logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

À la une

L’éthique, un job à part entière

À la une | publié le : 02.06.2015 | Rozenn Le Saint

Image

L’éthique, un job à part entière

Crédit photo Rozenn Le Saint

Les multinationales se dotent de responsables des questions éthiques. Objectif : promouvoir les bonnes pratiques et limiter les risques de se faire épingler. Mais encore faut-il que ces déontologues aient les moyens de leur mission.

Deux ans après, le drame du Rana Plaza résonne encore. Auchan, Carrefour ou Camaïeu ont payé cher les conséquences dramatiques de l’effondrement de cette usine textile de Dacca au Bangladesh, en avril 2013. Au sens propre lorsqu’ils ont abondé le fonds d’indemnisation des victimes. Au sens figuré, aussi, leur réputation ayant souffert de la tragédie qui a mis en lumière des pratiques commerciales douteuses et un manque de contrôle des sous-traitants. Scandales financiers, désastres écologiques, conditions de travail inhumaines… Craignant pour leur image et donc pour leur business, les multinationales prennent conscience, depuis le début des années 2000, de la nécessité de créer des postes de déontologues ou de responsables éthiques pour limiter les risques. Ou tout au moins tenter de rattraper le coup.

Le déclic de leur embauche ? Il varie, mais leur position est plus confortable quand elle est le résultat d’une maturation lente plutôt qu’accélérée, lorsqu’ils sont recrutés « à froid », par exemple pour prévenir d’éventuels conflits d’intérêts, comme à La Poste, Total, GDF Suez ou Safran, au lieu de jouer les pompiers de service. Comme chez Renault, où le directeur de l’éthique a été recruté en pleine affaire d’espionnage. Chez Alstom, il a été embauché en curatif, après que la justice américaine a obligé le groupe, notamment mis en cause pour des pratiques de corruption en Amérique du Sud, à s’engager dans un programme d’éthique renforcé.

Ces dirigeants ont-ils les moyens de remplir correctement leur mission ou jouent-ils les faire-valoir ? Leur place dans l’orga nigramme s’avère très signifiante. À la fois sur leur pouvoir et sur les intentions de leur employeur. S’ils dépendent du DRH ou du directeur de la communication, c’est mauvais signe ! L’existence d’un poste dédié de responsable éthique ne fait néanmoins pas tout. « Parfois, on a des discussions plus instructives lorsque c’est, par exemple, le service achat qui s’en occupe. Cela prouve la volonté d’intégrer la RSE dans les pratiques commerciales », témoigne Nayla Ajaltouni, vice-présidente du Collectif Éthique sur l’étiquette.

RATTACHÉ AU P-DG

En revanche, s’ils sont placés près du sommet, c’est la preuve que la fonction, transversale, se veut stratégique, à la croisée des services juridiques, des ressources humaines et des achats. Le must ? Lorsqu’ils sont directement sous la coupe du P-DG, comme chez Total et L’Oréal. Ou, au moins, du secrétaire général, comme chez Thales et Aéroports de Paris (ADP). C’est en tout cas ce que préconise Le Cercle d’éthique des affaires (CEA), une sorte de club professionnel qui regroupe les directeurs « éthique et conformité ». « Ces exécutifs doivent être complètement autonomes et rattachés au rang le plus élevé possible pour bénéficier d’une forte visibilité. Ce qui renforce leur statut, leur effet et leurs décisions », justifie Yves Medina, président du CEA et ancien déontologue du cabinet PWC.

Au sein de La Poste, le titulaire de la fonction, Patrick Widloecher, est ainsi conseiller à la fois du président et du délégué général. Son homologue chez ADP, Elisabeth Ortega, dépend, quant à elle, du secrétaire général. « C’est une bonne position pour avoir une vision d’ensemble, analyser les flux de décisions. Et y contribuer, car mon supérieur est présent au comité exécutif et au comité de groupe. Cette place transversale témoigne et participe du fait que tous les services se sentent concernés. »

Dans la plupart des sociétés du CAC 40, des postes entièrement dédiés au sujet ont vu le jour. Pour les entreprises de plus petite taille, il arrive souvent que le directeur juridique s’en charge. Au risque de mélanger ce qui relève de l’éthique et du droit. Deux notions pourtant différentes. Avec, d’un côté, ce qu’on estime bon de faire quelles que soient les obligations légales. Par exemple, s’assurer volontairement des conditions de travail chez les sous-traitants. Et, de l’autre, le simple souci de se mettre en conformité avec les textes légis latifs et réglementaires des pays dans lesquels on opère.

DOUBLE MISSION

Chez Dassault Systèmes, on a fait le choix de confier les deux missions au même homme, Cédric Dubar. Intitulé de son poste, créé en 2009 ? group ethics & compliance officer. « Quand les fonctions éthique et conformité sont séparées, il est indispensable que les deux responsables travaillent ensemble, en bonne intelligence. Ce qui n’est pas toujours le cas, surtout lorsque le champ d’intervention de chacun n’est pas clairement défini dès l’origine. Si le poste combine les deux rôles, au moins, il n’y a aucune ambiguïté », argumente-t-il.

Les outils diffèrent aussi selon les situations. Les chartes, parfois concoctées ou valorisées à la hâte, en sont un. « Notre charte RSE des achats est une pièce contractuelle, que nous utilisons dans le cadre de nos marchés. Ces règles établies en amont, conformément à nos principes éthiques, nous permettent de déployer des audits sociaux chez nos sous-traitants. Et de nous assurer qu’ils sont respectés », illustre la déontologue d’ADP. Davantage familiers dans les pays anglo-saxons – là où les premiers postes ont été créés, dans la foulée du scandale Enron –, les systèmes d’alerte peuvent aussi faire remonter les dangers et les dysfonctionnements. Car la fonction vise à pallier trois risques liés : judiciaire, économique et de réputation.

En situation de crise, on pourrait penser que l’existence d’un responsable éthique facilite les relations avec la société civile. Et que celui-ci est susceptible de porter la parole des associations à l’intérieur de sa structure avec une certaine sympathie. Mais la réalité est plus complexe. Après le drame du Rana Plaza, par exemple, le titu laire de la fonction chez le géant de la distribution Auchan a décidé d’arrêter toute discussion avec les ONG.

NOMINATION COLLÉGIALE

À l’inverse, alors que Camaïeu n’avait amorcé aucun dialogue avant d’être épinglé au Bangladesh, l’enseigne s’est montrée ouverte à la discussion avec les organisations. Elle communique à présent sur sa signature de l’accord relatif à la sécurité et à la sûreté des usines, aux moyens de contrôle et à l’indemnisation des victimes. Ainsi que sur le renforcement de sa charte de la sous-traitance, qui, lancée en 2010, ne l’a pas empêchée d’être mêlée au drame. Camaïeu a créé dans l’urgence « une équipe constituée de salariés issus de la DRH, du service RSE créé en 2014 et de la direction des achats, mais sans responsable éthique attitré », précise la direction.

Pour bien faire son job, le responsable de l’éthique ne doit pas seulement être bien placé dans l’échelon hiérarchique. Il lui faut aussi disposer d’une forme de protection. Difficile, sinon, de lever le doigt pour alerter ou dénoncer des pratiques condamnables. Le CEA recommande ainsi que sa nomination ne reflète pas uniquement le choix du boss. Mais qu’elle relève d’une structure collégiale, telle que le conseil d’administration. Ou, au moins, que les avis du DRH et du directeur stratégique soient pris en compte. Idem pour sa rémunération.

Pour la même raison, il est bon que la durée de sa mission ne soit pas inférieure à trois ans, afin de lui assurer une certaine longévité dans la fonction. Mais, quels que soient les garde-fous, le poste est exposé. L’an dernier, la justice américaine a réclamé une amende record de plus de 7 milliards d’euros à BNP Paribas pour solder l’enquête pénale en cours sur les soupçons d’infractions aux sanctions contre l’Iran. Et exigé, aussi, le licenciement de plusieurs dirigeants de l’établissement bancaire, dont son déontologue. Qui, semble-t-il, n’avait aucune connaissance des faits reprochés à son employeur…

Auteur

  • Rozenn Le Saint