logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Poussée de fièvre sociale au Québec

Décodages | publié le : 02.04.2015 | Ludovic Hirtzmann

Image

Poussée de fièvre sociale au Québec

Crédit photo Ludovic Hirtzmann

Dirigé depuis un an par les libéraux, le Québec est en pleine cure d’austérité. Et tourne le dos à sa culture du dialogue social. Le ras-le-bol est palpable. Il pourrait présager un printemps chaud.

Réunis près de l’Université du Québec à Montréal, quelques centaines de profs, parents et fonctionnaires font savoir leur mécontentement, en cette fin de février glacial. « Cette première manifestation est historique. Ce n’est qu’un début pour dénoncer les conséquences des politiques néfastes qu’on nous impose et que les familles et les parents vivent au quotidien », tonne Véronique Laflamme, la porte-parole de la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics. « Le ras-le-bol est partout », prévient la militante. En cette semaine « d’actions dérangeantes », des petits groupes mènent des opérations coup de poing. En tout, une quarantaine de manifestations sont prévues, tels les blocages de la tour de la Bourse de Montréal et du bureau de Philippe Couillard, le Premier ministre.

Objectif ? Marquer les esprits. Les grands rassemblements devraient venir plus tard. Les étudiants ont promis de suivre le mouvement de la fin mars jusqu’en mai. Avec une grande manif début avril. Pour l’instant, les affiches fleurissent. Il y en a pour tous les goûts : « Refusons l’austérité » ou encore « Parti libéral du Québec, dégage ». À gauche, deux jeunes enseignantes emmitouflées secouent mollement un panneau : « Profs contre la hausse ». À droite, des quinquagénaires bobos qui rêvent de refaire le coup du « printemps érable » de 2012. À l’époque, la rue s’était insurgée contre un autre gouvernement libéral, celui de Jean Charest, finalement chassé du pouvoir quelques mois plus tard. Les manifestants de 2015, eux, veulent le retour du dialogue social. Et l’abandon des politiques d’austérité. « Les centrales syndicales préparent la mobilisation, car le nouveau gouvernement veut effectuer un virage à droite avec des coupes dans de nombreux programmes », décrypte Jacques Rouillard, professeur d’histoire à l’Université de Montréal et spécialiste des questions syndicales.

Coupes sévères.

Partant du principe qu’il faut toujours moins d’État, Philippe Couillard a choisi l’austérité. À peine élu, en avril 2014, le Premier ministre expose les grandes lignes de ce qu’il nomme une politique de « rigueur ». Avec pour objectif d’effectuer 5,1 milliards de dollars canadiens (3,7 milliards d’euros) d’économies en 2014 et 2015 pour parvenir à l’équilibre budgétaire en 2016. Pour cela, les ministères sont invités à diminuer leurs dépenses de 2 %, tout en licenciant 2 % de leurs effectifs. Soit 1 150 suppressions de postes sur les 60 000 salariés que compte la fonction publique. Autre mesure, la remise en cause de la politique familiale. Les Québécois, qui disposent d’un important réseau de crèches subventionnées, à 7 dollars par jour, devraient voir le prix de leurs places presque tripler. Dans le cadre d’une réforme très contestée des services de santé – qui sont publics –, les libéraux annoncent aussi la suppression de centaines d’emplois, alors qu’un quart des habitants n’ont toujours pas accès à un médecin de famille. Et doivent se rendre aux urgences pour se faire soigner. Les secteurs de la culture, des transports et des infrastructures subissent aussi d’importantes coupes.

Les mesures d’austérité touchent de plein fouet les employés de la fonction publique, parapublique et municipale, soit environ 550 000 personnes. Et atteignent par ricochet leurs familles. La grogne est palpable au quotidien. Les policiers, les pompiers et les agents municipaux ont notamment manifesté fin 2014 pour défendre leurs régimes de retraite. En vain : le Québec a entériné en janvier une forte hausse des cotisations salariales pour endiguer le déficit de leurs régimes de retraite. Ulcérés, policiers et pompiers ont alors abandonné leurs uniformes puis mené une grève du zèle. Ces réformes sont d’autant plus mal vécues que l’économie locale est plutôt en bonne santé. Le taux de chômage, en baisse, atteignait 7,4 % en janvier, et la dette ne représente que 55 % du PIB. La cote du Parti libéral a d’ailleurs baissé dans les sondages, sans toutefois s’effondrer. Aujourd’hui, seul un tiers des Québécois fait confiance à Philippe Couillard.

La grogne est d’autant plus palpable que le gouvernement a pris les partenaires sociaux de court, en agissant sans consultation. Il a ainsi rompu avec une tradition de dialogue ancrée dans la société québécoise. « Il n’y a pas de tradition de dialogue avec le Parti libéral, qui est une for ma tion politique proche du monde des affaires », explique Jacques Rouillard. Faux, plaide le Premier ministre. « J’écoute. Mais j’écoute aussi le silence, ce qu’il faut savoir faire en politique », déclarait-il en octobre dans un magazine montréalais. Les gouvernements ont historiquement toujours préféré la discussion et le compromis avec les syndicats que le risque d’un coup de force. Les défilés sont donc généralement l’ultime recours lorsque toutes les négociations ont échoué. Les grèves et les manifestations sont d’ailleurs autorisées, mais encadrées. Si les paroles sont parfois dures lors des rassemblements, l’ambiance est plutôt bon enfant.

Jeu dangereux.

Depuis un an, les syndicats, d’ordinaire très puissants – 39,9 % des Québécois étaient encartés en 2012 –, peinent à organiser la riposte. « La première année de mandat est déterminante. Philippe Couillard a très vite fait passer son idéologie ultralibérale et des mesures impopulaires. Il se sent fort. Les libéraux vont maintenant effectuer quelques concessions, mais ils ne reviendront pas sur l’essentiel », confie une négociatrice syndicale du ministère de la Santé et des Services sociaux. À la fin de l’année 2014, il y a bien eu quelques manifestations contre l’austérité. Notamment celles des policiers et des pompiers, mais l’opinion publique a alors refusé de soutenir ceux qu’elle considérait comme des privilégiés. Cette fois, la Coalition contre l’austérité, qui regroupe 85 organisations communautaires, syndicales et étudiantes, est unie. Et populaire.

Faut-il miser sur un remake du « printemps érable », marqué par des rassemblements monstres ? Pas sûr. « Il ne faut pas trop tomber dans le piège de comparer » les deux mouvements, même si « dans les organisations syndicales il y a beaucoup d’anciens du mouvement de 2012 », expliquait mi-février Renaud Poirier Saint-Pierre, représentant du syndicat CSN, au quotidien montréalais le Devoir. La prudence de celui-ci se justifie sans doute aussi par le fait que sa centrale syndicale, tout comme la FTQ, manque terriblement d’un leader charismatique. Philippe Couillard a bien compris les faiblesses de ses adversaires. Mais le chef du gouvernement n’en joue pas moins à un jeu dangereux. Car les coalitions contre l’austérité sont désormais bien organisées. Après trois mois à – 30 °C, le printemps québécois pourrait être chaud !

REPÈRES

Le Québec compte deux grandes centrales syndicales.

FTQ

Fondée en 1957, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec revendique 600 000 adhérents. Présidée par Daniel Boyer depuis 2013, elle est parfois accusée de complaisance avec le patronat.

CSN

La Confédération des syndicats nationaux, née en 1921, compte 300 000 adhérents. Dirigée depuis 2012 par Jacques Létourneau, elle a été créée sous l’influence de l’Église catholique. Elle a mené les grandes luttes ouvrières de la province.

CHIFFRES

39,9 %

C’est le taux de syndicalisation au Québec en 2012.

Auteur

  • Ludovic Hirtzmann