logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Numérique cherche femmes désespérément

Décodages | publié le : 03.09.2015 | Valérie Auribault

Image

Numérique cherche femmes désespérément

Crédit photo Valérie Auribault

Malgré les efforts des entreprises pour les attirer, les femmes restent les grandes absentes des métiers du numérique. Pourtant en plein boom. Les stéréotypes sexistes ont la vie dure.

Elles ne représentent que 27 % des salariées du numérique. Et ne sont que 20 % dans les fonctions techniques telles que développeur ou chef de projet. Les femmes manquent à l’appel dans les métiers de l’informatique, alors que le secteur est porteur en matière d’emplois : en début d’année, le Syntec annonçait 35 000 postes à pourvoir avec la montée du big data, des réseaux sociaux et du cloud computing. « Les femmes s’interdisent elles-mêmes d’aller vers ces filières à cause de la difficulté d’organisation entre vie privée et vie professionnelle », explique Dominique Epiphane, sociologue au Cereq et coauteur du rapport « Femmes dans les métiers d’hommes : entre contraintes et déni de légitimité » (2014).

Dommage, car les chefs d’entreprise reconnaissent que la mixité est source de vision transverse et de performance. Pour y remédier, les grands groupes ne restent pas inactifs. À l’image de Capgemini, qui a signé un accord sur l’équité hommes-femmes et la parentalité. Et tenté d’adapter son organisation. « Nous déconseillons les réunions avant 9 heures et après 17 h 30, indique Bruno Dumas, directeur des affaires sociales. Les femmes ne sont d’ailleurs pas les seules à profiter de ces aménagements. Les hommes d’aujourd’hui souhaitent aussi s’investir dans la sphère privée. »

Autre initiative, celle de Hewlett-Packard, qui a mis en place le job sharing pour faciliter l’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle. Gérald Karsenti, P-DG du groupe en France, assure vouloir imposer une parité totale au sein de l’entreprise, en bas comme en haut de l’échelle hiérarchique. « C’est la théorie de la tenaille. Assurez la mixité au niveau du comité de direction, qui aura valeur d’exemple, et dans le pool des jeunes talents, et elle s’imposera dans la totalité des services », assène-t-il. D’autres sociétés offrent des facilités de conciergerie, de baby-sitting ou des places en crèche. Dans ces conditions, pourquoi les femmes ne s’orientent-elles pas davantage vers cette filière ?

Le problème prend sa source bien avant l’entrée dans la vie active, lors de la scolarité. Quoi que fassent les entreprises, les métiers de l’informatique demeurent obscurs pour les jeunes femmes. Elles s’y projettent rarement. En cause, l’image que renvoie l’informaticien. Un geek isolé, face à son écran, ça ne fait pas rêver ! Mais au-delà de cette caricature, d’autres mauvaises habitudes empêchent les filles d’accéder à cette profession. « Il faut travailler à l’apprentissage du code informatique dès la primaire, assure Véronique di Benedetto, présidente de Femmes du numérique (Syntec) et directrice générale d’Econocom France. Que cela devienne comme une nouvelle langue. Et faire participer les mères afin qu’elles encouragent leurs filles à se lancer dans cette filière. »

Idées reçues

Le plus souvent, elles n’ont pas de modèle féminin auquel s’identifier pour sauter le pas. « J’étais très douée en maths, raconte Amina Taleb, ingénieure d’études épanouie chez Capgemini. Mais sans le soutien de ma mère, j’aurais abandonné. » Les idées reçues et autres stéréotypes sont aussi un frein. Marie-Anne Magnac, cocréatrice de l’exposition « Quelques femmes du numérique », une initiative qui vise à promouvoir la féminisation du secteur, insiste sur le rôle du corps enseignant et des conseillers d’orientation. « Il faut cesser de penser que les filles sont uniquement faites pour les sciences comme la chimie et pas pour les maths dures », estime-t-elle.

Les écoles d’ingénieurs sont les premiers témoins de ces dérives. « Actuellement, ces établissements enregistrent entre 5 et 10 % de filles chaque année », déplore Joël Courtois, directeur général d’Epita. Pour attirer les étudiantes, l’école de l’intelligence informatique a créé le Trophée « étudiante scientifique ». Ses deux lauréates (post-bac et bac + 2) se voient offrir la prise en charge complète de leurs études (45 000 euros pour cinq ans) et un coaching pour celles qui souhaitent créer leur entreprise. L’Epitech, elle, soutient l’association E-mma, créée en 2013 par deux étudiantes. « Nous apportons un accompagnement moral tout au long des études via un système de parrainage afin qu’elles ne baissent pas les bras dans ce milieu de garçons », indique éric James, son président, lui-même étudiant.

De grands groupes comme IBM, Google ou Microsoft soutiennent l’association. D’autres prennent des initiatives propres. Comme Capgemini, qui investira les lycées, dès cette rentrée scolaire, avec une BD humoristique expliquant les métiers du numérique. Chez Hewlett-Packard, on travaille à un projet de vidéos. Avec des saynètes issues de situations vécues sur le terrain pour sensibiliser les hommes et les femmes. Et créer l’électrochoc nécessaire.

« Promotion canapé »

Le changement est un véritable impératif. Les stéréotypes n’ont pas seulement la vie dure dans l’enseignement, mais aussi dans l’ensemble des métiers de l’informatique, sur lesquels les hommes ont fait main basse depuis le début. Dans les entreprises, le sexisme reste vivace. « Les directions font miroiter des objectifs attractifs et les discours sont très positifs vis-à-vis des femmes. Les salaires à l’embauche sont souvent égaux pour les deux sexes. Cependant, au fil des années, l’écart se creuse », assure Véronique di Benedetto.

Pour que ces discriminations salariales apparaissent, encore faut-il que les candidates soient embauchées. « Les efforts qui sont faits concernent l’équité salariale et certaines promotions. Mais le recrutement est un échec. Certains managers pratiquent la discrimination à l’embauche », témoigne Pierre Thiollet, délégué syndical CFDT chez SAP. L’éditeur a pourtant signé, en 2012, un accord sur l’égalité professionnelle.

Le sexisme, Valérie Bouvier, subject matter expert chez Hewlett-Packard, en a fait l’expérience. Docteur en physique des matériaux, la jeune femme s’est tournée vers l’informatique, faute d’emploi dans son domaine. « J’ai eu beaucoup de mal à m’intégrer. J’étais mise à l’écart, jamais conviée aux réunions, pas écoutée. Il a fallu que je menace de faire un rapport pour que tout rentre dans l’ordre. » Une lutte pour s’imposer qui a perduré. « Le jour où j’ai été promue, un collègue m’a dit : “c’est une promotion canapé ?” Les hommes ne perçoivent pas l’insulte. C’est forcément vous qui ne comprenez pas les blagues. Et il est difficile d’en parler à votre manager, un homme. »

Les syndicats eux-mêmes sont peu sensibles à la question. « Il y a un problème de code dominant chez les hommes qui vient de leur éducation, souligne Nicole Travaillé, représentante CFE-CGC chez Hewlett-Packard. Même au sein de mon syndicat, je ne parviens pas à me faire entendre sur la question de l’égalité. Il faut imposer des quotas, nous n’avons plus le choix. » Cette revendication est loin de faire l’unanimité. Parmi les dirigeants comme les représentants des salariés. Mais elle a le mérite de souligner l’urgence de voir changer les choses.

EN CHIFFRES

35 000

C’est le nombre de postes à pourvoir dans le secteur numérique pour 2015.

Source : Syntec Numérique.

Auteur

  • Valérie Auribault