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L’ordre des licenciements sur la sellette

Idées | Chronique juridique | publié le : 02.04.2015 | Pascal Lokiec

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L’ordre des licenciements sur la sellette

Crédit photo Pascal Lokiec

Déjà modifié en profondeur par la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, le droit du licenciement pour motif économique devrait connaître de nouveaux changements avec la loi Macron. L’un des principaux concerne le mode de sélection des salariés licenciés, aussi appelé ordre des licenciements.

Bien que l’ordre des licenciements soit une étape clé de la procédure de licenciement pour motif économique, il retient peu l’attention comparativement au reclassement.

COMMENT ÇA MARCHE ?

Le licenciement pour motif économique est un licenciement non inhérent à la personne du salarié. Lorsque l’employeur conçoit son plan de licenciements et le présente au comité d’entreprise, il ne vise pas des personnes mais des postes, l’idée étant qu’il n’y a pas de raison que ce soit la personne attachée au poste de travail supprimé qui soit licenciée. L’ensemble des employés de l’entreprise exerçant les mêmes fonctions ont tout autant vocation à l’être. C’est l’ordre des licenciements qui va servir à passer des postes aux personnes, selon un certain nombre de critères. La difficulté, à l’origine de l’essentiel du contentieux, tient au fait que, logiquement, l’employeur a la tentation de choisir les personnes en fonction de l’intérêt de son entreprise, non de critères sociaux.

Pour que l’ordre des licenciements s’applique, il faut qu’il y ait un choix à faire. Cela veut dire, d’abord, que seuls les licenciements économiques sont concernés. Pas d’ordre à prévoir, par exemple, lorsque les suppressions d’emplois ne s’opéreront que par plan de départs volontaires (PDV), à l’exclusion de tout licenciement. C’est là l’un des attraits du recours aux PDV qui permettent aux entreprises de conserver une certaine maîtrise des sortants ; d’ailleurs, dans le silence des textes, de plus en plus de PDV comportent une procédure de sélection pour le cas où le nombre de candidats au départ serait supérieur à celui des suppressions d’emplois.

QUELS CRITÈRES ?

La question des critères de l’ordre des licenciements est évidemment centrale, avec deux approches possibles.

Une approche économique. L’entreprise va chercher à faire partir les salariés en fonction de critères rationnels, essentiellement le coût du salarié pour l’entreprise (on fait partir ceux dont les salaires sont les plus élevés), le coût de son licenciement (montant des indemnités) et ses compétences (l’entreprise a investi pour faire acquérir à certains salariés des compétences spécifiques, rares sur le marché). C’est dans cette perspective que peut être comprise la référence aux qualités professionnelles dans le Code du travail.

Ce critère est d’ailleurs une source fréquente d’abus, comme l’illustre un arrêt récent. Il est apparu aux juges que, pour départager deux peintres, l’employeur a joué de ce critère pour garder celui dont le licenciement s’annonçait le plus coûteux car, l’ayant embauché en contrat initiative-emploi, il aurait dû reverser à l’État le montant de l’aide publique attribuée lors de son embauche. L’employeur avait choisi, après consultation du comité d’entreprise, de favoriser le critère des qualités professionnelles (noté sur 18 points) par rapport aux autres critères, notamment à la charge de famille (notée sur 7 points), à l’ancienneté (sur 4 points) et à l’âge (sur 4 points). Sur ces trois derniers critères, la salariée a obtenu 5 points tandis que son collègue en obtenait 2. En revanche, s’agissant des qualités professionnelles, ce dernier a obtenu une note bien supérieure (16,33 points contre 9,33 points). Ce qui a valu la condamnation de l’employeur, les juges ayant considéré que la note attribuée au titre de la polyvalence, des capacités d’adaptation, des compétences techniques et de l’autonomie était entachée d’un détournement de pouvoir ; selon eux, l’appréciation des qualités professionnelles a été faussée par la volonté de parvenir au licenciement le moins coûteux (Cass. soc., 24 septembre 2014, n° 12-16.991).

Une approche sociale. L’idée est de conserver les salariés les plus vulnérables, eu égard à la fois à leur situation sociale et familiale et à leur employabilité. Elle est omniprésente dans la liste du Code du travail qui comporte, outre les qualités professionnelles, la charge de famille, spécialement celle des parents isolés, l’ancienneté de service dans l’établissement et la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment les personnes handicapées et les salariés âgés.

Comment s’articulent ces différents critères ? La règle est subtile. Le principe est que l’employeur est maître de l’ordre des licenciements. Il est cependant tenu de prendre en compte l’ensemble des critères légaux (charge de famille, ancienneté, qualités professionnelles, difficultés de réinsertion) ou conventionnels (la convention collective peut définir les critères), quitte à en privilégier certains ; c’est ce qui fait qu’est souvent retenu celui relatif aux qualités professionnelles. Par exemple, il n’est pas possible de procéder par paliers, c’est-à-dire de classer par qualités professionnelles et de n’utiliser la charge de famille, l’ancienneté et les difficultés de réinsertion qu’à défaut de pouvoir effectuer un choix entre les salariés au vu du critère qui précède.

Quel que soit le critère choisi, deux conditions sont requises. Il doit d’abord être objectif, ce qui n’est pas le cas du « comportement relationnel » du salarié ou de son « improductivité ». Il doit ensuite être non discriminatoire. Par exemple, prendre en compte l’absentéisme n’est possible que si cela ne conduit pas à discriminer en fonction de l’état de santé du salarié ; de même, la qualité de travailleur à temps partiel n’a pas à jouer.

QUELS PÉRIMÈTRES ?

La définition du périmètre de l’ordre est tout aussi centrale, en pratique, que celle des critères. Dans le but, ici aussi, d’éviter que l’employeur ne cible trop les salariés qui vont être licenciés, deux périmètres ont été tracés.

Un périmètre professionnel. Sont mis en concurrence tous les salariés appartenant à une même catégorie professionnelle, c’est-à-dire ceux qui exercent, au sein de l’entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune. Pourquoi y a-t-il controverse ici Parce que les entreprises préfèrent souvent, pour mieux cibler, prendre en compte non pas les fonctions du salarié, mais le secteur d’activité auquel se rattache le poste supprimé, et qui correspond généralement à celui qui fait l’objet de la restructuration.

Un périmètre géographique. La problématique est identique, mais plus complexe, surtout lorsque le plan de licenciements s’accompagne d’une fermeture de site. Le patronat plaide depuis longtemps pour que le périmètre soit restreint à l’établissement, alors qu’il s’étend actuellement à toute l’entreprise. Concrètement, le salarié finalement licencié peut, en l’état actuel du droit, appartenir à un établissement autre que celui dans lequel le poste est supprimé. La controverse tient au fait qu’en prenant pour périmètre l’entreprise on peut être amené à demander à un salarié affecté à Nice de travailler à Lille, avec un risque élevé de refus, ce qui cause ensuite de redoutables problèmes juridiques (probabilité de licenciements économiques secondaires). L’idée souvent avancée est d’identifier un périmètre permettant la permutation du personnel. Ici est tout l’enjeu du débat autour de la loi Macron.

La solution actuelle, confirmée par la cour administrative d’appel de Versailles dans l’affaire Mory Ducros, est assez équilibrée, car il est possible, par accord d’entreprise, d’aménager le périmètre de l’ordre et, si besoin, de le fixer au niveau de l’établissement. La loi Macron envisage d’aller plus loin puisqu’on permettrait à l’employeur de délimiter, sans recours nécessaire à l’accord collectif, le périmètre au niveau d’une « zone d’emploi dans laquelle sont situés un ou plusieurs établissements de l’entreprise concernés par les suppressions d’emplois ». Nul doute que ce nouveau périmètre, dont les contours sont assez imprécis même si on en trouve une définition dans la nomenclature de l’Insee, fera débat lors de l’examen de la loi devant le Sénat.

La loi Macron et le reclassement

L’un des articles les plus controversés du projet de loi Macron est son article 101 qui prévoit que dans les entreprises en redressement ou liquidation judiciaire le PSE s’appréciera eu égard aux moyens de l’entreprise. L’obligation de prendre en compte les moyens du groupe ne vaudrait donc plus que pour les entreprises in bonis. Outre des considérations vraisemblablement liées à la garantie des salaires, cet article part des défauts du droit actuel. Car si l’administrateur, l’employeur ou le liquidateur doivent prendre en compte les moyens du groupe, ils ne peuvent rien exiger de lui. Aucun instrument juridique ne permet de faire payer la société mère, sauf hypothèse exceptionnelle du coemploi ou d’une action en responsabilité. Plutôt que de renforcer le dispositif existant, et ainsi mieux responsabiliser les sociétés mères, le projet de loi abandonne toute référence au groupe. Avec le risque de rendre purement théorique le plan de reclassements, apprécié eu égard aux moyens d’une entreprise en cessation de paiements. Les critiques ont été en partie entendues : dans sa dernière mouture, l’article 101 prévoit que l’administration homologue le PSE « sans préjudice de la recherche […] des moyens du groupe ». Mais la teneur et la sanction de cette « recherche » sont évasives et appelleront des clarifications lors du débat au Sénat.

Pascal Lokiec

Professeur à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, où il codirige le master 2 Droit social et relations professionnelles. Il vient de publier Il faut sauver le droit du travail chez Odile Jacob (février 2015).

Auteur

  • Pascal Lokiec