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À Perpignan, des énergies vertes économes en emplois

Décodages | publié le : 03.10.2015 | Catherine Abou El Khair

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À Perpignan, des énergies vertes économes en emplois

Crédit photo Catherine Abou El Khair

La capitale catalane est pionnière en matière d’implantation d’éoliennes et de panneaux solaires. Une bonne nouvelle pour la planète. Mais un bilan décevant pour l’emploi durable. Reportage.

À Calce, le vent et le soleil créent de drôles de jeux d’ombres. Celles des éoliennes, visibles sur les vignes de cette petite commune, à quelques kilomètres à l’ouest de Perpignan. À peine installées, six pales « furtives » y tournent déjà, sous l’effet persistant de la tramontane. Mi-juillet, les petites mains du chantier ont fait place nette. À terme, l’Ensemble éolien catalan, grand projet de la communauté d’agglomération de Perpignan (PMCA), mettra en service 35 machines, réparties sur Calce et trois communes voisines : Baixas, Villeneuve-la-Rivière et Pézilla-la-Rivière. Devenir une « ville à énergie positive » est l’un des engagements de la collectivité, désormais positionnée sur l’éolien et l’énergie solaire. Un chantier pionnier : à l’issue du Grenelle de l’Environnement, en 2008, la PMCA a été la première à signer, avec l’État, une convention-cadre contenant l’engagement de couvrir, à l’horizon 2015, 100 % des besoins en énergie grâce au renouvelable.

À quelques semaines de la COP 21, la conférence internationale sur le climat qui se tiendra à Paris du 30 novembre au 11 décembre, voilà donc un projet innovant. Qui, tant qu’à faire, pourrait avoir des vertus positives en termes d’emplois pour un territoire dépourvu d’industrie et miné par le chômage. Une expérience grandeur nature, en quelque sorte, de cette nouvelle croissance promise par l’économie verte. Au total, 200 personnes se sont affairées sur les quatre communes : des chefs de projets dans les bureaux d’études, relayés par des techniciens. « Un travail de dentelle, souligne Céline Sécolier, chef de projet chez EDF. Il a fallu minimiser l’impact sur le territoire : développer des technologies nouvelles, faire des études environnementales, passer les câbles électriques autour des vignes… »

Et recourir aussi à la main-d’œuvre locale en difficulté, pour mieux faire accepter un projet sensible. Dans cette optique, 20 personnes ont été recrutées pour réaliser les travaux de voirie. Un travail d’insertion organisé par la Fédération française du bâtiment du Languedoc-Roussillon. Rien d’étonnant à cela : gros employeur dans la zone d’emploi de Perpignan, le BTP y a perdu 10,2 % de ses effectifs, ce qui n’arrange pas les affaires de l’agglomération de 337 000 habitants. Dans le département des Pyrénées-Orientales, le taux de chômage, en forte hausse depuis 2008, atteignait 15,5 % début 2015, selon l’Insee.

Écoparc catalan

Des chantiers, il y en a eu un peu partout : comme les champs et les serres agricoles, les établissements scolaires, les gymnases et les clubs sportifs municipaux se sont couverts de plaques photovoltaïques. L’immeuble aux allures de Rubik’s Cube qui accueille la communauté d’agglomération Perpignan Méditerranée affiche même en direct sa production électrique. « Je suis dans le sommet mondial du climat, je ne touche plus terre », confie Dominique Schemla, vice-président chargé du développement durable à PMCA, à un interlocuteur au téléphone. Alors que la conférence des Nations unies approche, vient l’heure du bilan. « On fait partie des collectivités exemplaires en matière de développement durable », affirme cet ancien collaborateur de Jean-Louis Borloo, chemise ouverte et collier au ras du cou. Sept ans plus tard, il revendique « 2 000 emplois » créés par la construction de l’« écoparc catalan », qui regroupe l’ensemble des projets en énergies renouvelables menés sur le territoire.

Mais quid des emplois durables ? À l’agence Pôle emploi de Saint-Assiscle, située à trois kilomètres des berges fleuries de la Basse, la rivière qui traverse le centre-ville de Perpignan, le directeur est bien en peine de se prononcer. « Il est compliqué de compter les créations d’emplois liées à ces activités, réalisées en grande partie par les entreprises classiques de construction », témoigne Akim Benrabia. Un conseiller d’une agence locale prend moins de pincettes : « De quels emplois parlez-vous ? Il n’y a rien du tout ! » s’étrangle-t-il.

Et pour cause. Une fois plantées, les éoliennes sont gérées depuis Colombiers, à une centaine de kilomètres d’ici, chez EDF énergies nouvelles. Idem pour la pose de panneaux photovoltaïques. À Ortaffa, au sud de Perpignan, il a certes fallu une centaine de personnes pour installer les 300 000 panneaux solaires qui hachurent les friches viticoles, soit six mois de travail. Mais beaucoup moins pour l’entretien, même pour cette grosse centrale de 68 hectares. « Deux techniciens doivent être à moins d’une heure et demi d’ici, prêts à intervenir. Plus des prestataires locaux, en cas de besoin ponctuel », détaille Brian Boulanger, directeur général de Gensun, la société montpelliéraine chargée de la maintenance. Du côté de Pôle emploi, la vague du photovoltaïque a été temporaire. « Entre 2006 et 2008, on a acheté une centaine de formations de commercialisation et de pose de panneaux », précise Akim Benrabia.

Les sociétés du coin ont profité des chantiers, jusqu’à ce que la bulle du photovoltaïque éclate sous l’effet de décisions prises à Paris. Gel des raccordements en 2010, baisse du tarif de rachat de l’électricité solaire et appel d’offres au compte-gouttes ont asséché l’activité. « On est les derniers des Mohicans », plaisante Jean-Baptiste Navarro, directeur de Sotranasa. Cette entreprise du bâtiment, spécialisée dans les réseaux de télécommunications et qui compte 280 salariés, a été chargée du raccordement électrique du marché Saint-Charles : un chantier phare, avec 97 000 tuiles noires à installer pour couvrir les longs entrepôts de cette plate-forme d’import-export et de négoce. Si la PME familiale a tenu le coup, son partenaire chargé de la pose des panneaux, Vilmor EnR, s’est en revanche cassé les dents. Sa faillite a emmené l’entreprise mère, Vilmor, dans sa chute, ce qui a fait grand bruit ici. Liquidée, elle a laissé près de 90 salariés sur le carreau. « Seuls les développeurs, ceux qui achètent ou louent les surfaces pour y installer des panneaux, ont résisté », constate Jean-Baptiste Navarro.

Clauses sociales

La population locale aurait pu davantage profiter de ces projets. Si les chantiers avaient moins fait appel à de la main-d’œuvre étrangère, venue d’Europe de l’Est ou d’Espagne. L’arrivée de commerciaux peu scrupuleux a aussi terni la réputation de l’énergie solaire, avant même que les artisans n’aient eu le temps d’investir ce marché. « Ils n’étaient pas prêts, pas opérationnels sur ce nouveau créneau », estime Alexis Delarche, électricien-chauffagiste à son compte depuis 2011. Vêtu d’un tee-shirt au nom de sa société, Aldelec, le voici devenu « éco-artisan » pour réaliser des travaux d’économies d’énergie. Une nécessité aujourd’hui, pour se faire un « réseau » et proposer aux particuliers des travaux susceptibles d’être éligibles à des crédits d’impôts. « On a du mal à trouver des marchés. Il faut se battre pour garder notre place », regrette l’entrepreneur, âgé de 37 ans, qui écume les salons professionnels et s’est formé à la prise de parole en public.

« Il aurait fallu que les appels d’offres de production d’énergie solaire bénéficient davantage à la région par le biais de clauses sociales. Sauf que c’est difficile, en raison des règles européennes », estime André Joffre, dirigeant de Tecsol, bureau d’études spécialisé dans le solaire. Pour Jean Codognès, ancien élu municipal et ex-vice-président du conseil général des Pyrénées-Orientales pour Europe écologie Les Verts, le problème est plus profond. « La stratégie de Perpignan en matière de développement durable est incohérente. On favorise encore les déplacements en voiture, alors même qu’un projet de tramway créerait des emplois directs pendant trois ou quatre ans. Privilégier le photovoltaïque ou l’éolien relève d’une logique d’économie de rente, plutôt que d’innovation. Alors que la matière grise est là », explique le militant écolo.

Elle se trouve même à portée de main. Il faut quinze minutes, en bus, pour relier le centre-ville à Tecnosud, une zone d’activité en partie consacrée au développement durable. Au milieu des palmiers, de petits bâtiments clairs y abritent quelques entreprises spécialisées dans le solaire ou l’efficacité énergétique. Mais Tecnosud est surtout peuplé de scientifiques, qui phosphorent sur les techniques de transformation, de stockage et de transport de l’énergie, essentiellement solaire. Et qui expérimentent la résistance des matériaux. Le laboratoire Promes, une unité de recherche du CNRS installée au centre de Tecnosud, est presque trop petit pour les 160 personnes qui y travaillent. Parmi la cinquantaine de doctorants de la structure, certains ont signé des conventions industrielles de formation par la recherche dont sont friandes les entreprises locales, mais aussi les grands groupes. D’autres créent carrément leur activité grâce aux machines mises à disposition par le laboratoire.

Recrutement local

Antoine Meffre fait partie de ceux-là. « Je comptais me faire embaucher dans une entreprise, mais elle était en difficulté. Au lieu de chercher du travail, j’ai décidé de lancer mon projet », raconte ce jeune ingénieur, originaire de la région Paca. Trois ans de thèse et le premier prix au Concours mondial de l’innovation plus tard, sa structure Eco-Tech Ceram est sur les rails. Elle propose aux industries de convertir leur chaleur en électricité en utilisant des matériaux composés à partir de déchets. Un projet qui allie économie sociale, RSE et éco-efficacité.

« Nos projets nous conduisent à travailler avec le tissu industiel existant : les ports, qui nous fournissent les containers pour stocker l’énergie, mais aussi des briqueteries artisanales qui pourront ainsi se moderniser », détaille le patron trentenaire, qui envisage de recruter plus d’une vingtaine de personnes d’ici 2019. « Nous mettons Pôle emploi dans la boucle », ajoute-t-il, conscient des problématiques d’emploi rencontrées dans le département. De quoi réjouir Akim Benrabia, le directeur de l’agence de Saint-Assiscle, sollicité pour mettre en place des actions de formation préalables au recrutement. « Le développement durable, c’est du work in progress », admet ce partisan de l’économie circulaire. À Perpignan, il commence à porter quelques petits fruits.

L’artisanat à la traîne

Denis Nougué se désespère. Secrétaire général de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) des Pyrénées-orientales, il attend toujours les effets des projets de rénovation énergétique des bâtiments, affichés par l’agglomération depuis 2008 pour devenir une « ville à énergie positive ».

« À cause de la crise, les particuliers n’ont pas d’argent pour faire des travaux », se désole-t-il, depuis son bureau de la Maison de l’artisan, situé dans une rue calme de Perpignan. Les artisans ont pu néanmoins compléter leurs carnets de commande via des aides de l’Agence nationale de l’amélioration de l’habitat (Anah) destinées à des publics précaires. Là aussi, « les crédits s’assèchent », note-t-il. Cet été, la Capeb a signé une convention avec le conseil départemental pour détecter les ménages en précarité énergétique. « Certains éco-artisans ont réalisé des diagnostics. Mais les travaux n’ont pas encore commencé », ajoute-t-il, en faisant preuve de prudence.

Plus que les incitations des élus locaux, ce sont celles sur le plan fiscal dans le cadre des réglementations nationales qui ont conduit certains artisans à « verdir » leurs compétences : entré en vigueur en septembre 2014, l’éco-prêt à taux zéro est réservé aux travaux réalisés par des entreprises et artisans reconnus garants de l’environnement (RGE). Idem pour les crédits d’impôt développement durable. « On a été submergés de demandes de formations aux économies d’énergie. Sans ce label, on ne travaille plus », affirme Denis Nougué.

Les travaux d’isolation soutiennent modestement l’activité.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair