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Édouard Martin, électron libre au Parlement européen

Décodages | publié le : 02.06.2015 | Emmanuelle Souffi

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Édouard Martin, électron libre au Parlement européen

Crédit photo Emmanuelle Souffi

Un an après son élection, le porte-drapeau des ArcelorMittal s’est coulé dans le moule de Bruxelles. Le jeune député prépare un rapport sur une sidérurgie plus propre. Sans avoir rien perdu de son goût du combat. Portrait.

Il les intimide avec sa voix de stentor, entretenue à coups d’Austin qu’il ne parvient pas à s’empêcher de griller. En ce bel après-midi de fin avril, l’ancienne figure de proue des ArcelorMittal accueille à Bruxelles un groupe de lycéens de Metz. Ils ont à peine 18 ans, sont en bac pro et se demandent bien comment un syndicaliste autodidacte a pu atterrir ici. Oui, dans un univers aussi confiné et codifié, comment une telle « incongruité » est-elle possible ? « J’ai un CAP d’électrotechnicien. Mais trente-deux ans d’école de la vie, leur rétorque-t-il. Ma mère me disait toujours de ne pas contrarier le chef. J’ai pratiqué pendant des années la stratégie du papier peint : ne pas se faire remarquer. Et puis, un jour où je tenais les murs, un éducateur de rue m’a demandé ce que je faisais pour que les choses changent. Ça a fait tilt. » Un gros boum même ! Tour à tour agitateur public et redresseur de torts, le Lorrain est depuis devenu un symbole. Celui d’une région affaiblie par le déclin de la sidérurgie. Celui des casques orange qui tentent de sauver leur peau face à l’ogre Mittal.

Aujourd’hui député européen, il enchaîne les réunions et les déplacements en VRP de l’industrie propre. Car Édouard Martin a été nommé en novembre rapporteur d’une commission pour le développement durable des industries de production des métaux de base. Italie, Allemagne, Roumanie, Espagne… Il multiplie les visites d’aciéries pour percer les enjeux et les attentes face à la concurrence internationale. En mars, il a même été reçu à Dunkerque… par ses anciens patrons ! Joli pied de nez à l’histoire sociale. Son arme pour résister, qu’il aimerait voir intégrée dans une directive ? « Instaurer un ajustement CO2 aux frontières de l’Europe. » Une taxe froisserait trop les libéraux. À partir de 2020, les industriels européens vont devoir acheter des droits à polluer sur le marché du carbone. Ce qui va plomber un peu plus leur compétitivité face au dragon chinois. « En Europe, 1 tonne d’acier produite génère 2 tonnes de CO2, contre 3 en Chine, rappelle-t-il sans relâche. On a l’obligation de mettre en place des mesures qui pérennisent notre industrie. Elle n’est pas simplement un lieu de production de matière, mais aussi de création de richesses. »

Impétueux

Bruxelles fonctionne au consensus et le syndicaliste sait mettre de l’eau dans son vin quand il le faut. Il s’est certes perdu au début dans les dédales du Parlement, mais a vite compris comment les alliances se constituaient. Le seul coup de colère de cet impétueux qui se dompte ? L’élection de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne. Il a voté contre, scandale LuxLeaks oblige. Mais surtout parce qu’il refusait de voir le poste de commissaire à l’Action climatique et à l’Énergie échoir à l’Espagnol Miguel Arias Canete, pas franchement écolo convaincu.

« Édouard est très impliqué dans tout ce qu’il fait, confie Jude Kirton-Darling, députée travailliste qui l’a découvert à la Fédération européenne de la métallurgie. Il a constitué une équipe qui possède une vraie expertise et qui permet de calibrer le débat. » À ses côtés, Philippe Morvannou, un ancien du cabinet Syndex qu’il a rencontré lors des restructurations d’ArcelorMittal. Mais aussi Maxime Herrmann, durant sept ans assistant parlementaire de Catherine Trautmann, qui connaît les institutions comme sa poche. Sans oublier Jeanne Ponté, une étudiante en droit européen que le syndicaliste en campagne avait repérée lors d’un colloque et qu’il avait promis de recruter une fois élu. Promesse tenue.

Comme la syndicaliste Jude Kirton-Darling, le député Martin appartient à cette nouvelle génération d’europhiles pour qui défense de l’environnement et protection des travailleurs vont de pair. La tête de liste socialiste aurait pu tout aussi bien atterrir chez EELV. « En France, on adore mettre des étiquettes sur les gens », balaie cet antidogmatique. Lui est un affranchi. Pour garder sa liberté de parole, il refuse d’adhérer au Parti socialiste. Mais siège au sein du groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates. Il est toujours adhérent à la CFDT mais a abandonné ses mandats chez ArcelorMittal, dont il a démissionné. Pour la plus grande joie de ses boss.

Ces valses-hésitations, ses anciens compagnons de route ne les comprennent pas toujours. À commencer par Walter Broccoli, son homologue chez FO à Florange. Et sa bête noire. Lui ne digère pas son ralliement à François Hollande qu’il avait pourtant traité de « traître » face à la caméra après le refus de la nationalisation du site. « Martin s’est servi de Hollande pour avoir un siège et Hollande l’a utilisé pour faire oublier sa trahison. Il l’a joué perso », balance l’ex-leader local de FO. Depuis leur rencontre en 2008, l’Italien et l’Espagnol, deux sanguins, en sont venus aux mains plus d’une fois. Son propre camp n’a pas toujours accepté ses méthodes un brin commando. « C’est un fougueux qui n’a peur de rien, estime Patrick Auzanneau, coordinateur de la CFDT chez ArcelorMittal. Il est parti dans un monde de crocodiles où il est difficile de faire sa place. »

Jalousie et désaccords politiques se mêlent. En pleine campagne présidentielle, le cédétiste fait de Florange un instrument de lutte contre le sarkozysme. « Les autres se sont sentis effacés par sa surmédiatisation », se souvient Anne Grommerch, députée UMP de la Moselle. Quand, fin 2013, sa candidature aux élections européennes dans le Grand Est fuite dans la presse, la tempête se déchaîne. Rares sont ceux qui se félicitent de voir un ouvrier adoubé par la Rue de Solferino. « Les gens auraient voulu qu’il soit un martyr ou se radicalise comme Philippe Poutou [cégétiste chez Ford et militant au NPA]. Mais Édouard est toujours dans une logique de négociation », résume Jean-Louis Malys, secrétaire national de la CFDT, lorrain et lui aussi ex-sidérurgiste. Par ricochet, la CFDT est alors accusée d’être progouvernementale. « L’organisation ne l’a pas lâché. Il a agi avec beaucoup de précautions, se souvient Dominique Gillier, ancien secrétaire général de la CFDT Métallurgie. C’est un Européen convaincu qui pouvait être utile à l’industrie européenne. »

Racisme social

Le Parti socialiste, qui espérait capitaliser sur le combat des Mittal, se prend une tôle. Avec 12,8 % des voix, le score d’Édouard Martin – derrière Florian Philippot (FN) et Nadine Morano (UMP) – laisse un goût amer aux socialistes locaux. Cet adorateur du Front populaire avait exigé d’être numéro un ou rien. Reléguée juste derrière, Catherine Trautmann, députée européenne depuis quatre mandats, se retrouve sur le carreau. Un an plus tard, Florange et Hayange virent à droite aux municipales. La débâcle. « S’il avait été avocat ou journaliste, il n’aurait pas eu ce procès en illégitimité », est persuadé son ami Jean-Louis Malys. Une forme de racisme social qui fait qu’un col bleu doit rester à sa place.

« Ce n’est pas Édouard Martin qu’on a taclé mais la classe ouvrière ! tempête l’intéressé. Cette caste politique se sent agressée dès que la société civile marche sur ses plates-bandes. Mais moi, je n’ai pas de plan de carrière ! » Le cédétiste se fait un devoir d’être de toutes les réunions. « Il doit encore faire ses preuves, observe Nathalie Griesbeck, députée européenne (MoDem) du Grand Est, qui siège avec lui à la commission Emploi et Affaires sociales. Au Parlement européen on connaît ceux qui travaillent. » Son plus gros complexe ? Ne pas parler anglais. « Bientôt je serai fluent », promet-il.

Ce mardi d’avril, il interpelle le groupe social-démocrate sur la situation en Palestine. Marié à une Maghrébine et père de trois enfants, il peut ici embrasser des causes qui lui tiennent à cœur. Lui qui s’enchaînait jadis aux grilles de Matignon pour demander la nationalisation de Florange présentera son rapport d’initiative en session plénière à Strasbourg le 2 octobre. Un grand oral pour l’homme au chèche qui n’oublie pas les six ArcelorMittal, sur les 650 salariés licenciés, qu’il reste à recaser. Il se dit prêt à renfiler la chasuble. D’ailleurs, son casque de métallo ne quitte jamais son coffre de voiture.

REPÈRES

1971

Arrive en France.

1981

Embauché chez Sollac à Florange.

1989

Élu délégué du personnel CFDT.

2013

Fermeture des hauts-fourneaux de Florange.

« Aidez-nous, Monsieur Martin ! »

Ils ne l’auraient sans doute jamais sollicité s’il n’avait pas incarné le combat des ArcelorMittal.

En ce mardi d’avril, Édouard Martin prend langue avec l’intersyndicale du Parlement européen, en bisbille avec le secrétaire général.

« Vous êtes le premier que l’on rencontre ! » lancent les syndicalistes. Les quelque 6 000 agents, répartis entre Bruxelles, Strasbourg et Luxembourg, se plaignent du new way working prôné par la direction, qui fait de l’open space le prochain mode d’organisation des bureaux. Un changement culturel de taille dans une institution habituée à travailler de façon cloisonnée, et qui ne goûte guère au mode projet.

En plus d’un dialogue social rompu, les syndicalistes confient au député leurs soupçons de surveillance des mails et des bureaux par une société qui pointerait les absents. Autre grief, la directive sur le temps de travail ne serait pas non plus respectée. Véritable bulle diplomatique, le Parlement ne peut pas être contrôlé par l’Inspection du travail.

Toujours prêt à en découdre, l’élu conseille alors les représentants sur la stratégie à adopter.

Et les recadre quand ils évoquent du harcèlement moral sans en apporter les preuves. Il se dit prêt à parler de leurs difficultés avec Jean-Claude Juncker himself.

« Il n’est pas admissible que les lois européennes soient bafouées en leur sein ! » clame-t-il, retrouvant la verve qui a fait sa gloire devant les caméras.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi