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Vie des entreprises

Comment Laforêt et Century 21 dopent leurs vendeurs en immobilier

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.11.2000 | Antoine Couder

Mon premier, Century 21, originaire des États-Unis, emploie des agents indépendants mais leur offre des opportunités de carrière. Mon second, Laforêt, filiale d'un grand nom de l'administration de biens, préfère salarier ses négociateurs. Mais les deux franchiseurs utilisent les mêmes ressorts, à base de formations et de challenges commerciaux pour motiver leurs troupes.

Cherchez bien ! Quand une agence Century 21 est en vue, sa rivale Laforêt n'est jamais bien loin. Emplacements de choix, bureaux lumineux, personnel accueillant : les deux grands franchiseurs du monde de l'immobilier ne cessent de grossir selon un même modèle, importé des États-Unis par Century 21. Une enseigne qui existe depuis longtemps sur le continent américain et qui s'est implantée en France en 1987. Aujourd'hui, elle est en tête des franchiseurs, avec 12,5 % des transactions sur le marché professionnel. Ses agences ont poussé comme des champignons et ses collaborateurs, facilement reconnaissables à leur veste jaune et à leur chemise blanche brodée au logo de la maison, sont devenus des acteurs incontournables dans l'immobilier. Franchiseur depuis 1991, Laforêt Immobilier dispose d'un réseau deux fois moins important. Mais son entrée, en 1995, dans le groupe Vendôme Rome-Auguste Thouard, a aiguisé son appétit. Entre les deux enseignes, qui ont été à deux doigts de s'associer sur le Web, en début d'année, afin de créer la première grande base de données européenne, les hostilités ne font que commencer : en France, 55 % des ventes sont encore réalisées de particulier à particulier. Ce qui représente un gâteau de 330 000 transactions par an dont les deux franchiseurs ont bien l'intention de s'adjuger la plus grosse part.

À y regarder de plus près, Century et Laforêt n'emploient pas exactement les mêmes méthodes. Fondé par Bernard de Crémiers, Joël et Patrick-Michel Khider, Laforêt Immobilier s'est démarqué de Century 21 en ouvrant ses propres franchises et non en rachetant des enseignes. Les franchisés sont pour l'essentiel des cadres en rupture de ban qui « ne veulent pas devenir victimes de leur entreprise », souligne Bernard de Crémiers. Des hommes et des femmes âgés de 35 à 40 ans, souvent issus des fonctions commercial ou marketing. Contrairement à l'usage dans la profession, notamment chez Century 21, Laforêt recommande à ses franchisés de recruter des négociateurs salariés et non des agents commerciaux. Chaque agence est libre de choisir le statut de ses collaborateurs, mais 90 % des conseillers commerciaux de Laforêt ont un statut de VRP salarié (voir encadré, page 60).

Pas question de s'endormir

À l'inverse, 60 à 70 % des négociateurs immobiliers de Century sont des agents commerciaux indépendants. Certaines agences du réseau se voient reprocher par la profession immobilière de recruter massivement des jeunes gens inexpérimentés sous ce statut afin de sélectionner les meilleurs. Le test peut parfois durer plus de six mois, pendant lesquels les jeunes vendeurs touchent rarement une commission. Directeur général de Century 21 France, Hervé Bléry tient un discours prudent sur le statut d'agent commercial, reconnaissant que le salariat est davantage « dans l'air du temps ». Il faut dire que les prud'hommes n'hésitent plus à requalifier des contrats d'agents commerciaux en contrats de travail, du moins dans les rares cas portés devant cette instance. Même si la réglementation est jugée désuète par le réseau, le salarié n'est donc plus persona non grata chez Century. Selon la direction générale, si la majorité des conseillers commerciaux étaient salariés, ils gagneraient 12 000 à 13 000 francs net par mois, pour des semaines de travail pouvant aller jusqu'à quarante-cinq heures.

Chez Laforêt, le brut se négocie entre 7 000 et 12 000 francs sur treize mois, en fonction des résultats, des objectifs du conseiller et de l'appréciation du responsable de l'agence. Une franchisée parisienne du réseau Laforêt témoigne des variations de résultat : « J'avais un conseiller qui a bien démarré mais a commencé à s'endormir. Il en a tiré les conséquences et a démissionné. » Au siège, on estime le turnover à 15 %. Chez Century France, le turnover du réseau n'est pas une préoccupation majeure ; il n'a même jamais été calculé.

Il est vrai que les situations sont très diverses et qu'il y a autant de politiques de ressources humaines que d'agences. La plupart d'entre elles comptant entre quatre et sept personnes, inutile d'aller chercher sur le terrain des délégués du personnel, un comité d'entreprise ou même des représentants syndicaux. Au siège de Century 21 France, des délégués du personnel ont récemment été élus, mais après beaucoup d'insistance. Chez Laforêt, Bernard de Crémiers affirme ignorer « ce qui se passe dans le réseau à ce niveau-là ». Bernard Kaleta (CFDT), du Syndicat de l'immobilier Ile-de-France, reconnaît qu'avec de telles organisations « il est impossible de faire son boulot et d'avoir une parole syndicale ». « Les gens sont bouffés parce qu'ils ont à faire. Il est clair que l'on aura beaucoup de mal à percer dans ce milieu. »

L'école Century privée d'agrément

En l'absence de politique uniforme de gestion du personnel, le pilotage des deux réseaux immobiliers passe en grande partie par la formation. Laforêt a créé une école qui a accueilli, en 1999, 200 jeunes en contrat de qualification, destinés à intégrer le réseau. Cette année, deux de ces juniors ont créé leur propre agence. Directeur de la formation, Philippe Buyens souhaite qu'à terme 75 % des collaborateurs de Laforêt soient passés par cette école.

Century 21 ne lésine pas non plus sur la formation, d'autant que ses recrues sont globalement moins diplômées que celles de Laforêt, parmi lesquelles on trouve beaucoup de bac + 2 et de plus en plus de jeunes issus d'écoles d'architecture. « Importateur » des méthodes de vente qui ont bouleversé le monde un peu sclérosé de la transaction immobilière, Century 21 rêvait de créer son école. Mais l'agrément lui a été sèchement refusé par la Commission paritaire de l'emploi et de la formation professionnelle de l'immobilier (Cefi). « Il n'est pas question de payer des contrats de qualification à de futurs agents commerciaux », peste Jean-André Bayard (CGC), l'un des présidents du Cefi. Un argument qu'Hervé Bléry, le directeur général de Century 21 France, n'admet guère. Mais il est vrai qu'à l'inverse de Laforêt, qui compte beaucoup de collaborateurs salariés, le réseau Century cotise peu à l'Agefos PME, organisme collecteur pour la formation professionnelle. Et les syndicats patronaux de l'immobilier, porteurs de la culture des administrateurs de biens, ne pardonnent guère aux franchiseurs de se développer en marge des fédérations professionnelles. Laforêt devrait en toute logique être logé à la même enseigne que Century. Sauf que le réseau appartient au groupe Vendôme Rome, numéro un de l'administration de biens en France. Ce qui facilite les relations…

Il faut entrer dans le moule

Reste que l'univers de la franchise constitue un monde bien à part. Les salariés des deux réseaux en font souvent l'expérience. Valérie, 26 ans, négociatrice à Paris, aimerait s'orienter vers l'immobilier d'entreprise, dont le réseau Auguste Thouard-Laforêt est l'un des leaders. « Il devrait y avoir des synergies pour la mobilité du personnel mais, à ma connaissance, il n'y en a pas », regrette-t-elle. Responsable d'accueil, Michèle, 46 ans, se plaint de ne pas avoir bénéficié d'une augmentation depuis trois ans. Déclarant une rémunération légèrement supérieure au smic sur la base de « 45 heures hebdomadaires payées 39 », elle juge Laforêt « très bon sur le marketing mais beaucoup moins sur le recrutement ». Difficile, en revanche, d'entendre la moindre critique chez Century. Pierre-Yves, qui s'occupe du recrutement dans une agence de 20 personnes à Lille, l'admet bien volontiers : « Il faut entrer dans le moule, sinon on ne reste pas. »

Encouragement, lettre de félicitations, citation au bulletin mensuel : les incitations au dépassement de soi et à la reconnaissance constituent le quotidien des collaborateurs de Century 21. Le point d'orgue est la convention annuelle, où les meilleurs sont récompensés, sous les applaudissements des 3 600 collaborateurs en veste jaune. Cérémonie identique chez Laforêt. Nathalie, 30 ans, négociatrice à Paris, a bien évidemment entendu parler de ces grand-messes, mais elle n'y est jamais allée. Convaincu que les collaborateurs du réseau doivent se rencontrer sur d'autres bases que professionnelles, Michel Trollé, le président fondateur de Century, est fier d'avoir trouvé, après plusieurs années de tâtonnement, un animateur « extrabusiness » en la personne de Jacky Jouin. Un ancien militaire devenu consultant en sport qui communique sa passion du golf et du saut en parachute aux commerciaux.

Les RH, un nouveau chantier

Century 21 France, plus exactement le groupe Seven, holding financière dirigée par Michel Trollé, vient de faire un autre recrutement de choc : Jean-Michel Laborie, 41 ans, le premier directeur des ressources humaines de la galaxie Century. À la stupéfaction générale, ce transfuge de France Construction, une filiale « immobilier » du groupe Bouygues, a promis d'ouvrir le chantier de la réduction du temps de travail pour les 200 salariés du siège. Auparavant, il a entrepris de bâtir une grille de salaires commune au personnel de Seven. Mais il ne compte pas intervenir au sein du réseau qui, dit-il « fonctionne très bien tout seul ». Stratégie toute différente chez Laforêt où Philippe Buyens, directeur de la formation réseau, porte la problématique RH au sein d'une commission ad hoc, créée il y a quelques mois. Composée de franchisés, d'« experts extérieurs » et de collaborateurs de la tête de réseau, elle réfléchit à la possibilité de doter le réseau d'une grille unique de salaires et de proposer une mutuelle aux collaborateurs. Mais la RTT ne semble pas à l'ordre du jour.

La débrouille qui caractérisait jusqu'à présent l'organisation Century semble passée de mode. En ouvrant l'épineux dossier de la réduction du temps de travail, Jean-Michel Laborie fait entrer de plain-pied dans la maison Century 21 la figure traditionnelle du salarié, dont Hervé Bléry trace le profil à grands traits : un collaborateur « impliqué dans l'entreprise, dans laquelle il se situe clairement ». Ce qui n'est pas que du discours. Chez Century, on a construit une véritable stratégie de management autour du « carnet de route » qui permet à chaque collaborateur de valider ses performances et ses formations auprès de son manager. Ce référentiel de métiers, qui prévoit quatre niveaux pour chacune des fonctions (manager, consultant et conseiller), a beau ne pas être agréé, il tient la dragée haute au maigre BTS dédié à l'immobilier de l'Éducation nationale. « Notre système fonctionne, clament les managers. Notre réussite le prouve. »

Autre pilier du système Century : la progression de carrière. Contrairement au réseau Laforêt, celui de Century offre des opportunités à ses collaborateurs, avec la perspective d'accéder à des fonctions de manager ou de consultant. Au siège d'Évry, dans l'Essonne, la poignée de cadres qui constituent le top-management ont d'ailleurs débuté sur le terrain, dans les premières agences Century. Comme Laurent Vimont, 40 ans, un ancien maître nageur qui a été promu directeur du marketing de Century France avant de prendre les rênes de HomeVillage.com, le portail Internet du groupe Seven que Laforêt a finalement refusé de rejoindre cet été. En choisissant l'encadrement, ils ont sacrifié 20 à 30 % de leurs revenus pour changer de métier, même si Seven distribue des stock-options. Mais ils gagnent la reconnaissance sociale que ne leur a pas donnée le système scolaire.

Rien de tout cela chez Laforêt, où Philippe Buyens, le directeur de la formation, est toujours propriétaire d'une agence qui lui procure des revenus complémentaires. Si la filiale du groupe Vendôme Rome offre de meilleures garanties sociales de base, Century propose davantage de perspectives en termes d'évolution de carrière. « On n'arrête pas un rêve qui marche… si on sait marcher avec lui », lit-on en introduction du carnet de route de Century. Mais attention, il n'y aura pas de place pour tout le monde.

Le statut de négociateur immobilier taquine la convention collective

C'est la loi Hoguet de 1970 qui régit actuellement les trois professions de l'immobilier (administration de biens, syndic et transaction). Conçue à une époque où les agents commerciaux représentaient l'essentiel de la profession, elle oblige notamment les négociateurs à posséder une carte professionnelle, délivrée par la préfecture et renouvelée chaque année. Aujourd'hui, selon le Syndicat national des professionnels immobiliers (SNPI), les agents commerciaux représentent moins de 50 % de la profession (18 000 personnes). La loi paraît inadaptée aux nouvelles formes d'activité qui se développent dans les franchises et qui obligent notamment les salariés de Century 21 et de Laforêt Immobilier à travailler « hors classification ». La convention collective ne permet pas d'assimiler les nouveaux types de contrats proposés par les agences franchisées, un mélange de subordination et de liberté de mouvement, liberté d'horaires essentiellement. Toujours selon le SNPI, l'adoption d'un tel statut intéresse beaucoup d'agences et pourrait permettre la création de près de 12 000 emplois si la conjoncture reste favorable. En septembre 1999, un avenant à la convention collective signé par FO et la CFDT proposait la création d'un statut de VRP salarié, mais il a été rejeté par la Direction du travail. Motif invoqué : l'impossibilité de faire entrer l'activité dans les clous des 35 heures ; les pouvoirs publics refusant par ailleurs de valider le fixe proposé, inférieur au minimum légal (3 600 francs). C'est en fait l'impossibilité d'établir un salaire horaire qui bloque les négociations.

La journée ordinaire d'un négociateur

Pour Nathalie, qui travaille chez Laforêt, ou Pierre-Yves, du réseau Century 21, les journées se ressemblent. Pour ces négociateurs en immobilier, elles démarrent généralement entre 8 et 9 heures par une réunion de debriefing avec le patron de l'agence. C'est là notamment que se règle un problème d'importance : le partage des commissions dans le cas où les mandats ont été décrochés par un négociateur et la vente conclue par un autre. Débat ultrasensible qui peut défaire l'esprit d'équipe que les agences franchisées prétendent avoir inventé.

Dans la réalité, le négociateur travaille seul. Il passe une bonne partie de sa journée en prospection. Boîtes aux lettres, téléphone, rencontres directes, il rentabilise au maximum son îlot. Un secteur géographique qui lui a été attribué et dont il n'est pas censé sortir. Progressivement, celui-ci va s'agrandir, ou se redimensionner. L'une des règles de base est d'être sans cesse sur le terrain pour se faire connaître. Ne négliger aucune animation de quartier pour obtenir des tuyaux, rencontrer des vendeurs potentiels. Car le job d'un négociateur est avant tout de faire « rentrer des mandats », en exclusivité ou non. Et de mettre en relation l'offre et la demande.

A priori simple, l'exercice réclame les qualités d'un coureur de fond et d'un sprinter, quand il faut conclure une affaire à l'arraché et convaincre le particulier qu'il est l'homme ou la femme de la situation.

Lorsqu'il repasse à l'agence, le négociateur parcourt les journaux d'annonces. Parfois il se fait d'ailleurs lui-même passer pour un particulier et ne dévoile son jeu qu'une fois l'appartement visité. Des visites qui ont souvent lieu après 19 heures. Commercial avant tout, le bon vendeur est un séducteur. Mais la complexité du droit immobilier et le développement de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité l'oblige aujourd'hui à se forger une culture d'expert. Ce qui est aussi un bon moyen de se faire respecter de l'opinion, toujours un peu ingrate avec la profession. Allez savoir pourquoi…

Auteur

  • Antoine Couder