, surtout, ont compris que se sédentariser pouvait jouer contre eux. « Nous avons une mobilité à la française comme nous avons une flexibilité à la française, analyse Gérard Taponat, ex-DRH de Manpower et responsable du master en négociations et relations sociales de l’université Paris-Dauphine. On ne bouge pas pour bouger comme aux États-Unis, il faut qu’il y ait un sens derrière et une sécurisation. Depuis 2008, les Français ont compris que nous n’avions pas simplement essuyé la crise des subprimes, mais que nous vivions une profonde mutation impliquant de s’autogérer. »

L’âge et le niveau de qualification peuvent être discriminants. Ce sont ainsi les mieux armés qui se disent les plus disposés à tenter l’aventure. Si 64 % des cadres estiment opportun de bifurquer professionnellement, ils ne sont que 56 % des ouvriers à le penser. Et 51 % des seniors. Ceux-là même qui éprouvent le plus de difficultés à se reclasser…

65 % estiment aujourd’hui trop risqué de changer de métier ou d’entreprise

Un pas en avant, un pas en arrière… Le rapport à la mobilité est ambivalent. Ce serait une obligation dans la carrière ? Certes, mais si on peut s’en passer, ce n’est pas plus mal. Plus qu’acteur, le salarié a tendance à subir ses rebonds. Ainsi, 80 % seraient prêts à changer de métier en cas de menace sur leur poste. « Avec la crise, les gens savent que plus rien ne sera comme avant, observe Mercedes Erra. Ces images de réfugiés qui s’exilent pour s’offrir une vie meilleure nous habituent à la nécessité de prendre son destin en main. » Le salarié apparaît schizophrène, entre souci d’évolution et désir de protection. « Nous sommes dans une culture de la raison, poursuit la publicitaire. Que ce soit à l’école ou au travail, l’échec est vécu comme sur-traumatisant. »

L’absence de perspectives rend prudent. « Les PSE se multiplient et, avec la digitalisation, près d’un métier sur deux va disparaître, rappelle Sandrine Gineste de BPI Group. Quelle voie professionnelle choisir ? Existera-t-elle encore demain ? Tant que son poste tient, on s’accroche. » En quittant leur situation, les salariés savent ce qu’ils perdent, jamais ce qu’ils gagnent. Et cette inquiétude est plus forte encore pour ceux qui se savent dans un environnement fragile.

Ainsi, 67 % des ouvriers et 69 % des employés trouvent risqué d’aller voir ailleurs, contre 57 % des cadres. « Ce sont les moins formés, les moins à même d’affronter les difficultés du monde moderne, ceux qui tirent le moins d’espoir vis-à-vis de ce que les entreprises peuvent leur apporter. Pour ces perdants de la mondialisation, c’est no hope, observe le sociologue François Dupuy. Pas étonnant qu’ils soient les plus tentés par le vote extrême, le seul qui puisse, à leurs yeux, conduire à leur prise en considération. »

69 % des salariés ont exercé un autre métier au cours de leur carrière

Les Français ne sont pas des zappeurs. Si sept sur dix ont exercé un autre métier au cours de leur carrière, ils se montrent relativement fidèles. 60 % sont dans la même entreprise depuis plus de cinq ans et 71 % dans le même emploi. Et rien de neuf à l’horizon ! 72 % s’imaginent dans un poste identique cinq ans plus tard. « On grandit dans son métier. Y toucher, c’est heurter son identité », explique Sandrine Gineste. Ceux qui changent le plus d’employeur sont finalement les ouvriers. Symptomatique des charrettes qui les ont emportés avec la désindustrialisation.

Les cols bleus ont ainsi connu 4,9 entreprises contre 3,1 pour les cadres. Ils ont dû se reconvertir 2,7 fois, contre deux fois pour les cols blancs. Leur propension à évoluer en interne est en même temps plus limitée que celle des catégories plus élevées : 1,7 changement de poste au sein de la même entreprise en moyenne, contre 2,7 pour les managers.

Quand on y a goûté, la mobilité est néanmoins appréciée : 92 % en tirent un bilan positif. Elle peut notamment favoriser l’accès à la stabilité : 40 % ont ainsi obtenu un CDI dans leur nouvel emploi. « La mobilité ne dégrade pas les situations professionnelles, elle les améliore plutôt, assure la consultante de BPI. Elle permet aux contrats courts d’espérer sortir de la précarité et aux CDI de le conserver. »

39 % ont éprouvé des difficultés pour évoluer dans un autre univers professionnel

Si la mobilité effraie, c’est parce qu’elle n’est pas aisée. Parmi les salariés ayant bougé, plus d’un tiers a eu du mal à s’adapter à ses nouvelles fonctions. En cause ? L’apprentissage de la nouveauté, le manque d’expérience et une culture d’entreprise qui n’est plus la même. Redémarrer à zéro suppose de se remettre en cause. Et d’être accompagné. Typiquement frenchy. « Dans les pays avec des avantages acquis très importants, on crée des phénomènes contradictoires entre peur de la perte d’un certain confort d’un côté, et désir de changement de l’autre », remarque la patronne de BETC.

La flexisécurité à la française doit donc s’attacher à permettre des rebonds en douceur. Certains dispositifs publics comme la mobilité sécurisée répondent bien à cette attente. Mais très rares sont ceux à en avoir entendu parler. Insuffisamment armés, les salariés regrettent de ne pas avoir été préparés à changer de trajectoire par leur entreprise. Comme si la mobilité, loin d’être seulement une affaire personnelle, concernait aussi directement leur employeur.

Ainsi, 36 % souhaiteraient décrocher une formation intégralement financée. Et 72 % s’avouent prêts à prendre la tangente ou à changer de voie à condition qu’une prime leur soit versée. « Si l’entreprise était un peu plus courageuse pour anticiper l’évolution de ses métiers et accompagner ses salariés dans leur reconversion professionnelle, la mobilité s’en trouverait fluidifiée », analyse Sandrine Gineste. Selon une étude LinkedIn de 2014, la moitié des entreprises ignorerait l’étendue des compétences de son personnel. Plutôt ennuyeux…

91 % estiment que c’est à l’entreprise de les aider à développer leur potentiel, via la formation professionnelle.

C’est un peu comme si tout ce que l’état et les services RH mettaient en place n’existait pas ou était illisible. 83 % des sondés aimeraient que les entreprises encouragent davantage la mobilité interne ? Pourtant, c’est ce qu’elles prétendent faire. 75 % réclament un conseil en évolution professionnelle ? Il a été mis en place par le législateur début janvier, dans l’indifférence la plus totale. Plan de formation, compte personnel de formation, congé individuel de formation, université d’entreprise… Cette batterie d’outils, qui vient renforcer les injonctions au mouvement, ne comblent pas les attentes des salariés, insatisfaites. « Les discours abstraits des entreprises ne correspondent pas à leur vécu », souligne le sociologue François Dupuy.

« Aujourd’hui, ce sont les salariés qui poussent à la roue, alors que c’est le rôle des RH ! s’insurge Gérard Taponat. Dans une logique quantitative, on fractionne les formations au lieu de miser sur la durée. » L’ancien DRH de SFR et Manpower milite pour la création de centres d’information professionnelle au sein des entreprises. Des lieux où, à l’image des centres d’orientation pour collégiens et lycéens, les salariés pourraient se renseigner sur les parcours d’évolution possibles en interne, mais aussi en externe. « La simplification voulue par la loi sur la formation professionnelle n’est pas au rendez-vous », déplore-t-il. S’y ajoutent les défaillances des accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, qui visent davantage à gérer les sureffectifs qu’à préparer les troupes aux métiers de demain. De quoi expliquer le désarroi des salariés quand il s’agit de mettre le nez à la fenêtre.

27 % redoutent en premier lieu une baisse de leur rémunération

Pour l’argent, on met le pied sur l’accélérateur. Ou au contraire un gros coup de frein ! Même si le désir de se réaliser dans un autre job ou un univers différent est présent, la crainte de gagner moins refroidit les ardeurs à aller voir ailleurs. Plus que la peur de l’inconnu. « Les salaires ne sont pas très élevés en France à cause du poids des amortisseurs sociaux », justifie Sandrine Gineste. Pour tous, la feuille de paie doit inexorablement gonfler avec les années. « Il n’y a que les riches pour qui ça n’est pas une préoccupation ! raille Mercedes Erra. Je le dis à mes salariés : ne partez pas pour moins, sauf pour vivre une aventure entrepreneuriale. Car derrière le salaire se cache un autre enjeu : celui de sa propre valeur et de la façon dont l’entreprise va vous considérer. » Les femmes, moins gourmandes, sont 45 % à redouter de perdre en salaire, contre 49 % des hommes. « Elles perçoivent encore leur travail comme un salaire d’appoint », note la publicitaire.

Autre sacrifice difficile à envisager : le déménagement. 69 % préfèrent encore changer de métier plutôt que de région. Un vrai casse-tête en cas de restructuration. Et un obstacle à la fluidité du marché du travail. « Une offre valable d’emploi, c’est 50 kilomètres autour de l’entreprise. Beaucoup préfèrent être licenciés plutôt que d’accepter un job trop loin, insiste Sandrine Gineste, de BPI. Le poste logement pèse lourd dans le budget des ménages. La famille, la garde des enfants… Tout concourt à rester chez soi. »

Nos experts
Mercedes Erra Fondatrice de l’agence de publicité BETC Gérard Taponat DRH et professeur à Paris-Dauphine Sandrine Gineste Directrice de mission chez BPI Group François Dupuy Sociologue, spécialiste des organisations

2,2 C’est le nombre de changements de métier dans une vie professionnelle

45 % sont favorables à une mobilité obligatoire tous les cinq ans.

Les ratés de la mobilité sécurisée

Le législateur ne ménage pas sa peine. Pour développer la mobilité, il a instauré deux dispositifs majeurs : la mise à disposition temporaire de salariés, (loi Cherpion de 2011) et la MVS, mobilité volontaire sécurisée (loi de juin 2013). Celle-ci, issue de l’accord interprofessionnel sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi du 11 janvier 2013, concerne les salariés des entreprises de plus de 300 personnes désirant travailler chez un autre employeur avec une assurance de retrouver leur poste en cas d’échec. Un cadre clair et bien bordé, pour des salariés qui doivent en être à l’initiative. Sur le papier, il s’agit d’un bel outil. Sauf que… la MVS reste très confidentielle. Si peu utilisée qu’aucune évaluation officielle n’existe. La cause ? Ni incitation financière ni accompagnement ne sont prévus. L’expérience de Renault est, à ce titre, éclairante.Car le constructeur a intégré un dispositif de ce genre à son accord GPEC dès 2011. Il prévoit la suspension du contrat de travail avec possibilité de retour dans les dix-huit mois. Mais aussi une incitation financière – de six à douze mois de salaire – pour compenser une éventuelle perte de revenu. En 2013, l’accord compétitivité renforce les actions du groupe : publication d’offres d’emploi externes, organisation de forums de recrutement sur les sites. En 2012, 220 départs sont enregistrés via la mobilité sécurisée. Dès l’année suivante, ce sont 450 salariés qui l’utilisent. « Pour que les gens bougent, le management est essentiel. Cette mobilité externe doit être accompagnée par l’entreprise », explique Didier Réthoré, chef du service emploi, formation et compétences à la DRH de Renault France. Il conclut : « La sécurisation est nécessaire mais pas suffisante. » Une évidence oubliée par le législateur. M. J.

Chez Renault, 450 salariés ont changé d’employeur en 2013.