logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Les autoentrepreneurs font recette

Décodages | Royaume-Uni | publié le : 04.05.2015 | Tristan de Bourbon

Image

Les autoentrepreneurs font recette

Crédit photo Tristan de Bourbon

Avec 2 millions d’emplois créés en cinq ans, le gouvernement affiche, à la veille des élections législatives, un bilan plutôt flatteur. Mais 30 % des nouveaux travailleurs sont des autoentrepreneurs. Autonomes, certes, mais précaires et sous-payés.

Vlad sort d’une journée de travail de douze heures. Ce peintre roumain est arrivé au Royaume-Uni il y a un peu plus d’un an après cinq années passées en Italie. « J’avais envie de changer d’air, de voir comment était la vie ici, raconte-t-il. Et je ne suis pas déçu puisque je suis payé 6,5 livres l’heure (le salaire minimal, soit 8,96 euros), ce qui me change considérablement de mes expériences passées, en Italie et en Roumanie. » Sa vie est pourtant loin d’être riante : il n’a pas les moyens de se payer son propre logement et doit partager celui d’un ami dans une lointaine et peu glamour banlieue de Londres. Et surtout, Vlad n’est pas employé. « Je suis à mon propre compte, en autoentrepreneur. C’était plus simple pour mon employeur », explique-t-il.

Sa situation, très courante outre-Manche, fait grincer des dents Hannah Reed. « Nous craignons que les exemples de faux autoentrepreneurs comme celui-là soient nombreux », déplore cette syndicaliste chargée de la politique au sein de la principale confédération britannique, TUC. Un statut abusif car ne respectant pas la réglementation, qui oblige notamment les autoentrepreneurs à avoir plusieurs donneurs d’ordres, sans quoi le travailleur doit être salarié. « Cette solution permet au patron de ne pas payer de charges sociales pour son employé (13,8 % du salaire brut). C’est ce dernier qui doit s’en acquitter. Et il ne bénéficie ni des congés maladie ni de droit à des vacances », dénonce-t-elle. Autre avantage pour le patron, il peut aussi lui réclamer de fournir le matériel de travail nécessaire, qu’il s’agisse d’outils, d’un camion ou d’un ordinateur. Les abus concerneraient principalement les employés de la construction et des services, notamment les coiffeurs, les livreurs et les taxis. Tous les employés du groupe californien Uber sont ainsi des autoentrepreneurs.

Les syndicats et des think tanks ont commencé à s’intéresser au sort et à la réalité du monde des autoentrepreneurs en raison de l’explosion de ce statut depuis le début des années 2000. Et de leur poids dans les bons chiffres de l’emploi actuels. Le Premier ministre, David Cameron, et son chancelier de l’Échiquier, George Osborne, se félicitent actuellement de leurs prouesses : une croissance de 2,8 % du produit intérieur brut en 2014, soit la meilleure du G7, un chômage tombé à 5,7 % et une inflation au plus bas après avoir atteint 5,2 % en septembre 2011. Tous deux savent que l’économie est le premier facteur de vote des électeurs, et que leurs performances pourraient leur valoir d’être reconduits à la tête du pays après l’élection générale du 7 mai.

Revenus au rabais.

Ces belles statistiques cachent pourtant une réalité bien moins flatteuse pour une grande partie de la population. Ce n’est qu’en fin d’année 2014, grâce au passage de l’inflation sous la barre de 0,5 %, que le pouvoir d’achat moyen des Britanniques a progressé pour la première fois depuis le début de la crise financière, en 2008. Entre mai 2010, date de l’arrivée au pouvoir du couple Cameron-Osborne, et janvier 2015, le salaire moyen a augmenté de 10 % dans le secteur public et de 6 % dans le secteur privé alors que l’inflation s’est élevée à 11,4 %. Sur les 1,95 million de nouveaux travailleurs, 590 000 sont des autoentrepreneurs, dont 292 000 à temps partiel. Aujourd’hui, un travailleur britannique sur sept exerce sous ce statut.

À l’occasion d’une étude poussée, la Resolution Foundation, un think tank qui vise à « améliorer les conditions de vie des revenus bas et moyens », a publié des données peu réjouissantes. Seulement 30 % des autoentrepreneurs cotisent à une retraite complémentaire, alors qu’ils sont 52 % de salariés à le faire. Quant à leur revenu moyen, qui était inférieur de 28 % à celui des salariés en 2007, il a continué à plonger depuis la crise pour afficher un écart de 40 % fin 2013.

L’organisation explique cette dégradation par la féminisation du statut – les femmes continuent d’être bien moins payées que les hommes –, mais aussi par sa grande flexibilité en période de crise. « Au lieu d’être licenciés comme les salariés, les autoentrepreneurs réduisent leurs tarifs et leurs heures de travail, ce qui leur permet d’hiberner, de garder un revenu réduit mais toujours réel en attendant la reprise de leur activité, note Izzy Hatfield, chercheuse au sein d’un autre think tank, IPPR. Mais, en fin de compte, cela reste de la flexibilité et permet à l’employeur de faire peser le risque sur l’employé et pas sur lui-même. »

Ambassadeur.

Au pays de l’entrepreneur roi, personne ne les accuse de favoriser le dumping social. Pas même au sein du Parti travailliste, où on applaudit « la poigne, la détermination et l’énergie » de ces indépendants. Tout en s’inquiétant de la dégradation de leur niveau de vie. Mi-novembre, le parti a organisé une conférence spéciale sur leur statut. En réponse, le gouvernement a nommé un « ambassadeur des autoentrepreneurs ». Et Matthew Hancock, le ministre chargé des Affaires, des Entreprises et de l’Énergie, a indiqué qu’il réfléchissait à leur attribuer des congés maternité et à améliorer leur système de retraite. Actuellement, cette forme d’emploi est particulièrement en vogue chez les femmes, les immigrés, les peu diplômés et les quinquagénaires, qui ont plus de mal à trouver un poste de salarié. Et 28 % de ceux devenus autoentrepreneurs depuis 2008 indiquent qu’ils préféreraient être salariés : ils ont pris ce statut par défaut afin d’avoir une activité professionnelle. C’est un peu le cas de Fiona Crawford, 55 ans. Cette ancienne chasseuse de têtes, qui a notamment travaillé pour Enron, Toyota et Eurotunnel, a décidé après une longue maladie de quitter Londres pour créer une halte-garderie dans le sud-est de l’Angleterre. « J’ai pensé que personne n’embaucherait une femme autour de la cinquantaine et j’ai donc créé mon emploi, explique-t-elle. J’adore mon boulot, et je suis très contente, aujourd’hui, de ne pas être employée. »

La satisfaction qu’engendre cette autonomie est largement partagée par les autoentrepreneurs interrogés par la Resolution Foundation. Ils s’avouent bien plus heureux que les salariés. Mais la contrepartie de cette liberté se paie cher, en termes de revenu et de conditions de travail. « Pour des raisons financières, je ne suis pas partie en vacances depuis cinq ans et demi et je ne prends que dix jours de repos par an, week-ends compris. J’ai récemment dû fermer le centre une journée à cause d’une grippe : cela m’a fait perdre 200 livres. Parfois, je me dis que je ne serais pas contre un emploi salarié », témoigne Fiona.

EN CHIFFRES

5,7 %

C’est le taux de chômage au Royaume-Uni fin 2014.

40 %

C’est l’écart de revenu entre les salariés britanniques et les autoentrepreneurs fin 2013.

Source : Bureau national des statistiques.

Auteur

  • Tristan de Bourbon