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Andrea Nahles, le dernier rempart social-démocrate

Décodages | publié le : 03.10.2015 | Thomas Schnee

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Andrea Nahles, le dernier rempart social-démocrate

Crédit photo Thomas Schnee

La pasionaria de l’aile gauche du SPD a mis beaucoup d’eau dans son vin depuis qu’elle est ministre de l’Emploi. Mais elle continue à penser qu’on peut moderniser l’économie en préservant les acquis sociaux et la cogestion. Portrait.

Demain, elles seront probablement des adversaires acharnées, qui ne se pardonneront rien. Mais aujourd’hui, face aux réfugiés, la chancelière allemande, Angela Merkel, et sa ministre de l’Emploi et des Affaires sociales, Andrea Nahles, sont dans le même bateau. Pendant que la première martèle que « le droit fondamental à l’asile pour les réfugiés politiques ne peut connaître de limite », la seconde renchérit que « ces réfugiés resteront en Allemagne aussi longtemps que leur vie sera en danger ». Et toutes deux de considérer que l’arrivée de cette population peut devenir une chance extraordinaire pour l’économie du pays, confrontée au vieillissement démographique et à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée.

Pousser la comparaison entre les deux femmes, c’est aller un peu vite en besogne. Âgée de 44 ans, Andrea Nahles n’en est qu’à son premier ministère quand Angela Merkel, 61 ans, est chancelière fédérale et qualifiée de « femme la plus puissante du monde » depuis dix ans. Pourtant, elles ont un point commun : la force tranquille. Comme sa glorieuse aînée, la ministre a ainsi toujours été sous-estimée, ce qui ne l’empêche pas de tracer son sillon. « Jamais je n’aurais pensé, il y a vingt ans, qu’elle pourrait devenir une candidate potentielle à la chancellerie. Sa transformation est remarquable. Au sein du parti, elle a d’abord été la rebelle de gauche, puis est devenue le bon petit soldat. Demain, elle sera peut-être celle qui réussira à sortir la sociale démocratie de la dépression électorale », commente un spin doctor qui l’a longtemps suivie.

Jusqu’à sa nomination à la tête du plus gros budget ministériel d’Allemagne – 125 milliards d’euros –, Andrea Nahles a vécu pour et par le Parti social-démocrate (SPD). Fille d’un maçon et d’une femme au foyer, elle est née en 1970 près de Coblence et des boucles du Rhin. Après son baccalauréat, elle entame des études de littérature qu’elle couronne par un mémoire sur… « le rôle des catastrophes dans les romans à l’eau de rose » ! Puis étudie les sciences politiques. À l’époque, la jeune femme est déjà passée aux travaux pratiques : en 1989, année de la chute du Mur de Berlin et de l’entrée en politique d’Angela Merkel, elle crée une section du SPD dans son petit village de Weiler. Le point de départ de sa carrière.

Petites gens.

En 1995, elle s’empare en douceur de son premier poste important, la présidence fédérale des jeunesses sociales-démocrates. Cette même année, elle soutient Oskar Lafontaine à la présidence du parti contre son rival malheureux, Rudolf Scharping. Bonne pioche, elle intègre le bureau directeur du SPD. Quand son héros quitte prématurément le premier gouvernement de Gerhard Schröder, en 1999, elle se détourne d’un chancelier qui « vire libéral ». Un an plus tard, elle fonde même le groupe Demokratie 21, pour promouvoir les idées de gauche au sein du SPD.

Compagne d’un dirigeant du puissant syndicat IG Metall, Andrea Nahles s’oppose vivement aux réformes de l’Agenda 2010 puis, plus tard, à l’introduction de la retraite à 67 ans. Dans un ouvrage autobiographique paru en 2009 et intitulé Frau, Gläubig, Links (femme, croyante, à gauche), elle estime qu’en choisissant de « libérer les forces du marché », le SPD de Schröder « a perdu toute prétention à pouvoir être un parti moderne capable de façonner l’avenir du pays ». Quant à la retraite à 67 ans, « elle est le signal qui montre que le SPD s’est définitivement détourné des sentiments et des problèmes des petites gens ».

En bon animal politique, Andrea Nahles a su se replacer dans le sens du courant. Questionnée aujourd’hui sur l’Agenda 2010 jadis détesté, elle joue le recul historique et assure que ces mesures ont fait « avancer le pays » de façon « indéniable ». « Il n’y a aucune raison de se voiler la face. Les grandes réformes sont souvent des processus pénibles qui, dans notre cas, se sont soldés par la perte de nombreux électeurs », explique-t-elle. Sur la question grecque, elle est restée plutôt en retrait, critiquant le dogme de l’austérité du ministre des Finances Schäuble, sans aller beaucoup plus loin.

Aurait-elle renié ses idéaux ? Pas tout à fait, comme en témoigne son travail au sein de l’exécutif fédéral. Cette petite femme, à la longue chevelure noire et au sourire vorace, est sans doute la ministre la plus efficace du gouvernement de grande coalition. En à peine deux ans, elle a bouclé son programme pour la législature. Et son bilan peut se lire comme une correction tardive des dérives de l’Agenda 2010. Fin janvier 2014, deux mois après sa prise de fonctions, sa loi sur la retraite à 63 ans pour les salariés qui ont cotisé quarante-cinq ans est entérinée en Conseil des ministres. Une première entaille dans l’héritage schröderien. Suivie par d’autres.

Quelques mois plus tard, alors que toute l’Europe se plaint des bas salaires allemands, elle livre la loi sur le salaire minimum universel, qui instaure une rémunération plancher de 8,50 euros de l’heure. Enfin, en juillet 2014, elle instaure la « Mütterrente », une retraite complémentaire versée aux femmes ayant enfanté avant 1992 et dont les droits ont été mal pris en compte. S’y ajoute, en 2015, une loi très attendue par les patrons et les syndicats, visant à limiter la concurrence entre syndicats au sein des entreprises.

Pour compléter son bilan, il lui reste à fermer définitivement la porte aux bas salaires en encadrant l’intérim et en limitant le recours excessif aux contrats de sous-traitance. Un projet de loi est prévu cet automne. Sans surprise, les patrons n’apprécient guère. À l’image d’Arndt Kirchhoff, le président de la Fédération des employeurs de la métallurgie de Rhénanie du nord-Westphalie. « Si nous voulons continuer à offrir des emplois simples dans notre pays, nous devons aussi être capables de les payer avec des salaires simples », indique-t-il au quotidien Rheinische Post.

Livre vert.

En 2007, Andrea Nahles se sépare de son compagnon syndicaliste, puis se marie avec un historien de l’art. Mais elle n’en reste pas moins étroitement liée aux milieux syndicaux avec qui elle a pensé son prochain combat. C’est en effet lors d’une rencontre à la cantine du ministère avec le vice-président d’IG Metall, Jörg Hofmann, que naît le projet « Arbeit 4.0 » (Travail 4.0), qui porte sur l’évolution des conditions de travail et de cogestion à l’ère de la numérisation. Dans un article publié en mai, les fédérations patronales BDA et BDI résument leur ligne d’attaque. Selon elles, la digitalisation va accentuer la spécialisation et la division du travail. Et donc dynamiser les services industriels ainsi que les contrats de sous-traitance et de services. Elles y voient une occasion d’améliorer l’organisation du travail et de réaliser de « formidables gains de flexibilité ». Au programme : suppression de la journée de travail de huit heures, développement du télétravail et du crowdworking et limitation du pouvoir syndical.

Une révolution qu’Andrea Nahles entend accompagner. « La discussion sur la transformation numérique porte souvent sur les innovations techniques, mais le monde du travail va lui aussi se transformer d’une manière radicale […] Nous voulons jouer un rôle de pionnier et façonner ce monde du travail du futur », a-t-elle indiqué à l’occasion du lancement d’un livre vert, fin avril à Berlin. Pour la ministre, l’enjeu d’« Arbeit 4.0 » est d’empêcher la dissolution des droits des salariés dans le numérique. C’est aussi l’opportunité de dessiner un projet d’avenir susceptible de lui donner une image de dirigeante moderne et efficace. Dans les couloirs du SPD, on chuchote déjà le nom de son prochain projet. Nom de code ? « Andrea 21 ». Histoire de donner à la social-démocratie allemande sa première chancelière lors des élections de 2021.

Auteur

  • Thomas Schnee