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Vent de rébellion sur les syndicats espagnols

Décodages | publié le : 07.03.2015 | Cécile Thibaud

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Vent de rébellion sur les syndicats espagnols

Crédit photo Cécile Thibaud

Accusées de soutenir les politiques d’austérité, les deux centrales historiques font face à la fronde d’une partie de leurs militants. Qui les somment d’être plus combatives face à la crise.

La révolte gronde dans le monde syndical espagnol. L’hégémonie des deux grandes centrales, UGT et Commissions ouvrières, est remise en question par plusieurs courants de contestation. Ce que leur reprochent les mutins ? Leur faible résistance aux politiques d’austérité du gouvernement depuis le début de la crise. Alors que les partis politiques de gauche sont bousculés par l’irruption du nouveau parti antiaustérité Podemos, les critiques s’étendent au monde syndical. Elles fusent, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des deux organisations, alors que les protestataires s’organisent pour réclamer un syndicalisme plus combatif.

« Nous n’avons pas besoin de dirigeants qui signent des pactes avec le gouvernement et posent pour des photos ; nous voulons un vrai syndicat de classe, qui lutte sur le terrain », affirme Xaquin Garcia Sinde, militant des Commissions ouvrières (CCOO) depuis trente-cinq ans, au chantier naval de Navantia, en Galice, qui agite le drapeau de la révolte depuis la base. Décidé à rénover son syndicat de l’intérieur, il est l’un des fondateurs du courant dissident Ganemos CCOO (Gagnons CCOO), une initiative née en octobre dernier qui remet en question l’actuelle direction du syndicat et demande l’ouverture d’un grand débat interne. Par le biais d’Internet et des réseaux sociaux, ils ont mobilisé quelque 1 300 militants des CCOO, affiliés « de base » surtout. Mais aussi des délégués en entreprise et quelques responsables locaux qui débattent et s’organisent pour réclamer le changement depuis la base. « Il y a un énorme malaise chez les militants, ils ne se sentent plus représentés par un syndicat trop déconnecté de la réalité », explique Garcia Sinde. Et celui-ci d’appeler à revenir aux origines de son syndicat, né comme mouvement clandestin sous le franquisme. « Les dirigeants actuels des syndicats ont baissé les bras, ils ne défendent plus les travailleurs précarisés et humiliés, alors que les réformes du gouvernement les dépouillent de leurs droits sociaux. Nous sommes dans une situation d’urgence, il faut organiser la résistance face aux politiques d’austérité », poursuit-il.

Passivité des organisations.

C’est en fait toute la stratégie syndicale de ces dernières années qui est remise en question. En effet, les deux grandes organisations qui dominent le paysage syndical espagnol, UGT (proche du Parti socialiste) et CCOO (liées au Parti communiste), ont choisi depuis le début de la crise, apparue pendant l’été 2007, de s’allier pour défendre la paix sociale et le dialogue avec le gouvernement. Elles se sont tenues à cette ligne, préférant la négociation à l’affrontement. Tandis que le chômage explosait – il a triplé en sept ans, dépassant les 26 % – et que le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy mettait en place une série de réformes pour flexibiliser le marché du travail. Pour les experts des organismes internationaux, cette attitude prudente montrait « le sens de la responsabilité » des syndicats espagnols. Depuis Bruxelles ou le FMI, on applaudissait ces organisations qui avaient réussi à éviter des explosions sociales « à la grecque ». Mais ces éloges pourraient bien leur coûter cher, car pendant ce temps, sur le terrain, le fossé se creuse chez les militants de base, déçus par la passivité de leurs organisations.

« Faut-il vraiment applaudir des syndicats qui ne se font plus entendre ? » s’interroge Manuel Rodriguez, professeur de lycée à Madrid, qui participe au cercle de réflexion sur le syndicalisme du nouveau parti Podemos, décidé à remettre en question les deux grandes centrales. « Nous voulons retrouver la raison d’être des syndicats, dit-il, ouvrir des débats et renouer avec un esprit combatif, alors que la droite et la gauche semblent être prisonnières du même modèle économique imposé depuis Bruxelles. » Tous ces reproches sur la dérive syndicale rejoignent le discours du nouveau parti antiaustérité Podemos (littéralement « Nous pouvons »), qui a fait une irruption fulgurante au printemps 2014 avec son discours contre la « vieille politique », jugée inefficace et corrompue, à droite comme à gauche. Un an seulement après sa création, Podemos est déjà donné en tête, à gauche, dans les sondages. Et l’organisation a fait descendre dans la rue des dizaines de milliers de personnes, le 31 janvier, à Madrid. Certes, elle fustige surtout les partis. « Mais elle épargne peu les syndicats, qui sont vus comme complices de cette gauche installée, souligne le politologue Fermin Bouza, professeur à l’université Complutense de Madrid. On leur reproche d’être incapables de formuler un discours alternatif face à la crise. » Explosif, alors que se profilent, à l’automne, les élections législatives.

Affaires de corruption.

Certains militants de Podemos ont décidé de sauter le pas. Plutôt que de tenter de réformer les organisations existantes et de lutter contre les appareils en place, ils se sont lancés en octobre dernier dans la création d’un nouveau syndicat. Baptisé Somos sindicalistas (« Nous sommes syndicalistes »), celui-ci est en cours de constitution. « Nous voulons revenir à une action de terrain, proche des travailleurs, alors que les grands syndicats ont dérivé vers un clientélisme politique », affirme Francisco Torrico, l’un des fondateurs, qui dénonce « les dirigeants installés, loin des préoccupations des travailleurs, et leur connivence avec les politiques d’austérité ». La nouvelle formation compte attirer les syndicalistes déçus et ceux qui n’ont jamais été encartés.

Ce n’est pas un hasard si tous ces mouvements de contestation, internes et externes, surgissent alors que les syndicats sont embourbés dans plusieurs dossiers de corruption. En Andalousie, des responsables de l’UGT sont soupçonnés d’avoir détourné des fonds destinés à l’emploi. À Madrid, des dirigeants des CCOO et de l’UGT ont aussi bénéficié sans sourciller durant des années de l’utilisation frauduleuse de cartes de crédit d’entreprise. Autant d’affaires qui creusent le fossé avec les militants et sapent la crédibilité des organisations. « Comment a-t-on pu en arriver là ? » interroge Xaquin Garcia Sinde, qui presse son syndicat, CCOO, de prendre des mesures exemplaires contre les corrompus.

La présence de la rébellion syndicale est encore symbolique. « Elle se trouve plus dans les journaux que dans les entreprises », ironisait il y a peu le leader des CCOO, Ignacio Fernandez Toxo. Mais la montée en puissance de Podemos pourrait donner des ailes à Somos sindicalistas. Et déboucher sur la révolution interne prônée par Ganemos CCOO. Il est encore trop tôt pour savoir si ces initiatives, encore embryonnaires, vont engendrer un bouleversement du paysage. Mais nul doute qu’elles font état du malaise des militants. Elles devraient obliger les syndicats en place à réagir, même s’ils s’abritent pour l’instant derrière un silence prudent.

REPÈRES

CCOO

Né en 1976, le syndicat Commissions ouvrières trouve ses racines dans les mouvements clandestins d’opposition au franquisme.

Lié, à l’origine, au Parti communiste, il comptait 1,14 million d’affiliés en 2012. Il est dirigé depuis 2008 par Ignacio Fernandez Toxo.

UGT

Fondée en 1888, l’Union générale des travailleurs est liée au Parti socialiste ouvrier espagnol.

Forte de 1,24 million de membres (en 2010), elle est dirigée depuis 1994 par Candido Mendez.

Auteur

  • Cécile Thibaud