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L’envie d’ailleurs des jeunes Lillois de l’E2C

À la une | publié le : 02.04.2015 | Anne Fairise

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L’envie d’ailleurs des jeunes Lillois de l’E2C

Crédit photo Anne Fairise

Sans qualification ni diplôme, les jeunes de l’École de la deuxième chance du Grand Lille anticipent leurs difficultés d’insertion professionnelle. Et se rêvent entrepreneurs, ou travaillant à l’étranger.

Oublié, le projet d’endosser la blouse d’employé de libre-service ! Lorsqu’on lui demande de se projeter à cinq ans, Maxence, 19 ans, voit grand. Très grand. « Idéalement », il s’imagine en entrepreneur fortuné et décontracté, sautant d’un continent à l’autre, capable de racheter LE géant américain des sodas. « Je vous informe que je vis aux États-Unis, que je travaille chez Coca-Cola et que je vais racheter l’entreprise ! Je passe ce week-end en France. Si vous voulez, nous pouvons prendre un café… », lit-il, calme en apparence. Mais sous la table, son pied danse la gigue. Sa missive à Jean-Claude Baudens, le directeur interrégional Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Normandie d’ERDF, assis au bout de la table, provoque un large sourire chez l’intéressé. Et une franche rigolade chez les cinq autres « jeunes dynamiques » de l’École de la deuxième chance (E2C) Grand Lille, réunis ce vendredi de la fin février pour leur ultime déjeuner avec le cadre dirigeant.

En un mois, ils ont déjà eu l’occasion de travailler avec lui, à trois reprises, sur les attendus d’un entretien d’embauche. Apprendre à parler devant un groupe, à exposer son projet professionnel – élaboré à coups de stages et de remises à niveau ciblées –, à argumenter sur ses qualités et ses compétences, à valoriser ses expériences, bref à se raconter « en une histoire qui donnera envie »… Voilà l’exercice qu’ils peaufinent, déjeuner après déjeuner, avec l’employeur nordiste (5 000 salariés), qui se prête volontiers au jeu. Comme d’autres, issus d’Orange, de Bonduelle, du Crédit du Nord, l’ont fait précédemment avec d’autres jeunes. Cette mise en situation porte ses fruits, d’après les statistiques de l’école des décrocheurs. Les « JD », comme on appelle ici les participants à ces groupes, renouent plus efficacement avec la formation ou l’emploi durable que les autres jeunes, sans qualification ni diplôme, souvent déscolarisés, qui ont intégré l’E2C.

CHEF ÉTOILÉE

Surprise, lorsqu’ils s’imaginent dans cinq ans, ces jeunes dessinent un horizon d’entrepreneuriat ou une vie professionnelle à l’étranger. Ophélie, 19 ans, se voit en chef étoilée, ayant ouvert son restaurant, opportunément baptisé « La Rencontre ». Linda, 18 ans, ambitionne, elle, de créer son entreprise, dans la médiation, mais tout en multipliant les voyages humanitaires au Sénégal. Comme Michaël et Djilla, qui espèrent travailler à Londres, le premier « dans une entreprise francophone », la seconde comme hôtesse de caisse. Il n’y a que la timide Laura, toujours sur la réserve, qui s’imagine salariée dans le coin, en CDI.

Cette envie, d’ailleurs, constituerait-elle une réaction face à la situation de l’emploi particulièrement dégradée dans la région, avec son chômage proche de 13 % ? Assia Mezidi, qui les aide à définir leur projet, n’a pas de réponse certaine : « Peut-être ont-ils aussi, comme les jeunes qualifiés, une vision plus européenne du travail. » Mais elle ne voit que du positif dans ces volontés affichées de créer sa société ou de travailler hors des frontières de l’Hexagone. La marque d’une évolution, et d’une ouverture. Car la plupart n’ont jamais quitté la région. « Cet exercice suscite souvent des réactions de colère lorsque je le propose. Je dois toujours repréciser l’intitulé : que feriez-vous dans l’idéal ? Cela remet les choses à distance », commente la formatrice.

Pas facile de se projeter quand on peine déjà à savoir vers quel métier s’orienter. Lorsqu’on en est encore à réapprendre à se voir « en positif » après un parcours de ruptures, scolaires et souvent familiales, qui a cisaillé la confiance en soi. Lorsque le monde du travail reste un objet encore confus et bien lointain. Pour presque tous, l’expérience professionnelle se résume à la poignée de stages décrochés depuis leur entrée à l’E2C du Grand Lille. Car celle-ci fait de l’alternance la clé de voûte du parcours individualisé de neuf mois proposé entre ses murs. Il n’y a que Djilla, la plus âgée du haut de ses 22 printemps, à avoir une expérience déjà solide. Trois ans dans la vente, en Iran, dont elle est originaire. Et un parcours tout tracé. « Je rêve de devenir hôtesse de caisse depuis que je suis toute petite. J’ai toujours aimé les maths », précise la jeune femme dans un français chantant. Et tout sourire, bien qu’elle vienne d’être recalée à un entretien pour un contrat de professionnalisation. Pour le reste, elle ne sait pas. Elle vise plutôt une « grande entreprise ». Mais l’important pour elle, comme pour tous, c’est de décrocher quelque chose : une formation qualifiante, de préférence, ou un job.

« ILS VEULENT DE L’EXPÉRIENCE ».

Un horizon indépassable, qui éteint toute velléité de poser des conditions d’emploi ou de salaire. Ce qui n’interdit pas de rêver à un poste stable ou à une rémunération garantie. À l’image de Laura qui, comme sa mère, veut devenir employée polyvalente en restauration scolaire et préférerait un CDI. Ou de Maxence qui, au vu des fins de mois difficiles de ses frères, commerciaux en porte-à-porte, ne veut pas « accepter un salaire variable ». Le travail comme source d’épanouissement et de réalisation, ce n’est pas un sujet chez les JD. En tout cas, il ne s’exprime pas. « Faut déjà trouver la bonne entreprise. Beaucoup nous ferment les portes. Ils veulent de l’expérience et on n’en a pas », reprend Maxence, qui vient d’apprendre que le supermarché dans lequel il effectue un stage comme employé de libre-service refuse de le prolonger. « Je pense que je ne vais pas assez vite pour mettre les produits en rayons », note le jeune homme, lucide, qui privilégie un retour en formation.

Laura, elle, anticipe déjà avec angoisse sa sortie de l’E2C le 7 juillet. « Si je ne trouve rien, je vais me retrouver à la mission locale ou à Pôle emploi », lâche la blonde Lilloise, déscolarisée pendant trois ans, qui peine à trouver des stages dans la médiation. Et ne cache pas son amertume : « Même pour les stages, les entreprises privilégient les jeunes en formation. Comment on peut se faire une vision des métiers ? » Tous partagent une vision plutôt noire du travail. « Dans les stages, on te confie tout ce que les autres ne veulent pas faire », assène Ophélie, qui multiplie les expériences dans la restauration collective. « Je ne me vois pas rester salariée. » D’où l’importance du groupe des JD, qui offre un contact direct avec des cadres dirigeants. Maxence en est encore tout étonné. « Ça fait bizarre d’être avec un employeur autrement que dans l’entreprise. Dès la première séance, M. Baudens nous a dit de le tutoyer. Vous croyez qu’il est comme ça avec ses employés ? »

Auteur

  • Anne Fairise