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Le nouveau contrat responsable déboule

Dossier | publié le : 02.06.2015 | Valérie Devillechabrolle, Bénédicte Foucher

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Le nouveau contrat responsable déboule

Crédit photo Valérie Devillechabrolle, Bénédicte Foucher

Les normes qui s’appliquent à présent aux contrats collectifs de complémentaire santé imposent de sérieux ajustements aux assureurs et aux entreprises. Avec la baisse des prises en charge, ces couvertures seront un avantage moins attractif.

Avec l’entrée en vigueur, le 1er avril, du nouveau contrat complémentaire santé responsable, les calculettes sont en surchauffe. D’abord celles des assureurs, censés vérifier que toutes les garanties des contrats collectifs commercialisés depuis cette date respectent bien les plafonds et planchers de remboursement fixés par le décret du 18 novembre 2014. Sous peine, sinon, de voir leurs clients perdre les exonérations de cotisations sociales et fiscales qui y sont attachées.

Mais les entreprises aussi commencent à chiffrer l’impact de ce nouveau fer de lance gouvernemental en matière de lutte contre les dérives inflationnistes des contrats collectifs ! Certes, sur le papier, celles qui étaient déjà couvertes bénéficient d’un délai d’adaptation de leurs garanties. Un sursis qui court jusqu’à la fin de l’année pour les PME dotées d’un contrat commercial. Et jusqu’au 31 décembre 2017 si ces couvertures ont été mises en place par accord collectif. « D’ici là, et sous réserve que ces entreprises ne modifient pas l’acte fondateur de ces régimes, elles pourront conserver leur ancien tableau de garanties, même non responsables », explique Catherine Millet-Ursin, avocate associée du cabinet Fromont Briens.

Si leur premier réflexe les pousse à attendre l’échéance, « les entreprises sont en réalité moins maîtresses de leur calendrier d’adaptation qu’elles ne le pensent », observe Jean-Philippe Allory, directeur général du cabinet de conseil Adding. Car les occasions d’une modification anticipée sont légion : absence de clause d’indexation automatique des cotisations, nécessité de revoir la répartition employeur/salarié ou de redresser les comptes d’un régime déficitaire. D’autres sont plus inattendues, telle l’obligation de mettre le contrat d’entreprise en conformité avec un nouveau régime de branche, en particulier lorsque celui-ci inclut un dispositif de solidarité ou la couverture d’un conjoint non prévue par l’employeur. Enfin, certaines compagnies seront en butte à la pression de leurs retraités, couverts à titre facultatif et peu désireux de s’exposer, en janvier prochain, à une revalorisation de 7 à 14 % de leur taxe sur les contrats d’assurance. Autant dire que « nombre d’entreprises vont avoir intérêt à se débarrasser de cette épée de Damoclès au plus vite », note Pierre-Alain Boscher, directeur de la protection sociale au cabinet Optimind Winter.

Sur le fond, ce nouveau contrat responsable va avoir d’importantes répercussions. Notamment dans les grandes entreprises souvent équipées de contrats haut de gamme. Car les nouveaux plafonnements concernent près de la moitié des garanties remboursées par les complémentaires, souligne Guillaume Lacour, actuaire au cabinet Adding. Les PME qui adhèrent à des contrats planchers ne seront pas épargnées non plus, en particulier du fait de l’obligation de prise en charge du forfait hospitalier désormais dépourvue de toute limitation de durée.

Ajustement à la baisse

Pour les autres, l’impact est d’autant plus difficile à mesurer qu’il varie selon les couvertures, souvent bâties sur mesure. « Au total, l’ajustement à la baisse pourrait être compris entre 0 et 10 % », avance Pierre-Alain Boscher. Sur l’optique, par exemple, ce ne sont pas tant les grilles tarifaires, somme toute assez généreuses, qui auraient l’effet le plus significatif que la limitation à un remboursement de paire de lunettes tous les deux ans. L’autre gros poste de dépense directement visé concerne les dépassements d’honoraires des médecins libéraux qui, à partir de 2017, ne pourront plus être pris en charge au-delà de 200 % du tarif Sécu. L’écrêtement sera donc bien réel pour les couvertures haut de gamme qui, jusque-là, remboursaient fréquemment sur la base de 250, voire 300 % du tarif Sécu.

Concrètement, cela signifie qu’« une consultation chez un spécialiste à 60 euros ne pourra plus être prise en charge que dans la limite de 46 euros, part Sécu incluse », a calculé Mylène Favre-Beguet, actuaire associée du cabinet Galea. Et c’est encore plus flagrant pour un accouchement réalisé en clinique privée : « Sur les 850 euros de dépassement d’honoraires facturés au total par le gynécologue obstétricien et l’anesthésiste, le reste à charge des patientes pourrait ainsi atteindre 320 euros », ajoute cette spécialiste.

À moins que ces professionnels de santé n’aient adhéré au contrat d’accès aux soins (CAS). Proposé à tous les médecins libéraux depuis décembre 2012 par l’Assurance maladie, ce dispositif vise à réguler les dépenses de ces praticiens en échange d’engagements tarifaires de leur part et du respect de bonnes pratiques. Or, pour encourager la diffusion du CAS, les pouvoirs publics ont décidé d’obliger, dans le cadre du contrat responsable, les complémentaires à rembourser sans limite les actes effectués par les quelque 11 000 praticiens qui y adhèrent, tout en plafonnant les honoraires des réfractaires.

Complexification

« Même si les flux d’informations entre l’Assurance maladie et les organismes complémentaires sont automatisés, cette distinction va beaucoup complexifier la lecture des grilles de garanties », observe Mylène Favre-Beguet. Surtout, « cela nécessitera de la part des entreprises beaucoup de communication pour expliquer les différences de remboursement, sachant que nul ne sait, et encore moins les salariés, quels médecins sont ou non adhérents au CAS », note Guillaume Lacour, d’Adding.

Comment les entreprises vont-elles réagir face aux baisses de prise en charge annoncées ? Vu l’attachement viscéral des salariés à leur mutuelle, bien peu semblent prêtes à diminuer à due proportion leur participation financière : « Cela risquerait de casser le consensus social existant sur cette question », relevait, lors de l’université Adding de fin mars à Florence, Sylvain Reny, responsable des avantages sociaux au sein du groupe Roquette. « Après le chahut provoqué l’an dernier par la fiscalisation de la part patronale de la complémentaire santé, ce serait plutôt mal perçu », abonde un DRH. D’autant que « les représentants du personnel insisteront probablement pour maintenir le niveau de ce complément salarial », abonde Pierre-Alain Boscher, d’Optimind Winter. Toutefois, « l’ajout d’une surcomplémentaire obligatoire non responsable nous paraît inacceptable », indique de son côté Sébastien Alby, directeur des affaires sociales du groupe Limagrain.

Spontanément, des employeurs réfléchissent donc plutôt à basculer ce budget sur d’autres garanties épargnées par les nouvelles règles. À l’instar du dentaire, mais aussi des prestations de médecine douce (ostéopathie) ou de celles destinées aux enfants. Pour limiter la hausse du reste à charge, les assureurs avancent l’idée d’une surcomplémentaire facultative financée par les salariés. Mais les actuaires semblent sceptiques. « Si elles se limitent au remboursement des dépassements d’honoraires, ces options, très antisélectives, risquent de se révéler non seulement très coûteuses en taxes et en frais de gestion, mais aussi en termes de sinistralité », pointe Mylène Favre-Beguet, de Galea.

Au-delà de la mise en conformité qu’elle nécessite, la nouvelle architecture du contrat responsable peut provoquer, au bout du compte, une transformation assez radicale du rapport que les entreprises entretiennent avec leur complémentaire santé. « Tout en demeurant un prérequis indispensable aux yeux des salariés, elle ne fera plus partie des leviers d’attractivité à l’embauche », estime ainsi Jean-Philippe Allory, directeur général d’Adding. D’autant que « maintenant que ces planchers et plafonds sont instaurés, les pouvoirs publics ne se priveront pas de les modifier à l’avenir », met en garde Dominique Nadal, chargé de la commercialisation des solutions collectives chez Axa.

V. D.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle, Bénédicte Foucher