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Le flop annoncé du CDI intérimaire

Décodages | publié le : 03.09.2015 | Catherine Abou El Khair

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Le flop annoncé du CDI intérimaire

Crédit photo Catherine Abou El Khair

Un an et demi après son lancement, le CDI intérimaire n’a guère de succès. Peu avantageux pour les travailleurs temporaires, il se révèle aussi très risqué pour les agences. Décryptage.

Sabrina Lee ne s’est pas montrée frileuse. Directrice d’une agence Adecco à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), elle a déjà embauché deux travailleurs temporaires en CDI. Et une troisième signature est dans les tuyaux. « Il s’agit d’une vraie responsabilité. Je deviens le VRP de mes intérimaires, qui doivent pouvoir enchaîner des missions à la fois longues et récurrentes. C’est un vrai défi RH », affirme-t-elle. Deux contrats conclus ? Le résultat pourrait paraître médiocre. Il s’avère pourtant… excellent, au regard des objectifs fixés par son enseigne, qui demande la signature d’au moins un CDI intérimaire par agence.

Depuis février 2014, date d’entrée en application de l’accord de sécurisation des parcours des salariés intérimaires, toutes les entreprises de travail temporaire sont censées promouvoir ce contrat qui les transforme en employeurs à durée indéterminée. Un outil symbolique pour la profession, associée à la précarité, qui veut améliorer son image. Sauf qu’il a fallu attendre le début du mois de juin pour que le nombre de contrats signés passe la barre des 2 000, selon Prism’emploi. Autant dire que la course pour atteindre les 20 000 à l’horizon 2017 – objectif fixé par la branche en 2013 – s’annonce encore longue. « Pour lancer un produit, il faut que les agences soient acculturées », plaide François Roux, délégué général du syndicat patronal.

Ce retard à l’allumage s’expliquerait, selon lui, par des raisons externes. à savoir la crise et l’incertitude juridique due au recours de Force ouvrière contre l’accord devant le Conseil d’état… Mais aussi par des questions plus techniques. « Un intérimaire ne peut pas remplacer durablement un salarié, en raison du délai de carence imposé en fin de mission et de la durée maximale des contrats, limitée à dix-huit mois », justifie François Roux.

De fait, sur le terrain, les agences ont du mal à convaincre les salariés de signer un contrat qu’elles savent peu avantageux. D’abord en termes de revenus. Un intérimaire en CDI perd sa prime de précarité ainsi que son indemnité de congé. Soit, au total, 21 % de sa paie à la fin d’un contrat. Pas très vendeur ! S’il se retrouve en panne de travail, il est aussi rémunéré sur la base du Smic, alors que d’éventuelles indemnités de chômage pourraient être supérieures. Hic supplémentaire, les titulaires d’un tel contrat perdent la maîtrise de leur emploi du temps. « Ils basculent sur un régime d’autorisation d’absence », explique Valérie Samson, responsable RH du groupe d’intérim Proman. Ils sont en effet tenus d’accepter les missions qui relèvent des trois emplois définis dans leur contrat et ne peuvent plus solliciter d’autres réseaux. « Un grutier, qui trouve du travail quasiment à volonté, aura peut-être moins besoin de signer un CDI intérimaire », illustre Martin Vitkine, en charge du CDI intérimaire chez Adecco.

Un salaire régulier

Le dispositif n’est pourtant pas dénué de tout avantage. « Il peut intéresser des personnes qui ont besoin d’un salaire régulier et veulent prendre des congés de façon normale », plaide Nicolas Smeets, le spécialiste maison chez Manpower. À l’image de Geoffrey Theuret. Ce jeune de 23 ans a sauté sur l’occasion offerte par une agence Manpower en Côte-d’Or. « Je veux pouvoir tester une quinzaine d’entreprises avant de choisir la bonne. En attendant, ce contrat me permet d’avancer dans mon projet d’achat d’appartement », confie ce titulaire d’un BTS en électrotechnique, en mission depuis neuf mois chez un sous-traitant aéronautique.

Le piètre bilan du contrat ne s’explique pas seulement par le faible engouement des intérimaires. Les freins se trouvent aussi du côté des agences, qui se méfient du dispositif. Celles qui y ont recours doivent assurer le service après-vente. Au risque, sinon, de devoir rémunérer les périodes chômées sur leur propre compte d’exploitation ! Une fois consommés les congés payés et les jours d’intermission financés par les indemnités de fin de contrat – désormais récoltées par le Fonds de sécurisation des parcours intérimaires –, elles perdent de l’argent. Pas très incitatif pour les directeurs d’agence, qui craignent pour leurs primes.

Pour certains, le CDI intérimaire est même techniquement impossible à mettre en oeuvre. « Chez nous, la durée moyenne des missions est d’une semaine. Cela générerait un stress permanent. Pas question d’accumuler les périodes d’intermission ou de les combler par des formations inutiles », explique la directrice de deux agences Manpower, l’une généraliste, l’autre spécialisée dans le BTP. Pour respecter les directives de son enseigne, qui a fixé, elle aussi, l’objectif d’un CDI par agence, la voilà obligée de prendre des risques. « J’espère pouvoir signer un contrat en septembre, car l’un de mes clients a un chantier jusqu’au milieu de l’année 2016. Si j’attends d’avoir plusieurs employeurs potentiels, je n’en signerai jamais », confie-t-elle.

Promesse non tenue

Conséquence, les réseaux veillent au grain. Les directions valident les recrutements pour éviter les ratés et s’attachent à limiter tout emballement. « Les grosses agences pourraient facilement signer 10 ou 15 CDI quand elles embauchent en permanence 50 intérimaires dans un même secteur comme la logistique, explique François Sarfati, sociologue au Centre d’études de l’emploi, qui vient de réaliser une enquête de terrain sur le sujet, non encore publiée. Mais lorsque l’une d’entre elles en signe beaucoup, sa hiérarchie lui demande de s’arrêter. Par peur que ce CDI n’échappe à son contrôle. »

Les syndicats ne se montrent guère surpris par ce flop. « Beaucoup de facteurs jouent en défaveur du CDI intérimaire. La rémunération et le mode d’organisation de l’entreprise posent problème. Et les agences d’intérim sont trop sélectives dans leurs recrutements », analyse Sébastien Delahaye, chargé du travail temporaire à la CFDT des services, qui a participé aux négociations sur le contrat. « Le CDI est contraire à la culture des entreprises de travail temporaire. Dans cette négociation, le seul intérêt du patronat était de maintenir ses avantages », enchérit étienne Jacqueau, délégué syndical central CFTC chez Manpower.

Lors des négociations sur la sécurisation des parcours professionnels, l’intérim était en effet menacé de se voir appliquer, comme pour les CDD, une surcotisation au régime d’assurance chômage. Un coût supplémentaire de plusieurs centaines de millions d’euros, auquel les entreprises ont échappé en échange de l’instauration, par accord, du CDI intérimaire. Cette dérogation sera-t-elle maintenue si la profession ne signe pas les 20 000 contrats promis ? « Aucune clause ne prévoit de revenir sur les taux de cotisation en cas d’échec », soutient François Roux, de Prism’emploi. L’argument est contesté par le cédétiste Sébastien Delahaye. « Cet objectif était une condition implicite à la signature de l’accord. Il faut donc le remplir. » En cas d’échec, nul doute que le sujet reviendra sur la table lors de la renégociation prochaine de la convention Unédic.

EN CHIFFRES

83,3 % des missions d’intérim durent au maximum deux semaines.

Source : Pôle emploi.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair