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Les visages neufs de l’expatriation

Dossier | publié le : 04.05.2015 | Catherine Abou El Khair, Anne-Cécile Geoffroy

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Les visages neufs de l’expatriation

Crédit photo Catherine Abou El Khair, Anne-Cécile Geoffroy

Fini, l’expat classique ! L’heure est au travailleur mobile, pas forcément français, se déplaçant au sein de grandes régions du monde. Une tendance qui oblige les groupes à remettre à plat leur gestion des hommes.

On les compte désormais sur les doigts de la main. Ou presque. Les expatriés sont en voie de raréfaction dans les multinationales. Au profit d’une nouvelle population, les « mobiles », ou encore les « internationaux », comme certains les nomment. Ces dix dernières années, les entreprises ont totalement repensé leur politique d’expatriation pour se convertir à un nouveau concept, la mobilité internationale. Elles ont aussi cherché à en maîtriser le coût. « Les groupes français réduisent la voilure depuis la fin des années 1990. Et la crise de 2008 n’a fait que renforcer cette tendance. Les expatriés représentent aujourd’hui entre 0,5 et 3 % de leurs collaborateurs », explique Yves Girouard, président du Cercle Magellan, un club professionnel spécialisé dans les ressources humaines internationales.

Dans le groupe Capgemini, par exemple, on compte… 50 expatriés pour 130 000 salariés dans le monde ! Dans le même temps, près de 20 000 salariés de la SSII se déplacent chaque année hors de leur pays d’implantation. Au cours des trois dernières années, le nombre de salariés mobiles du groupe a même crû de 7 % par an. Les relais de croissance n’étant plus dans l’Hexagone, les entreprises tricolores sont friandes de collaborateurs nomades. Mais les conditions de cette mobilité ont évolué. Tout comme l’origine de ces salariés. « Il y a cinq ans, plus d’un expatrié sur deux appartenait au pays d’origine du groupe. Aujourd’hui, la tendance a complètement changé », explique Philippe Lan, directeur compensation & benefits chez STMicroelectronics et président du Cindex, un autre club réunissant des groupes du CAC 40.

Les entreprises s’étant « mondialisées », difficile de réserver la mobilité internationale aux seuls Français. Désormais, ce sont les « TCNs » qui ont le vent en poupe. Les third country nationals, dans le jargon des directeurs mobilité. Des collaborateurs non originaires du territoire de la maison mère qui réalisent des missions dans des pays tiers. Stéphane Watts, directeur mobilité internationale de Safran, voit émerger ces nouveaux profils. « Jusqu’ici, nos compatriotes étaient majoritaires dans notre population d’expatriés. Sur les 450 salariés internationaux, 70 % sont français. Mais l’aéronautique atteint une phase de maturité. Nous avons identifié trois pays, le Maroc, la Chine et le Mexique, dans lesquels certains collaborateurs commencent à vouloir bouger. »

Exigence d’équité

Présent dans 15 pays et riche de 1300 employés, Criteo est aussi touché par le phénomène. Chez ce spécialiste de la mise en relation entre internautes et publicité numérique, les TCNs représentent 40 % des dossiers de mobilité. Le reste provient de mouvements de salariés à partir de la France. « Pour une entreprise qui n’a pas dix ans d’ancienneté, nous avons un niveau de mobilité internationale surprenant. C’est sans doute dû aux profils de nos salariés. Des ingénieurs anglophones, plutôt jeunes, très sensibles au fait de travailler dans des équipes internationales », constate Saïm Bensaada, son directeur compensation & benefits.

Pour attirer et garder les meilleurs – et par ricochet développer leur présence dans les pays en fort développement –, les groupes français ont intérêt à proposer des évolutions de carrière alléchantes. « En Inde, nos efforts de recrutement et de formation sont soutenus par la variété et le volume des missions à l’international que nous proposons à nos nouveaux collaborateurs. Cet atout renforce notre taux de rétention », explique Jean-Baptiste Hebrard, directeur mobilité internationale du groupe informatique Capgemini. « C’est aussi une question de non-discrimination et de responsabilité sociale pour les entreprises qui mettent en place des politiques globales de mobilité. Elles se doivent d’être cohérentes et équitables avec l’ensemble de leurs salariés dans le monde », complète Yves Girouard, du Cercle Magellan.

Histoire de garantir cette équité, les employeurs sont de plus en plus transparents sur les opportunités de carrière qu’ils proposent à l’international. Chez Capgemini, un portail intranet mondial en accès libre permettra bientôt à chaque salarié de postuler directement auprès du pays qui présente une offre. « Au-delà des services RH, nous souhaitons que le collaborateur soit également initiateur de sa mobilité internationale. La charte mobilité y est décrite ainsi que le package auquel il est éligible selon la durée de la mission », indique Jean-Baptiste Hebrard. Une façon de fluidifier le marché du travail interne à l’échelle mondiale. Reste un obstacle de taille : convaincre les encadrants de laisser partir leurs talents. Saïm Bensaada, chez Criteo, a réglé la question : « Dès lors que le salarié a un an d’ancienneté, son manager ne peut pas s’opposer à sa demande de mobilité », explique-t-il.

Critères à respecter

Pour aller au bout de leur logique de transparence et de rationalisation des coûts, les entreprises segmentent des populations qui peuvent prétendre à des missions à l’étranger. Pour chaque profil elles déterminent précisément un accompagnement et un package associé. Afin d’entrer dans le cercle fermé des expatriés de Capgemini, le prétendant doit remplir plusieurs critères : appartenir aux grades supérieurs de l’organisation et démontrer, chiffres à l’appui, que l’expatriation répond à un enjeu critique pour le groupe. La décision finale revient à la direction générale. Chez Safran, Stéphane Watts a défini pas moins de onze statuts pour quatre grandes familles. Ils vont du VIE à l’expatrié en passant par le salarié en contrat local et celui en voyage d’affaires. L’âge, la localisation ou le métier sont autant d’éléments pris en compte. « On se doit d’adopter des règles claires, écrites, justes et équitables. Toute exception est pour le groupe la source de risques juridiques », argumente le directeur mobilité.

Ces règles définissent aussi la nature du contrat en fonction de la durée de la mission. Avec deux tendances majeures : l’intervention de courte durée et le contrat de travail local. Chez Capgemini, 80 % des missions durent moins d’un mois, 15 % jusqu’à un an et seulement 5 % au-delà. La société Criteo, elle, a défini deux durées de mobilité. Selon que la mission, courte, dure moins d’un an ou qu’elle s’étale sur deux ou trois exercices, nécessitant dans ce cas un « long term assignment ». « La personne passe alors en contrat local et nous mettons en sommeil son contrat de travail d’origine, explique Saïm Bensaada. Nous l’accompagnons sur les questions de déménagement, d’immigration, de fiscalité en faisant en sorte que les éléments de rémunération ne soient pas dégradés. »

Complexité administrative

Chez Total, la direction envisage de généraliser le commuting en Europe. Concrètement, les salariés ne partiront plus avec conjoint et enfants. Ils travailleront la semaine dans l’un des 28 pays de l’Union européenne et reviendront passer le week-end en famille. Une façon de réduire le coût de l’expatriation, toujours élevé. Mais aussi de répondre aux évolutions sociétales. Les partenaires, le plus souvent féminins, acceptent de moins en moins facilement d’abandonner leur situation professionnelle. « Il est exceptionnel que les deux puissent faire une très belle carrière à l’international, explique Alix Carnot, directrice du développement d’Expat Communication. Lorsque mon mari a été envoyé en Australie, j’ai vécu vingt mois à Melbourne, dont dix-sept à chercher du travail. Depuis j’ai compris qu’il y avait des méthodes à suivre en décortiquant les approches de ceux qui avaient eu plus de chance. »

La croissance très forte des mouvements de salariés entre pays tiers oblige les groupes à remettre à plat la gestion administrative de la mobilité internationale. Chez Safran, Stéphane Watts a créé un centre de services dédié pour les différentes filiales du groupe. « Nous avons passé avec chacune d’elles un contrat de services », explique-t-il. Même schéma chez Capgemini avec un service mutualisé qui joue désormais le rôle de prestataire interne. Si ces deux sociétés ont fait le choix de la proximité avec leurs collaborateurs, d’autres gèrent leur population internationale depuis des centres de services partagés délocalisés dans des pays à bas coûts comme la Pologne, la Roumanie, les Canaries. D’autres optent pour l’externalisation totale de la gestion de l’expatriation. « Ces entreprises ont alors une logique très transactionnelle. Le calcul du package et la rédaction du contrat de travail sont ainsi délégués », décrypte Yves Girouard.

Optimisation fiscale

Autre solution, la territorialisation. « Plus les entreprises s’internationalisent, plus elles régionalisent leur politique de mobilité », explique Philippe Lan, le président du Cindex. Elles se dotent alors de plates-formes régionales qui centralisent les déplacements dans des zones géographiques. « Ce schéma est intéressant lorsque le volume des mouvements est important », confirme Yves Girouard. Enfin, certaines multinationales se lancent dans la gestion offshore en créant des global employment companies localisées en Suisse ou à Singapour. Les salariés, durablement internationaux –c’est-à-dire réalisant la presque totalité de leur carrière à – l’étranger et changeant régulièrement de pays –, disposent alors d’un contrat de travail de droit suisse ou singapourien. Une solution qui permet à l’entreprise de proposer une stabilité des contrats de travail et des avantages sociaux. Un bon moyen pour traiter tous les collaborateurs, quelle que soit leur nationalité, de façon équitable. Tout en réalisant également de substantielles économies sur le plan fiscal. Tant qu’à faire !

A.-C.G.

La mobilité internationale : une question de GRH… ou pas

Il suffit de regarder la composition du bureau du club Cindex, qui réunit les responsables mobilité internationale de grandes entreprises du CAC 40, pour lever les doutes.

Oui, l’expatriation est bien plus l’affaire des experts en rémunération et avantages sociaux que celle des DRH. Une politique à l’œuvre dans la plupart des entreprises qui ont longtemps considéré la mobilité à l’étranger comme un coût.

Il faut reconnaître que la matière est ultratechnique.

Les spécialistes manient à la fois le droit de la fiscalité, celui de l’immigration, le Code du travail local… Bref, des profils de moutons à cinq pattes qui doivent également savoir parfaitement compter. Mais les DRH n’ont pas dit leur dernier mot. Avec le développement exponentiel des mouvements de salariés à travers le monde, ils pourraient bien reprendre la main. Surtout si les entreprises parviennent à élaborer des politiques de gestion des talents réellement globales. Une question de maturité, aussi. Et d’environnement économique, bien sûr.

Entre 2 et 3 millions

de Français vivent à l’étranger avec leur famille.

0,5 à 3 %

des salariés des grandes entreprises sont concernés par la mobilité internationale.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair, Anne-Cécile Geoffroy