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Entre législation protectrice et réalités du terrain

Dossier | publié le : 07.03.2015 | S.G.

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Entre législation protectrice et réalités du terrain

Crédit photo S.G.

Si le droit à la déconnexion ne figure pas dans la loi, le Code du travail protège les salariés des abus, notamment en matière de durée du travail. Ce qui doit inciter les entreprises à encadrer les usages.

Toutes les parties prenantes le reconnaissent : encadrer, voire réglementer le droit à la déconnexion, s’avère très difficile à mettre en œuvre. D’ailleurs, le peu d’initiatives prises jusqu’à présent en France (voir les pages précédentes) permet de constater l’ampleur de la tâche. Et si l’Allemagne apparaît dans ce domaine comme une bonne élève, seules quelques très grandes entreprises sont concernées pour le moment. Actuellement, le droit à la déconnexion ne figure pas dans la loi française. Néanmoins, le Code du travail protège les salariés des abus, y compris de ceux liés à l’utilisation des outils numériques. « Le droit du travail n’a pas besoin d’être modifié. Ce sont les pratiques des entreprises qui doivent s’adapter. Le salarié est tenu à des horaires de travail qui doivent être respectés et il peut engager une action contre son employeur s’il y a des dépassements qui ne sont pas prévus dans le contrat de travail », rappelle en effet Charlène Gabillat, avocate au cabinet Mathias.

Dans un arrêt du 17 février 2004, la Cour de cassation précise notamment qu’un employeur ne peut pas sanctionner ni licencier un salarié qui ne répond pas aux appels téléphoniques de son employeur, reçus sur son portable, pendant son temps de repos. En théorie, ces éventuels temps de connexion en dehors des horaires de travail constituent donc des heures supplémentaires qu’il convient de rémunérer ou de récupérer comme telles. Sauf qu’en pratique aucun employeur ne s’y résout, quand bien même les syndicats le revendiquent. Seule solution, aller devant le juge pour réclamer le respect du droit et le paiement de la surcharge de travail. Une option que les salariés n’activent que lorsqu’ils quittent l’entreprise. Mais d’autant plus facilement qu’ils ont des preuves écrites, tels des mails ou des SMS ! Résultat, des condamnations parfois très coûteuses pour leurs patrons…

Des chartes à mettre à jour

Burn out, suicide… Les conséquences d’un temps de travail excessif, et d’une absence de séparation entre vie privée et vie professionnelle, peuvent même devenir dramatiques. Autant de raisons qui doivent pousser l’employeur à prendre le maximum de précautions. D’abord, en édictant une charte annexée au contrat de travail. Le document doit préciser les modes d’utilisation des outils informatiques dans et hors de l’entreprise. Par exemple, si celle-ci est favorable au Cope (corporate owned, personally enabled, qui signifie que le matériel lui appartient mais que ses salariés peuvent s’en servir à des fins personnelles), elle doit préciser qu’elle pourra détruire les données en cas de perte ou de vol du matériel. De même, la charte peut formaliser l’interdiction ou la restriction d’envoi de courriels pendant les périodes de repos et de suspension du contrat.

Autre pratique qu’il est possible d’encadrer : les visioconférences ou les réunions téléphoniques en horaires décalés, qui concernent en premier lieu les multinationales, organisées de façon matricielle, avec des équipes dispersées sur tous les continents et donc des horaires de bureau complètement différents. Dans ce cadre, le salarié français peut être amené à se connecter en dehors de ses heures de travail habituelles et légales. « Prendre ces mesures est autant dans l’intérêt du salarié que de l’entreprise. Et il est important de mettre à jour les chartes afin de coller au mieux à l’évolution des usages », souligne Charlène Gabillat. Tout en reconnaissant néanmoins les limites de l’exercice : « Les entreprises peuvent toujours limiter l’usage des appareils professionnels. Mais rien n’empêche le collaborateur de se connecter ou de travailler avec ses propres terminaux. » D’autres bloquent les serveurs de messagerie pendant la nuit ou le week-end. Ou bien interdisent l’accès aux locaux professionnels au-delà d’une certaine heure. Mais, là aussi, les conséquences peuvent s’avérer pires que le remède. Avec l’afflux de mails le lundi matin et le développement « sauvage » du travail à domicile.

Accord de branche

En dehors des entreprises, d’autres initiatives se mettent en place. Ainsi, en avril 2014, un avenant à un accord de branche sur le temps de travail a été signé par les fédérations patronales Syntec et Cinov et les syndicats CFDT et CFE-CGC. L’accord, qui concerne les salariés au forfait jours (soit 200 000 à 250 000 salariés, généralement des cadres en autonomie complète), érige « une obligation de déconnexion des outils de communication à distance pour garantir le respect des durées minimales de repos imposées par la réglementation française et européenne sur la charge de travail et les temps de repos minimaux ».

Pour Max Balensi, le délégué général de Syntec, cet accord constitue une réelle avancée. « Il résulte de plusieurs constats. Dans notre branche, nous avons beaucoup de cadres, des diplômés bac + 4, + 5, qui demandent de l’autonomie. Par ailleurs, les outils numériques amènent une grande porosité entre vie professionnelle et vie personnelle. Face à ce principe de réalité, nous avons essayé de mettre en place un droit à la déconnexion. Mais pas à partir de dispositions “couperets”. L’entreprise doit pouvoir adapter le texte à son activité. » De fait, près d’un an après la signature de l’accord, on en reste encore largement à des annonces d’intention.

« Le droit à la déconnexion va se propager de manière pragmatique car c’est dans l’intérêt de tous, employeur et salariés. Il faut éviter la pénalisation ou la prise de risques. Et comme le salarié n’est pas toujours dans son entreprise, ce sera à l’employeur de s’assurer que la déconnexion est bien effective », assure Max Balensi. L’accord offre aussi, et surtout, un référentiel juridique aux TPE et aux PME, qui représentent 95 % des 80 000 entreprises de la branche. « Les grandes structures n’en ont pas besoin pour avancer sur le sujet. En revanche, il faut accompagner les petites sociétés. Leurs salariés cadres veulent de la flexibilité mais il faut les aider à déconnecter, il faut donner des signaux », insiste le dirigeant. Reste à propager la bonne parole en dehors des secteurs de l’informatique et du conseil. Et pour l’instant, les branches ne se précipitent pas pour négocier sur ce thème pourtant essentiel.

Le télétravail, une pratique très encadrée par la loi

Le télétravail participe-t-il du débat sur le droit à la déconnexion ? Pas vraiment. Car cette modalité d’organisation du travail, hors des locaux de l’entreprise, ne déroge en rien au droit commun en ce qui concerne la durée du travail ou le décompte et le paiement des heures supplémentaires éventuelles.

La pratique n’en reste pas moins strictement encadrée par la loi, notamment celle du 22 mars 2012 qui précise les obligations des salariés et des employeurs. Le choix du télétravail doit, notamment, figurer dans le contrat de travail ou faire l’objet d’un avenant. À l’intérieur de ce cadre, rien n’empêche les entreprises d’adapter le processus. La SNCF, par exemple, impose une visite au domicile par un organisme extérieur pour vérifier les conditions de travail. Et le contrat est signé pour un an renouvelable. Chez Thales, l’accord rappelle, lui, des règles de bon sens. Il stipule qu’ » il est reconnu au télétravailleur un droit à la déconnexion en dehors des horaires de l’établissement dans lequel il accomplit normalement sa mission ».

Auteur

  • S.G.