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Idées

La société du paradoxe, modèle dominant

Idées | Livres | publié le : 02.06.2015 | Anne Fairise

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La société du paradoxe, modèle dominant

Crédit photo Anne Fairise

Deux sociologues explorent le « capitalisme paradoxant », responsable de la perte de sens au travail. Édifiant.

Comment qualifier un système qui nous enjoint sans cesse de concilier l’irréconciliable ? Produire plus avec moins, réagir vite en préservant le long terme, suivre les consignes tout en s’adaptant aux réalités de terrain… Pour les deux sociologues Vincent Gaulejac et Fabienne Hanique, enseignants-chercheurs à Paris 7, la réponse tient en deux mots : le « capitalisme paradoxant ». Le nouveau visage d’un système en crise, qui « détruit davantage de valeur qu’il n’en crée ». Un ordre mondial qui, en trente ans, s’est installé partout. Fini, le temps où seuls les salariés des multinationales se confrontaient à ces équations insolubles. Celles-ci sont devenues le lot de tous, des employés de PME aux fonctionnaires.

Le coupable est connu : la financiarisation de l’économie. En trois décennies, elle a imposé sa logique financière, ses normes, son langage. Et affranchi les organisations de la société, en opérant une « disjonction entre les normes sociales valorisées » de part et d’autre. Eh oui ! un plan social peut très bien être « rentable » ! Selon les auteurs, la gestion financiarisée a été l’élément déclencheur de la diffusion de logiques contradictoires. Mais pas la seule brique.

Pétris d’organisation par projets, de culture du résultat, d’évaluation de la performance, les nouveaux modes de gouvernance portent leur part de responsabilité. Car ils ont éloigné les managers du terrain et de leur rôle : organiser le travail et gérer ses contradictions. Faute de médiateur, « chaque employé est condamné à faire des choix dans une situation de plus en plus chaotique ». Et l’écart va croissant entre le travail prescrit et le travail réel. Dernière pierre, la révolution numérique a porté le coup de grâce, en changeant le rapport à l’espace-temps.

Jusque-là, tout va encore à peu près bien, nous disent les deux chercheurs. « L’injonction paradoxale n’est pas en soi pathogène », rappellent-ils. Celle-ci deviendrait destructrice une fois systématisée dans un cadre contraignant. Un canevas que les derniers outils d’amélioration de la performance (lean, benchmarking, ranking) se sont chargés de construire.

Après lecture de l’ouvrage, plus personne ne peut s’étonner de l’explosion de la souffrance au travail. Un signe qualifié de « pas purement négatif », dans la mesure où il incarne une forme de résistance « face au risque d’aliénation ». Les deux auteurs passent d’ailleurs en revue les autres manières de réagir. Mais l’essentiel de leur brillant essai est consacré à poser le diagnostic et à décrire les effets ravageurs sur la santé des salariés.

Le Capitalisme paradoxant.

Un système qui rend fou,

Vincent de Gaulejac et Fabienne Hanique. Éditions Seuil. 280 pages, 21 euros.

Auteur

  • Anne Fairise