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Base de données unique : les entreprises jouent-elles le jeu ?

Idées | Débat | publié le : 02.06.2015 |

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Base de données unique : les entreprises jouent-elles le jeu ?

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Les entreprises de moins de 300 salariés doivent ce mois-ci se doter d’une base de données économiques et sociales. Un outil censé apporter aux élus une information claire et prospective pour leur permettre d’apprécier la stratégie. Et obligatoire depuis un an dans les grandes entreprises.

Jean-François Foucard Secrétaire national, Fédération CFE-CGC de la métallurgie.

À quelques jours du deuxième anniversaire de la loi du 14 juin 2013 et de la création de la base de données économiques et sociales (BDES), peu de choses ont changé dans la très grande majorité des entreprises françaises. Le passage d’une idée prise au niveau national à son appropriation réussie sur le terrain ne se décrète pas. Elle s’accompagne. Jusqu’ici, on constate surtout l’absence de volonté politique du patronat de développer ce sujet avec ses mandants et de les accompagner dans sa mise en place. En effet, les bases de données et les consultations sur la stratégie se déploient très lentement. Il s’agissait pourtant d’une contrepartie à la sécurisation des PSE, avec des délais préfixés selon le nombre de personnes licenciées. Ce qui intéressait les employeurs. Ils l’ont obtenue et, désormais, se moquent de sa contrepartie qualitative. Aujourd’hui, la BDES est un jeu de dupes.

Du côté syndical, nous aurions dû rendre obligatoire l’instauration de cette partie qualitative pour obtenir la simplification des procédures. Dans de très nombreux cas, l’informatique des services RH n’est pas adaptée. Les solutions proposées aux partenaires sociaux sont souvent bas de gamme, sans plus-value opérationnelle et élaborées de façon unilatérale. Les « plus innovantes » ont même affecté une pièce dédiée où les documents « papier » sont mis à la disposition des élus…

La mise en place de la BDES a généré très peu de négociations sur l’outil, son enrichissement et les fonctionnalités souhaitables afin de nourrir un dialogue de qualité. Une négociation est pourtant structurante et déterminante pour le dialogue social. La BDES est vécue comme une contrainte et non comme une chance de faire grandir le dialogue social. C’est la démonstration que les entreprises ne sont pas prêtes naturellement à faire de la coconstruction dans le social… alors même que cela devient le mode de travail des salariés dans l’ensemble des services ! Dans ma société, pourtant reconnue comme une grande entreprise, une base de données très pauvre va être mise en place avec près d’un an de retard. J’ai bien peur que dans de très nombreuses organisations, l’expérience de la BDES ne se transforme en une magnifique occasion ratée, au détriment des salariés.

Catherine Ferrière Présidente de Tandem Expertise.

Ce nouveau dispositif qui devrait, selon les signataires de l’ANI de janvier 2013, contribuer à une amélioration du dialogue social dans les entreprises suscite jusqu’ici peu d’entrain. À qui la faute ? Les directions ont la charge de mettre en place la BDES mais elles ne jouent pas le jeu, considérant souvent qu’il s’agit là d’une « obligation formelle de plus ». Les présidents de CE n’abordent pas spontanément ce sujet avec les élus. Quand ils sont interpellés, ils se contentent souvent de répondre qu’ils avancent sur la question et qu’ils reviendront vers eux plus tard. Et quand ils présentent un outil, il s’agit le plus souvent d’un catalogue des documents et rapports transmis au CE, comme nous le constatons à chaque fois que nous tentons d’utiliser cet outil dans le cadre de l’information-consultation sur les orientations stratégiques.

Par ailleurs, seules les DRH semblent au courant de cette nouvelle obligation. Or la BDES devrait impliquer toutes les directions de l’entreprise (direction générale et direction financière notamment) si l’on veut en faire un véritable support de l’information-consultation du comité d’entreprise. Enfin, les élus ne sont généralement pas associés à sa construction. Pourtant ce sont eux qui devront l’exploiter pour formaliser des observations, voire des propositions alternatives, et émettre des avis éclairés.

Contrairement aux recommandations de la loi et de la circulaire, la plupart des directions ne souhaitent pas négocier le contenu et les modalités de mise en place de cette base. Voulant en garder la maîtrise, elles sont peu enclines à partager une information économique détaillée et prospective. Les élus, de leur côté, ne sont pas suffisamment exigeants à l’égard de leur direction ; ils perçoivent mal l’enjeu de cet outil qui paraît très technique et complexe et sont, par ailleurs, souvent mobilisés sur des réorganisations et désabusés par l’absence de transparence des projets et des évolutions de l’entreprise ; ils manquent de recul et de disponibilité pour réfléchir aux indicateurs pertinents permettant d’apprécier sa situation et son devenir.

Il est temps de réagir et que, au minimum, une concertation s’instaure entre partenaires sociaux pour construire un outil adapté, intelligible et utile ouvrant un dialogue social de qualité sur l’entreprise et ses enjeux stratégiques.

Pierre Groisy DRH France de Thales.

Afin de fixer les fondements d’une négociation sur la construction d’une base de données, Thales, dans le cadre de la loi sur la sécurisation de l’emploi, a proposé préalablement de réaliser, avec les partenaires sociaux, une lecture commune de cette loi. Il s’agissait de partager notre compréhension de la loi et de faire un état des lieux des bonnes pratiques en matière d’informations apportées dans les comités d’entreprise et les comités centraux d’entreprise de nos sociétés. Forts de cet état des lieux, nous avons alors décidé de créer une vraie base de données.

Cette négociation a conduit à la signature d’un accord de groupe. Il précise, par typologies de mandat dans chacune de nos sociétés, les informations mises à disposition dans cette base de données et fixe les informations pertinentes à partager, et selon quel calendrier cette base de données doit être constituée chaque année. Afin de garantir le bon déploiement de l’accord, nous avons créé, pour les données économiques, des référents relevant de la direction financière, et, pour les données sociales, des référents relevant de la DRH dans chaque société du groupe. Enfin, pour assurer la bonne coordination de l’ensemble, un référent groupe a été nommé complémentairement.

Depuis sa mise en place il y a un an, cette BDES valide et consolide notre démarche de dialogue social. Nous sommes convaincus que mieux informer nos partenaires sociaux contribue aux adaptations – et les facilite – que doit mener une entreprise afin de maintenir sa compétitivité. Cette base de données, qui renforce le dialogue social dans les sociétés, permet d’accompagner et de simplifier les processus sociaux par la disponibilité régulière d’informations économiques et sociales. Ce nouvel outil de dialogue social permet de mieux partager les informations contribuant à la bonne compréhension de la stratégie de l’entreprise tout en veillant à la confidentialité nécessaire.

Toutefois, le dialogue social est suffisamment mature chez Thales. La mise en œuvre de la BDES n’est possible que s’il existe une véritable confiance entre direction et partenaires sociaux. Pour une société qui amorçe une démarche de dialogue, la BDES peut, à n’en pas douter, être plus difficile à mettre en œuvre et à déployer.

CE QU’IL FAUT RETENIR

Imaginée par les partenaires sociaux lors de l’ANI du 11 janvier 2013 et officialisée par la loi de sécurisation de l’emploi de juin 2014, la base de données économiques et sociales a pour le moment du mal à s’imposer dans les entreprises de plus de 300 salariés comme un outil de dialogue social.

L’ambition de cette BDES est de permettre aux élus des CE et des CCE de débattre avec leur direction des données économiques et financières de l’entreprise, de son orientation stratégique et de sa politique sociale, dans des délais contraints.

L’un des freins au déploiement de l’outil réside dans le caractère confidentiel des données partagées. Le sujet dépasse les seules DRH. Il implique aussi les directions financière et opérationnelle des sociétés.

EN CHIFFRES

3 750 euros et un an d’emprisonnement. C’est la sanction prévue par le Code du travail à l’encontre de l’employeur qui ne met pas en place une BDES. Son absence est assimilée à un délit d’entrave.