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A-t-on encore besoin de négociations interpro ?

Idées | Débat | publié le : 03.09.2015 |

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A-t-on encore besoin de négociations interpro ?

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L’échec de la négociation interprofessionnelle sur le dialogue social et le manque d’ampleur des accords sur la formation ou le fonctionnement du marché du travail jettent le doute sur la capacité des partenaires sociaux à conduire et porter des réformes structurelles ambitieuses.

Franck Morel Avocat associé au cabinet Barthélémy

Le bilan de la négociation nationale interprofessionnelle est contrasté. Il comporte des réussites, comme la rupture conventionnelle, la réforme de la représentativité syndicale en 2008 ou l’homologation des PSE en 2013. Il est aussi marqué d’échecs, comme la réforme de la médecine du travail, la pénibilité ou plus récemment le dialogue social. Les réussites sont toutes le fruit d’une démarche à l’initiative des pouvoirs publics désireux d’engager une réforme ; elles ont été suivies d’une loi. Quels sont les sujets importants où la négociation interprofessionnelle est intervenue de manière autonome, avec succès et à son initiative ? Il faut remonter à la position commune de 2001 sur les voies et moyens de l’approfondissement de la négociation collective – en réaction cependant à l’épisode des 35 heures – et, plus récemment, à l’accord de 2009 sur la gestion des conséquences sociales de la crise. Ce constat questionne forcément la capacité de la négociation interprofessionnelle à produire les futures réformes structurelles dont le pays a besoin.

La norme négociée a généralement passé avec succès l’épreuve de l’interprétation par le juge des règles qui en découlent, étape primordiale dans notre écosystème législateur/partenaires sociaux/juges. Mais c’est parfois au prix d’une action du législateur légitimement élu peu maîtrisée et in fine peu satisfaisante pour tous. Il est donc nécessaire d’inventer de nouvelles régulations entre tous ces acteurs. Il faut, sur certains sujets, des discussions interpro sous l’égide d’un législateur, qui prend ses responsabilités devant les électeurs. Il faut, d’autre part, des négociations autonomes sur lesquelles la marge d’action des partenaires sociaux est respectée. à charge pour ces dernières de montrer leur valeur ajoutée sur des sujets que le politique ne saisit pas.

La négociation nationale interprofessionnelle prélégislative atteint ses limites. La négociation nationale interprofessionnelle autonome, elle, doit gagner sa place. C’est ce que pourrait être un nouveau pacte tripartite. Il sera d’autant plus nourri que l’espace de la négociation collective en général et celui des accords d’entreprise en particulier s’en trouvera accru, se muant en norme de droit commun en droit du travail. La place de l’interprofession deviendrait alors celle d’un espace de fixation de règles supplétives et d’orientations.

Marylise Léon Secrétaire nationale de la CFDT.

Tant que le travail rémunéré et l’ambition de faire société existent, la réponse est oui, bien entendu ! Au niveau national, les négociations interprofessionnelles permettent d’élaborer un cadre intangible de droits, ainsi que des règles pour le réguler. Outre le respect des droits individuels, ce cadre doit prendre en compte l’intérêt général et garantir une équité de traitement entre les citoyens. On ne peut se passer d’un cadre commun qui évolue au rythme de la société.

L’absence de négociations interprofessionnelles aboutirait à un État surchargé, soumis au lobbying permanent des acteurs économiques. Ce n’est pas une voie souhaitable pour la protection du plus faible. Pour compenser, l’État pourrait introduire une forme de démocratie directe sur les réformes sociales difficiles, en recourant au référendum… Mais ce n’est pas le meilleur moyen pour trancher sur des sujets souvent techniques qu’il faut articuler avec une vision globale et de long terme. La responsabilité de la construction de ce cadre ne peut être laissée à l’État seul. Elle requiert une connaissance « de l’intérieur » du monde du travail, dont disposent les représentants des salariés et demandeurs d’emploi d’une part, et des employeurs d’autre part.

Contribution à l’élaboration du cadre légal, négociations sur les sujets « sociaux » entre organisations syndicales de salariés et d’employeurs, sans que l’État ait à intervenir, impulsion de négociations de branche : l’ensemble renvoie au rôle de la démocratie sociale. Dans notre pays où les acteurs sont organisés et légitimes, il a vocation à se renforcer, aux côtés de la démocratie politique. Ce qui vaut pour les négociations nationales interprofessionnelles se transpose, en théorie, à l’Europe et aux territoires. Ainsi, l’Europe est bien placée pour aborder les questions de politique industrielle, alors que les territoires peuvent mieux traiter la GPEC locale ou le soutien aux TPE. Encore faut-il que ces deux niveaux aient les acteurs et l’organisation requis pour des négociations interprofessionnelles véritablement opérationnelles. Fortement attachée à la négociation interprofessionnelle, la CFDT considère que cela doit s’accompagner d’une redéfinition du champ de la négociation sectorielle et de la valorisation de la négociation d’entreprise, pour s’ajuster au plus près des besoins.

Jean-François Pilliard Vice-président chargé des questions sociales du Medef.

La forme actuelle de la négociation nationale interprofessionnelle remonte à la loi Larcher de janvier 2007. Lorsque les travaux parlementaires visant à mieux associer les partenaires sociaux à l’élaboration de la norme sociale commencent en 2006, la France est sous le choc de la crise du CPE. Le gouvernement de l’époque avait souhaité aller vite et fort sur le sujet du contrat de travail. Le résultat fut très décevant : beaucoup de tensions sont nées, mais le contrat de travail n’a pas bougé d’un iota.

D’où l’idée de réformer en passant par les partenaires sociaux interprofessionnels. La méthode connaît rapidement des réussites incontestables : création de la rupture conventionnelle, refonte de la réglementation des PSE, suppression de l’obligation administrative de former (0,9 % de la masse salariale), création du compte personnel de formation. Mais le dialogue social interprofessionnel, ce sont aussi des échecs, comme celui sur la modernisation du dialogue social au début de l’année. échec regrettable qui a instillé le doute dans l’esprit des partenaires sociaux eux-mêmes mais aussi du gouvernement et des observateurs sur leur capacité à conduire les réformes nécessaires au pays.

Aux yeux du Medef, le dialogue social reste la voie la plus efficace pour réformer notre pays. Mais il n’a aucun monopole en la matière. De deux choses l’une : soit les partenaires sociaux montrent, dans les mois qui viennent, qu’ils sont capables de négocier et conduire les grandes réformes attendues par les entreprises et les salariés, sur le marché du travail, sur l’assurance chômage, sur le compte personnel d’activité par exemple, et alors la méthode Larcher sera définitivement validée ; soit ils échouent encore, et alors cette méthode n’aura été qu’une parenthèse dans le mode de réforme de notre pays.

Ce dernier cas n’est pas à souhaiter. En effet, malgré sa faiblesse, ce dialogue s’est avéré, à ce stade, une méthode plus efficace que les autres. Le dialogue social interprofessionnel a toute sa raison d’exister dès lors que l’on en rénove profondément la méthode et que l’on est beaucoup plus sélectif sur le choix des quelques thèmes transverses qui relèvent de sa compétence. Il doit être clair que le dialogue social interprofessionnel vient en complément d’un renforcement significatif de celui qui relève de l’entreprise et de la branche.

CE QU’IL FAUT RETENIR

Début avril, Manuel Valls confiait à Jean-Denis Combrexelle, président de la section sociale du Conseil d’état, une mission sous l’égide de France Stratégie pour « donner plus de place au dialogue social de terrain dans les entreprises et les branches professionnelles ». Le rapport du groupe de travail est attendu dans le courant du mois de septembre.

Une mission qui pose en creux la question de la place de la négociation nationale interprofessionnelle, sa valeur ajoutée et la redéfinition de son champ d’intervention.

L’Institut Montaigne planche également sur la question et devrait rendre son analyse pour la rentrée. François Béharel, président du groupe Randstad, pilote le groupe de travail du think tank.

EN CHIFFRES

39 000

accords d’entreprise ont été conclus en 2013.

1 300

accords de branche ont été signés cette même année.

5

accords nationaux interprofessionnels ont été signés en 2013, dont celui du 11 janvier qui refond la réglementation des PSE.