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Le bureau du futur, partout et nulle part

Dossier | publié le : 03.10.2015 | Valérie Auribault, Emmanuelle Souffi

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Le bureau du futur, partout et nulle part

Crédit photo Valérie Auribault, Emmanuelle Souffi

Fini, le bureau individuel de 12 mètres carrés ! Éclatés et décloisonnés, les espaces de travail succombent à la mode du partage. Et se transforment sous l’impact des nouvelles technologies. Plongée dans les locaux de demain.

Jacques Tati les imaginait sous forme de petites boites dans une grande boite aux allures de fourmilière. Las – ou heureusement –, les bureaux de demain n’auront rien à voir avec ceux de Playtime ! Décloisonnés et ouverts sur l’extérieur, ils seront conviviaux, chaleureux, flexibles et modulables. Une révolution spatiale, permise par les technologies numériques, qui répond à de nouvelles façons de bosser.

Certaines entreprises pionnières déclinent très loin cet autre rapport au travail. Fini, alors, les tours d’ivoire impersonnelles avec leurs longs corridors à la Shinning – ces fameux « couloirs de la mort » décrits par les salariés. Place au fun factor, concept inspiré des start-up californiennes de la Silicon Valley, qui offrent des endroits où il fait bon réfléchir, lové dans un hamac, un canapé, une méridienne ou même une balançoire ! L’architecte Xavier Bouffart, qui a conçu les sièges sociaux d’Adeo (la holding de Leroy Merlin) et de Bayer Schering Pharma, parle de « happy zoning ». « Pour des surfaces moins grandes, les entreprises offriront plus de flexibilité et de confort. Des lieux pour mieux travailler ensemble, à la fois collaboratifs grâce au coworking et sources d’échanges informels, mais aussi d’autres de repli, pour souffler, reprendre le contrôle sur sa temporalité et son territoire », explique-t-il. Il ne faut pas pour autant généraliser : toutes les entreprises françaises ne vont pas transformer leurs locaux pour suivre la tendance. Le phénomène, déjà enclenché, touche essentiellement les sièges sociaux des groupes et de petites structures du conseil, de la finance, du numérique ou de la communication. Bref, des vitrines, dotées de capacités financières.

Ces précautions prises, rêvons un peu. Hier composé d’une vulgaire table placée à 79 centimètres du sol et d’un fauteuil à roulettes pas très élégant, le bureau de demain se pare d’humanité. « Il devient un lieu de vie hybride, qui évolue au fil de la journée, en fonction des envies, des humeurs, des tâches à effectuer », égrène Flore Pradère-Saulnier, responsable de la recherche sur les entreprises chez le space planner Jones Lang LaSalle (JLL).

Illustration au WorkCafé du fabricant de mobilier Steelcase, à Paris : tables hautes et basses, fauteuils colorés et canapés y accueillent depuis le printemps les commerciaux qui souhaitent se concentrer dans une atmosphère autre que celle de l’open space situé à l’étage. Dans la cuisine attenante, on prend un café ou on tient un brief imprévu. Partout, le wifi règne en maître sur l’air du « je me connecte où je veux ».

Entre deux rendez-vous et réunions, le directeur général, qui n’a plus de bureau personnel, y consulte ses e-mails ou téléphone. « Starbucks a été une source d’inspiration, confie Catherine Gall, chercheuse chez Steelcase. Une journée se constitue d’une multitude de positions, d’attitudes : de biais au téléphone, tourné pour parler à un collègue, jambes repliées, légèrement affalé pour lire un document. Comme les activités purement administratives ont été délocalisées, rares sont ceux qui s’assoient le matin pour ne plus bouger ensuite. Le bureau est désormais un ensemble de lieux indépendants et connectés permettant de travailler partout. »

Nomadisme pour tous

La liberté : voilà donc le nouveau leitmotiv du salarié du XXIe siècle ! « Les jeunes générations ne veulent pas être cloisonnées, enfermées dans des codes qui appartiennent au passé, remarque Isabelle de Ponfilly, directrice générale de Vitra, le fabricant suisse de mobilier. Le bureau de demain, c’est là où on a envie qu’il soit. » Logique, vu qu’avec les nouvelles technologies, téléphone sur IP, smartphones et autres « iMachins », nous sommes de plus en plus mobiles. « Les salariés se baladent partout, on peut être à la fois ici et ailleurs », observe Alain d’Iribarne, directeur de recherche au CNRS et président du comité scientifique d’Actineo, l’observatoire de la qualité de vie au bureau.

Résultat, « aller au bureau » ne veut plus rien dire. Et le « travail » représente davantage un ensemble de tâches qu’on exécute qu’un endroit où l’on se rend tous les matins. On peut désormais être actif chez soi, dans les transports, à la mer ou dans un parc ! Dans les services, le nomadisme touche toutes les fonctions. La preuve : en Île-de-France, qui concentre la majeure partie des tours de bureaux, le taux d’occupation dépasse à peine les 60 %. Ces mètres carrés non utilisés constituent un véritable gâchis pour des sociétés en quête de rentabilité. L’immobilier, deuxième poste de dépenses après la masse salariale, apparaît alors comme un levier d’économies à enclencher. Voilà pourquoi le fameux bureau individuel fermé, qui, déjà, se raréfiait, est voué à disparaître, au profit d’espaces collectifs et collaboratifs. « Nous assistons à une déconstruction totale du modèle standard au profit d’une organisation en réseau. C’est l’entreprise élargie », résume Alain d’Iribarne.

Sans bureau fixe

L’économie du partage ne révolutionne pas seulement le capitalisme. Mais aussi notre manière d’être au bureau. « La société est passée d’une logique de propriété à une logique d’usage. À terme, ce sera la même chose dans le travail », affirme Flore Pradère-Saulnier, de JLL. Le desk sharing ou le free seating, popularisés par Arthur Andersen dans les années 90, essaiment un peu partout, généralement à la faveur d’un déménagement. Siemens, Swiss Life, Sanofi Aventis, Crédit agricole ont adopté le « sans bureau fixe », où chacun se branche où il veut – ou peut ! – selon la règle du « premier arrivé, premier servi ». Le soir, tout le monde est prié de ranger ses petites affaires dans des box.

C’est le clean desk. Les sédentaires y échappent encore. Mais demain ? Au siège d’Accenture, il ne reste plus que 750 postes pour 3 000 collaborateurs. Hier austères et impersonnels, les bench – ces grandes tablées partagées – y adoptent des lignes plus douces et fonctionnelles. Les frères Bouroullec les ont conçus en pensant à la mère de famille qui prépare à manger sur la table commune tout en papotant avec ses enfants qui font leurs devoirs. Conséquence, les équipes et les métiers se mélangent là où, avant, ils ne se côtoyaient pas. « C’est source de créativité », assure la patronne de Vitra. À l’avenir, ces bancs seront davantage connectés encore, et équipés de roulettes pour être déplacés en fonction des besoins…

Pendant de ces espaces où être côte à côte peut nuire à la confidentialité et à la concentration, des silent zones ceinturent les open spaces, comme des bulles de décompression. Le fabricant Vitra s’en est fait une spécialité. Ses alcôves au design ultra chic habillent le restaurant d’entreprise du campus du Crédit agricole, à Montrouge, dans les Hauts-de-Seine (voir page 56). Mondadori les a aussi adoptées. Débattre sur un canapé plutôt qu’autour d’une table, éplucher un dossier allongé sur des coussins…

Tous à la même enseigne

Puisque vie privée et vie professionnelle se mélangent, pas étonnant que bureau et maison se confondent. L’esprit « comme chez soi » infuse pour allier détente et performance. « Quand on était petit, on faisait nos devoirs assis à table. La génération suivante est vautrée par terre. Elle veut pouvoir faire pareil au bureau », remarque Élisabeth Pelegrin-Genel, architecte et auteur de Comment (se) sauver (de) l’open space (éditions Parenthèses). Choisir d’être à l’horizontale, mais aussi à la verticale, comme accoudé à un comptoir de bar ! Encore marginal, le stand working pourrait se développer. Grâce à des systèmes de vérins qui permettent de régler la hauteur des tables. Idéal pour le corps ! « Au Danemark, une loi oblige les employeurs à équiper leurs salariés de bureau assis-debout, révèle Adriana Charles, cogérante de bureauassisdebout.com. Le but, c’est d’alterner les positions. Ce qui réduit les problèmes de dos, les pathologies liées à la sédentarité et améliore la circulation veineuse. » Certains vont même jusqu’à… ajouter un tapis roulant dessous !

Le nouveau bureau rime aussi avec repos. Papier peint, coussins et lampes de chevet créent un nid douillet. « Les accessoires stimulent la créativité et la motivation, assure Isabelle de Ponfilly, de Vitra. Les salariés y voient une marque d’attention. » Pour égayer les futurs locaux du siège de Leroy Merlin France, dans le Nord, des ateliers offrent une seconde vie aux meubles récupérés et retapés par les plus bricoleurs. Sur la « place de village », les espaces collectifs de travail côtoient des aires de détente avec poufs et chaises collectées par « les habitants ». « On retrouve une domesticité du lieu de travail », analyse Xavier Bouffart. Tout le monde est logé à la même enseigne, les espaces ne définissent plus l’appartenance à une caste.

« Dans les projets les plus innovants, les plus beaux endroits sont dédiés au collectif, comme la cantine ou la cafétéria », souligne Flore Pradère-Saulnier. Par le passé, ils auraient accueilli le bureau du patron ou le restaurant VIP. « Le bureau reflétera de moins en moins la position hiérarchique, c’est un effet générationnel. Les jeunes se battent plus pour des outils informatiques irréprochables que pour des espaces de travail plus larges », observe Élisabeth Pelegrin-Genel. Dans le nouveau siège de KPMG, les douze boss auront le même bureau que les managers et le même mobilier. Le tout au milieu du couloir quand, par le passé, ils avaient deux fois plus de place, bien à l’abri, au fond. Tout un symbole.

70% des salariés font un lien direct entre performance et environnement de travail.

13% c’est la progression du sentiment de bien-être dans des bureaux dotés d’éléments naturels (végétation, lumière du soleil).

Source: JLL 2015, Interface 2014.

Auteur

  • Valérie Auribault, Emmanuelle Souffi