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Jean-Luc Petithuguenin le pater familias de Paprec

Décodages | publié le : 02.04.2015 | Éric Béal

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Jean-Luc Petithuguenin le pater familias de Paprec

Crédit photo Éric Béal

Repreneur de l’entreprise de recyclage il y a vingt ans, son P-DG n’a cessé de la développer. Conditions de travail, diversité, promotion interne, charte de la laïcité…, il s’attache au management des hommes. Avec un paternalisme revendiqué.

Un bulldozer rassemble inlassablement les papiers en tas pour alimenter une chaîne de tri. À l’intérieur, cinq manutentionnaires, casqués et gantés, attrapent cartons et papiers de couleur le long d’un tapis roulant. Objectif : ne laisser passer que le papier blanc… Bienvenue à La Courneuve, sur un site de La Corbeille bleue, l’entité de Paprec Group spécialisée dans le tri des déchets de bureau. De belles dimensions, le bâtiment est un ancien atelier SNCF autrefois dédié à la réparation des locomotives. Aujourd’hui, des camions le traversent pour déverser leur chargement. Ou récupérer les balles de papiers et de cartons triés destinés à être recyclés.

Paprec recycle plus de 40 000 tonnes de papiers de bureau, archives et documents confidentiels chaque année. Mais ce n’est qu’une partie de l’activité de l’entreprise qui, au fur et à mesure de sa croissance, s’est mise à recycler les plastiques, les déchets de chantiers, la ferraille, le bois, les déchets industriels ou encore les véhicules hors d’usage et les pneus. Quand il reprend Paprec, en 1994, Jean-Luc Petithuguenin peut compter sur à peine 50 collaborateurs et trois ou quatre clients. Une sacrée baisse de régime pour l’ancien dirigeant de la branche recyclage de la Compagnie générale des eaux – aujourd’hui Veolia –, forte de quelque 15 000 salariés à l’époque. « J’ai toujours cru en l’avenir du recyclage. C’est le seul moyen de partager le développement économique entre les habitants de la planète sans l’épuiser. J’avais la conviction que, pour devenir le meilleur, il fallait se spécialiser. C’est pour ça que j’ai quitté la Générale des eaux », explique l’intéressé. Vingt ans après, sa PME est devenue un groupe, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 930 millions d’euros en 2014. Et emploie plus de 4 000 personnes. Et ce n’est pas fini, promet son emblématique patron, qui contrôle quelque 65 % du capital, aux côtés de BPI France (ex-Fonds stratégique d’investissement), de BNP Paribas et du Groupe Arnault.

1 Parier sur la croissance

« Un tiers des matières premières utilisées par l’industrie est issu du recyclage. Mais la proportion atteindra les deux tiers au cours du XXIe siècle. » À en croire Jean-Luc Petithuguenin, dont l’entreprise compte déjà 20 000 clients dans 50 pays, le business de demain ne se résume pas à la Net économie. Pour développer Paprec face aux deux géants du secteur, Veolia et Sita, le patron réinvestit l’essentiel des bénéfices. En vingt ans, le cumul avoisine 900 millions d’euros. Dans cette aventure entrepreneuriale, l’homme s’appuie sur des convictions écolos. « Nos objectifs ne sont pas financiers. Même si les résultats sont indispensables, notre métier a une finalité qui dépasse l’entreprise. Nous contribuons à sauvegarder la planète », assure-t-il.

L’entrepreneur a d’abord développé son entreprise par croissance organique. Mais il a également avalé une cinquantaine de PME au fil des ans. Histoire d’élargir ses activités dans tout le champ du recyclage, à l’exception du verre et des vêtements, deux secteurs déjà passablement encombrés. L’histoire de cette expansion se lit dans l’organisation de ce groupe très décentralisé, dont les 36 filiales sont gérées de façon très indépendante. Pour construire une culture commune, éviter les baronnies ou la balkanisation du collectif en fonction des ethnies ou des religions, le nouveau patron a cherché à souder ses troupes autour de quatre valeurs : diversité, professionnalisme, excellence et esprit d’équipe. En donnant sa chance à tous, sans tenir compte de l’âge, du sexe ou des diplômes. Ce qui ne l’empêche pas de se conduire, aussi, en chef de clan en accueillant ses enfants au sein de son entreprise : son fils aîné, diplômé de l’ENS lettres et de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique, est son bras droit. Le cadet, sorti de l’école de journalisme du Celsa, travaille à la communication. Et le petit dernier a été nommé il y a huit mois au poste d’adjoint au directeur délégué commercial France.

2 Miser sur la diversité

Au sein de Paprec, le mélange entre diplômés du supérieur et autodidactes se retrouve dans toute la ligne hiérarchique. De nombreux cadres intermédiaires ou supérieurs sont ainsi sortis du rang, en bas de l’échelle. À l’image d’Alberto Martins, le directeur national des exploitations. « Il connaît le terrain. Il fait attention aux détails là où j’aurais tendance à m’intéresser exclusivement aux grands équilibres », apprécie Sébastien Petithuguenin, le DG adjoint. Ou d’Elvio Pereira, aujourd’hui responsable du site (ou agence en langage interne) de Malesherbes, qui a commencé sa carrière comme chauffeur. « La DRH organise une détection des talents, explique ce dernier. Elle ne tolère pas qu’un chef d’agence ne fasse pas remonter la volonté d’évolution d’un salarié. »

Autre exemple, Miroslav Rancic, responsable d’exploitation du site de La Courneuve. D’origine yougoslave, celui-ci est entré dans l’entreprise comme manutentionnaire en sachant à peine parler français. « L’entreprise a organisé des sessions d’alphabétisation, j’en ai profité. Tout le monde peut progresser ici », affirme-t-il. « Chaque mois, une réunion, en présence du P-DG, est consacrée à la détection des talents. Lorsqu’un poste est à pourvoir, nous cherchons d’abord des candidats en interne avant de lancer un recrutement », précise Sylviane Troadec, la DGA chargée des RH et de l’industrie. L’entreprise a également signé un accord sur l’égalité professionnelle et retient des places en crèche pour aider les mères ayant du potentiel à prendre des responsabilités. Pas d’angélisme dans ces mesures, comme l’explique Sébastien Petit huguenin. « La diversité est la clé de la réussite de Paprec. Quand vous avez des profils très différents au sein du management, il n’y a pas de bataille d’ego. Cela engendre une ambiance plus sereine et pousse les managers à s’écouter et à coopérer. »

Assumant la logique jusqu’au bout, et jusqu’en bas de l’échelle, Jean-Luc Petithuguenin a fait plancher ses équipes sur l’élaboration d’une charte de la laïcité et de l’égalité, en 2013. Avec l’idée que l’observation d’une stricte neutralité au sein de l’entreprise serait un rempart à la montée des tensions sociales et religieuses. Le projet a séduit en interne puisque l’ensemble des instances a voté son adoption à l’automne 2013. Légalement, le texte est pourtant fragile car une jurisprudence de la Cour de cassation réserve la laïcité aux missions de service public. Mais, en l’absence de contestation interne, la charte est affichée dans tous les sites.

3 Assurer des conditions de travail de qualité

Installée dans le port de Gennevilliers, sous l’autoroute A 15, l’agence Paprec spécialisée dans les déchets de chantiers reçoit des chargements de gravats mélangés à des morceaux de bois, des cartons et de la ferraille. Ils sont valorisés à hauteur de 80 % des volumes. Un premier tri s’effectue à ciel ouvert avec une tractopelle, puis les gravats passent par une chaîne de tri enveloppée dans un nuage de poussière. « Les gars reçoivent deux jeux de vêtements de travail par an. Ils disposent non seulement de douches, mais également d’une machine à laver et d’un sèche-linge sur le site », indique Vincent Happe, le responsable d’exploitation. Dans un secteur qui cumule petits salaires et mauvaises conditions de travail, Paprec fait figure de bon élève. Lors des rachats de ses concurrents, le groupe remet à niveau l’outil de travail et les locaux réservés au personnel. « Je veux avoir le sentiment de pouvoir prendre une douche moi-même », clame Jean-Luc Petithuguenin, qui visite chaque année plusieurs des sites de l’entreprise.

Côté rémunération, le groupe affiche une politique volontariste. « Personne n’est payé au Smic. Au minimum, les salariés ont 150 euros en plus », expliquent les managers. Le montant annoncé peut varier d’une agence à l’autre, mais l’avantage est aussi relevé par les représentants du personnel. Même si les uns et les autres oublient de préciser que cette mesure salariale ne s’applique qu’au bout de trois ans d’emploi en CDI. « Nous avons également institué un treizième mois. Pour avoir des salariés motivés, il faut les payer correctement », insiste Sébastien Petithuguenin. Quant à la participation, elle reste attachée aux résultats de chaque agence.

Cette volonté d’offrir un package de bonne qualité ne se limite pas à la rémunération. Tous les salariés du groupe bénéficient ainsi de la même mutuelle et les comités d’entreprise sont dotés de 90 euros par an et par personne au titre des œuvres sociales. Confronté à la multiplication des demandes d’aide, le groupe a aussi recruté une assistante sociale qui tient des permanences partout en France. « Les ouvriers ont du mal à se loger, surtout en région parisienne. Nous sommes intervenus à plusieurs reprises auprès d’organismes HLM pour éviter des expulsions ou appuyer des demandes d’appartement », précise la DG adjointe aux RH.

En retour, l’entreprise entend disposer de salariés motivés. « On teste les nouveaux grâce à l’intérim et aux périodes d’essai. Nos chauffeurs sont nos ambassadeurs auprès des clients, ils doivent être capables de faire preuve de gentillesse, d’écoute, de ponctualité et de discrétion », illustre Yves Lorieux, le directeur de La Corbeille bleue. Pour récompenser l’engagement de ses salariés, Jean-Luc Petithuguenin a créé les Castors d’or, un lointain cousin de l’ordre des Compagnons du minorange institué par Francis Bouygues. Chaque année, une trentaine de salariés méritants, choisis par leur manager et issus de tous les métiers de l’entreprise, sont récompensés. Ils se voient remettre un diplôme au cours d’une cérémonie officielle et participent à un voyage d’une semaine à l’étranger, avec des membres du comité directeur. « Ce programme participe du développement d’un esprit de solidarité et de fraternité », insiste Sébastien Petithuguenin.

4 Choisir ses partenaires sociaux

Patron social et paternaliste, Jean-Luc Petithuguenin a organisé son groupe en 36 filiales. Des entités juridiques distinctes, avec leurs propres instances de représentation du personnel. Aucune volonté de la direction de simplifier cette organisation très éclatée, qui oblige à multiplier les élections professionnelles et les réunions avec les élus. « Cela nous permet d’avoir un dialogue social de terrain », justifie Sylviane Troadec.

Cette décentralisation permet aussi d’établir des barrières efficaces pour éviter les échanges entre représentants syndicaux. Éric Scherrer, le président du Seci-Unsa, premier syndicat de l’entreprise, a beau revendiquer « une relation très constructive avec le P-DG », les relations sociales ne sont pas toujours idylliques. À l’image des difficultés rencontrées par Abdelatif Mahmoudi, secrétaire national à l’Unsa Transport, pour installer une section syndicale dans le Val-d’Oise. « Le directeur du site a mis la pression sur le délégué syndical que j’avais nommé, et il a craqué. Chaque directeur gère son affaire de façon indépendante et anime le dialogue social comme il l’entend », assure-t-il.

Secrétaire de l’union locale CGT de La Courneuve, Gérard Mantovani clame haut et fort, lui aussi, son mécontentement. « C’est une entreprise autoritaire qui fait la chasse aux salariés revendicatifs. Lorsqu’ils veulent se débarrasser de quelqu’un, ils lui mettent la pression et règlent l’affaire par une transaction financière », dénonce-t-il. Et de citer l’exemple d’une jeune femme récompensée par un Castor d’or puis licenciée pour avoir contesté les résultats d’une élection professionnelle. Il assure ne jamais être invité à négocier les protocoles électoraux.

Ces critiques contrastent avec la satisfaction exprimée par Samir Benabbad, délégué CGT de France Plastiques Recyclage (un joint-venture créé avec Sita), qui s’apprête à renégocier le système de primes. « J’ai vécu la pression avec l’ancienne direction, qui a tout fait pour me virer. Mais, depuis le changement de directeur, les valeurs du groupe sont de nouveau respectées », se réjouit-il. Des témoignages divergents, qui laissent à penser que Paprec manque encore d’une culture sociale clairement affirmée dans tous ses sites.

EN CHIFFRES

59

c’est le nombre de nationalités dans le groupe.

71 %

des embauches ont donné lieu à un CDI.

25 %

de l’effectif est cadre ou agent de maîtrise.

Source : Paprec.

EN CHIFFRES

Une croissance de 27 % par an

(chiffre d’affaires, en millions d’euros)

Auteur

  • Éric Béal