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Décodages

François Béharel tire Randstad vers le haut de gamme

Décodages | publié le : 03.10.2015 | Anne-Cécile Geoffroy

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François Béharel tire Randstad vers le haut de gamme

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Polyvalence, valorisation du service, incitation à la mobilité… Chez le poids lourd de l’intérim, François Béharel révolutionne le métier des "consultants". En misant sur le numérique. Le dialogue social, lui, reste bien fragile.

De la rue, rien n’indique la présence d’une agence d’intérim. Il faut entrer sous le porche du 42, rue de Paradis, dans le 10e arrondissement de Paris, sonner à un interphone, prendre l’ascenseur, passer un nouveau sas pour enfin pénétrer chez Randstad. Dans un open space lumineux, des consultants officient. À proximité, des salles de réunion permettent de mener des entretiens avec les candidats en toute confidentialité ; un peu plus loin, des box servent à dispenser des tests d’aptitude. On est loin de la traditionnelle agence en pas de porte, à quelques mètres d’une gare ! « Désormais, les consultants reçoivent les candidats sur rendez-vous. On perd beaucoup moins de temps. On se sent plus proche d’un cabinet de recrutement que d’une agence d’intérim. C’est très valorisant », se félicite Patricia Duarte, directrice de ce site nouvelle génération.

Aujourd’hui, le groupe compte 3 600 collaborateurs permanents dans plusieurs entités comme Expectra, Yatch ou encore HR Consultancy Partners. Parmi eux, 2 000 travaillent pour le réseau Randstad dans 450 agences. Il y a quelques mois, on en comptait près de 700. Mais 280 d’entre elles ont été fermées pour être regroupées sur 70 plateaux, principalement dans les grandes villes. Pour les collaborateurs, c’est une réorganisation de plus, qui s’ajoute à l’énorme chantier né de la fusion, en 2009, de Randstad et Vediorbis. Un rapprochement conclu, à l’époque, par des réductions massives d’effectifs, à hauteur de 500 personnes. Le tout dans un contexte très compliqué, marqué par une chute de 30 % du chiffre d’affaires pour cause de crise. Le bouillonnant patron de l’entreprise, François Béharel, a un objectif : faire évoluer, et vite, l’image d’un secteur trop souvent guidé par le seul prix, en s’appuyant sur le numérique pour proposer des services premiums aux candidats comme aux entreprises.

Imposer la figure du consultant

Les consultants sont au centre de la stratégie du patron de Randstad en France. Ils représentent le gros des troupes de « permanents », pour bien faire la distinction avec les intérimaires. Fini, le travail en silo avec, côte à côte, des recruteurs, des commerciaux et des administratifs, chargés du back-office de l’agence. Dans le nouveau monde de Randstad, le consultant doit être capable de mener toutes les tâches. Un homme ou une femme orchestre multicompétent, capable de prendre en charge un client (intérimaire ou entreprise) de A à Z. On est loin des qualifications qui ont cours dans les agences d’intérim classiques. « Les consultants sont beaucoup plus libres dans l’organisation de leur travail, explique Patricia Duarte, directrice de l’agence de la rue de Paradis. L’entreprise a développé une série d’applications qui permet de préparer les rendez-vous, de rechercher des intérimaires en consultant la base de données interne, de les contacter via Facebook ou par SMS pour connaître leur disponibilité. » Récemment Randstad a équipé ses troupes d’iPad pour leur permettre d’être encore plus réactives face au client.

Un sacré « big bang », comme le reconnaît Mickaël Hoffmann-Hervé, le directeur général en charge des RH du groupe. « Le métier est beaucoup plus riche et participe à la transformation de notre image. Nos services sont trop souvent associés à une commodité. Les consultants rencontrent plus souvent le responsable achat que le DRH. Nous devons repartir à la conquête de ce dernier. » Une profonde évolution pour les anciens du métier. Telle cette senior, basée en Seine-et-Marne. « Lorsque je suis entrée chez Bis, il y a vingt ans, j’exerçais le métier de recruteur. Aujourd’hui, cette activité représente à peine 10 % de mon travail. La prospection commerciale a pris beaucoup de place. Et la partie administrative grignote aussi mon temps. Il faut saisir les relevés d’heures des intérimaires, leurs demandes de 1 % logement ou de formation, faire du reporting… »

Cette transformation ne passe pas encore complètement en interne. « Le métier est devenu très compliqué et les salaires ne suivent pas », constate Jean-Philippe Plot, délégué syndical central CFECGC. Recruté à 1 700 euros bruts, le consultant passe à 1 800 euros bruts six mois plus tard, auxquels s’ajoute un variable calculé notamment sur le volume de marge de leur unité et le chiffre d’affaires réalisé sur les placements en CDI ou CDD. « Compte tenu des objectifs, les consultants ne s’y retrouvent pas. D’autant que l’entreprise ne veut pas parler d’augmentation salariale lors des NAO. Nous n’avons pas non plus d’accord d’intéressement », poursuit le représentant des cadres. De quoi nourrir le turn-over, en augmentation sur cette population, notamment dans les grandes villes, selon les syndicats. « Avant, il se situait autour de 12 %, contre 17 % aujourd’hui », précise Nadine Dupret, déléguée syndicale centrale CFDT.

Booster la mobilité

La grande force de Randstad, et sa fierté, c’est la promotion interne : 80 % du management en est issu. François Béharel, qui a commencé chez Vediorbis comme directeur régional Nord-Pas-de-Calais, voilà seize ans, en est l’incarnation au plus haut niveau. Pour accompagner cette politique, l’entreprise mise sur la formation tout au long de la carrière. La Randstad Academy, au nord de Paris, dispense des cours en présentiel et en e-learning. Depuis un an, une revue des talents est aussi réalisée pour détecter les salariés aptes à évoluer. En complément des entretiens d’appréciation, un site Internet, C@pcarrière, permet aux directeurs d’agence de proposer des candidats à la mobilité. « L’un de mes objectifs consiste à amener les consultants seniors à changer d’unité plus facilement, explique Arnaud Fillon, directeur de la région Centre-Loire. Notre ambition est d’en faire des super consultants capables de redresser une agence en difficulté en épaulant le directeur. »

Jusqu’ici, les promotions et mobilités se font essentiellement au sein de l’enseigne Randstad. Alors même que le groupe englobe d’autres filiales, comme Appel médical, JBM ou Expectra. « À l’avenir, nous souhaitons mettre en place des passerelles plus naturelles entre les différentes entités. Ce qui, aujourd’hui, n’est pas le cas », précise Mickaël Hoffmann-Hervé, le DGRH groupe, qui préside également HR Consultancy Partners, le cabinet de conseil en ressources humaines de Randstad en France. Depuis la restructuration du groupe, en 2013, la promotion interne marque un peu le pas. Et pour cause, les postes de 150 responsables de district ont disparu des organigrammes pour l’occasion.

L’organisation de Randstad, initialement autour de cinq branches d’activité (industrie, BTP, commerce, logistique, services), a été redessinée en zones et en régions. « Les possibilités d’évolution sont limitées. Pour évoluer, il faut changer de fonction et très souvent bouger géographiquement. Ce n’est pas évident pour tout le monde », note Jean-Philippe Plot (CFE-CGC). « Il devient urgent que Randstad s’engage dans un travail de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences [GPEC] et ouvre une négociation », abonde la cédétiste Nadine Dupret. « Nous proposons déjà des parcours de carrière aux collaborateurs. Notre principal problème reste la mobilité. La promotion interne ne suffit plus. Il faut réintégrer des compétences externes pour accompagner notre croissance », estime le DGRH.

Cultiver l’excellence opérationnelle

François Béharel a fait de l’excellence opérationnelle son cheval de bataille. Chez Randstad, la qualité est non négociable. L’entreprise est très attachée aux deux labels, diversité et égalité des chances, qu’elle a su décrocher. Un comité antidiscrimination, un autre contre le harcèlement et une ligne d’écoute ont été créés pour parer à toute dérive. En outre, le groupe ne cache pas recourir aux appels mystères en agence. Un prestataire est chargé de jouer le client pour vérifier si les consultants restent dans les clous de la réglementation du travail et répondent aux besoins du client. Il note la qualité du service rendu et appelle le consultant dans la foulée, pour lui demander d’évaluer sa propre prestation. « Au-dessus d’un 15/20 attribué par le prestataire, le responsable d’agence ne dit rien. En dessous, la qualité de service n’est pas au rendez-vous. Le consultant a droit alors à un entretien pour mettre en place des mesures correctrices », indique une responsable d’agence du sud-est de la France. « Nous nous devons d’être irréprochables sur les questions d’égalité et de discrimination, justifie Mickaël Hoffman-Hervé. Il nous est arrivé d’intervenir dans certaines agences où un employeur quasi incontournable pouvait avoir des demandes qui ne respectaient ni la loi, ni nos valeurs. »

Sur le terrain, l’exercice fait grincer des dents. « C’est très stressant. À chaque appel, on essaie de deviner si l’on répond ou pas à un appel mystère », confie une consultante. « L’excellence opérationnelle ne peut être totale, sinon on serait des robots, ajoute une directrice d’agence. Avec les multiples reportings et tableaux qui sont demandés, il n’y a pas assez d’heures dans une journée pour tout faire correctement. Si on se prend au jeu, la tendance est de mettre la pression sur les équipes. » Conscient des dérives possibles, et alerté par certains élus, le groupe s’est doté, en juin, d’une charte des managers pour rappeler les droits et devoirs de chacun. Un document en phase de déploiement dans le réseau.

Réveiller le dialogue social

Les relations sociales constituent aujourd’hui le talon d’Achille de Randstad. Au moins jusqu’en décembre. Le premier tour des élections professionnelles devrait se tenir alors, avec huit mois de retard, le second étant prévu en mars 2016. Indispensable pour renouer le dialogue. Un chantier laissé en friche à la suite à de contestations judiciaires de FO, et de bisbilles internes à la CGT sur la désignation de son délégué syndical central. Du coup, si l’entreprise peut afficher nombre d’accords obligatoires – comme sur les seniors ou l’égalité entre hommes et femme –, elle avance seule sur d’autres sujets, telle la GPEC. Par ailleurs, les instances sont restées figées sur l’ancienne organisation. « Résultat, aucune des données transmises n’est vérifiable », déplore Mohamed El Mechachti, délégué syndical CGT. La direction l’admet. « Malgré le report des élections, nous avons maintenu les relations sociales sur les anciens périmètres, mais nous n’avons plus les outils de reporting informatiques correspondants », concède le DGRH.

Dernière difficulté, la prédominance des élus intérimaires sur les salariés permanents. Les premiers trustent le collège des ouvriers, qui est le plus important, quand les seconds se concentrent dans les autres collèges. « Nous sommes très souvent en minorité. Résultat, les questions ne sont pas toujours traitées à la hauteur des problèmes que rencontrent les permanents », note la CFECGC. Autant de dossiers à régler pour le DGRH. Histoire de ne pas prendre en porte-à-faux François Béharel, qui a piloté un récent rapport de l’Institut Montaigne sur le modèle français de dialogue social. Un document qui fait de la négociation d’entreprise une priorité.

En chiffres

2,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires

3 600 collaborateurs

58 000 intérimaires délégués par jour en ETP.

Source : Groupe Randstad.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy