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Politique sociale

Les étoiles montantes des syndicats français

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.11.2000 | Marc Landré, Frédéric Rey

Les syndicats et leurs adhérents vieillissent, ce qui ne facilite pas le renouvellement des dirigeants. Seule la CGT a amorcé un rajeunissement de son bureau confédéral. Et pourtant, il existe une nouvelle génération de militants qui ne demande qu'à gravir les échelons. Portraits de dix jeunes syndicalistes à suivre de près.

« Si un jeune venait derrière moi… » Au début du mois d'octobre, l'empereur Blondel, 62 ans, a pratiquement adoubé son successeur à la tête de Force ouvrière. Les connaisseurs de la maison ne s'y sont pas trompés. En filigrane est esquissé le portrait du quadragénaire Jean-Claude Mailly, homme de l'ombre et doublure du « taulier », parachuté au bureau confédéral lors du dernier congrès de la centrale, qui s'est tenu au mois de mars à Marseille. Mais qui prendra un jour la place d'Alain Deleu, 54 ans, secrétaire général de la CFTC ; celle de Jean-Luc Cazettes, 57 ans, numéro un de la CFE-CGC ; ou de Nicole Notat, 53 ans, patronne de la CFDT ? Qui seront demain les « têtes pensantes » des organisations syndicales, les interlocuteurs écoutés dans les palais de la République, les bretteurs des grandes négociations interprofessionnelles, les dirigeants des régimes paritaires de protection sociale ? L'existence d'une relève prometteuse est pratiquement une question de survie pour des syndicats français malades et… vieillissants.

Car les entreprises ne sont pas les seules à prendre de l'âge et à se soucier du rajeunissement de leur pyramide des âges. Papy-boom oblige, les centrales syndicales vont, comme elles, être décimées par de nombreux départs dans les dix années à venir. Une grande partie des militants qui constituent actuellement l'épine dorsale des appareils ont été « recrutés » dans les années post-soixante-huitardes. « Nos effectifs vieillissent et il ne va pas être si facile de procéder à un renouvellement des états- majors », reconnaît un ténor de la CFDT. Dans un ouvrage consacré aux organisations syndicales en France (éditions Liaisons), Dominique Labbé et Hubert Landier soulignent que la moyenne d'âge des adhérents de la CGT et de la CFDT est plutôt proche de 45 ans et que la proportion de jeunes est beaucoup plus faible que dans l'ensemble de la population active.

C'est la CGT qui a, la première, entamé une cure de rajeunissement. Lors de son dernier congrès, la centrale a fait monter deux trentenaires au bureau confédéral : Maïté Lassalle et Pierre-Jean Rozet, tous deux âgés de 36 ans. Avec, à la tête des troupes, un leader de 41 ans, la CGT semble la mieux armée pour affronter l'avenir. Toutes les organisations n'ont pas une stratégie aussi claire. Seuls les nouveaux syndicats se préoccupent du renouvellement de leurs responsables. SUD a ainsi imposé le turnover des élus. Mais, à la différence des grandes entreprises qui utilisent des méthodes de détection et de promotion de leurs hauts potentiels, la plupart des syndicats n'ont aucune politique dans ce domaine. Les futurs dirigeants syndicaux passent tous, peu ou prou, par la même trajectoire. C'est généralement dans l'entreprise que tout commence, par un mandat d'élu ou une fonction de délégué syndical. Certains sont ensuite sollicités pour assurer le fonctionnement des unions locales, départementales ou régionales, ou pour renforcer les structures fédérales de branche. Ils deviennent ainsi permanents, salariés du syndicat, et occupent une fonction plus politique. Quelques heureux élus accèdent enfin au saint des saints : l'exécutif confédéral… Portraits de dix « hauts potentiels », de dix représentants de la nouvelle garde montante du syndicalisme français.

Éric Cachen

36 ans, membre de la Fédération CGT mine-énergie

« Éric Cachen fait partie des jeunes récemment élus à la commission exécutive voués à un grand avenir au sein de la confédération. » La remarque à l'égard de ce technicien d'EDF, natif d'un petit village du Béarn, détaché auprès de la Fédération mine-énergie depuis six ans, est d'autant plus appréciable qu'elle émane de Jean-Christophe Le Duigou, le responsable économique du bureau national de la CGT. Bien que « flatté d'être considéré comme un espoir de la CGT », Éric Cachen n'en reste pas moins évasif quant à son avenir. « Rien ne dit que je ne veuille pas reprendre une activité professionnelle à EDF dans deux ou cinq ans. Il est normal qu'un permanent retourne sur le terrain pour garder le contact avec l'opérationnel. Personne n'est détaché et encore moins élu à vie. » D'ailleurs, il n'a pas hésité, lors des terribles tempêtes de décembre dernier, à retourner dans son unité et à mettre son bleu de travail « pour filer un coup de main » à ses copains techniciens. Pour cet ancien joueur-entraîneur de rugby, ce qui compte, bien au-delà de son avenir à la CGT, c'est de créer les conditions d'un syndicalisme rassemblé. « Nous devons être unis sur les grands débats de société si nous voulons être efficaces face à un patronat très soudé et répondre aux vraies préoccupations des salariés. » Ce qui passe, à ses yeux, par un renouvellement des générations, les jeunes militants étant moins marqués… par les divisions du passé.

Lydia Couchaux

37 ans, secrétaire fédérale à la Fédération CFDT des services

Pas plus d'un déplacement par mois et pas question de travailler trop tard. C'est à ces deux conditions que Lydia Couchaux a accepté le poste de responsable de la formation, de l'emploi et du suivi des 35 heures à la Fédération CFDT des services. Voilà dix ans que cette jeune femme jongle avec un emploi du temps de mère, de salariée et de syndicaliste. Lydia Couchaux adhère à la CFDT alors qu'elle est secrétaire au GAN. « Très vite, je me suis prise au jeu. Avec la confédération et notre section de 250 adhérents, nous avons monté une formation d'une semaine. Un moment où l'on s'est senti assez forts pour peser sur les changements. »

D'abord élue au comité d'entreprise, Lydia devient déléguée syndicale puis permanente au GAN. En 1997, le personnel de la compagnie d'assurances est secoué par un plan social. La section syndicale se mobilise pour qu'aucun des salariés menacés ne finisse dans les fichiers de l'ANPE. Après moult manifs et assemblées générales, elle obtient gain de cause. Tous les salariés sont reclassés. La CFDT lui propose alors de prendre la tête de la structure régionale de coordination des services en Ile-de-France. « J'ai réfléchi une partie de la nuit. Dans un tel moment, il faut choisir entre sa vie professionnelle et la voie du syndicalisme. Tout au long de ces dernières années, j'ai connu une certaine émancipation et acquis une large autonomie. Je ne pourrais pas retrouver un emploi de secrétaire sans me sentir frustrée. Je ne sais pas encore non plus si je poursuivrai au sein de la CFDT. Tout dépendra de ce qu'on me proposera au prochain congrès fédéral. » D'ailleurs, Lydia a demandé à bénéficier d'une semaine par mois afin de se former, au Cnam, au métier du conseil.

Jean-Yves Roure

34 ans, secrétaire général de la Fédération CFE-CGC des industries électriques et gazières

Jean-Yves Roure n'est pas tombé tout petit dans le syndicalisme. « J'avais une vision négative des organisations existantes et je ne voulais pas faire de peine à mes parents. » Pour ce cadre d'EDF-GDF Services, sorti de l'X et de l'Ensae, syndicalisme était synonyme de grève. Et de CGT. Ce qui rendait, à ses yeux, tout engagement rédhibitoire. Mais une rencontre en 1995 avec des représentants « sympathiques et intelligents » de la CGC suffit à le persuader du contraire. « J'ai réalisé que les syndicats pouvaient être utiles et qu'ils n'étaient pas tous opposés à la logique de l'entreprise. » Il s'initie alors « aux joies de la représentation minoritaire », comme seul administrateur CFE-CGC à la caisse d'action sociale d'Annecy. Il rempile deux ans plus tard en négociant l'accord « 32 heures, temps choisi » de son unité et adopte, à titre personnel, la semaine de quatre jours « pour montrer l'exemple ». Une décision qui ne facilitera pas sa carrière. Remarqué par la direction de la CGC « pour ses convictions et son naturel », il se fait détacher fin 1997 dans sa fédération et en prend la tête en mars dernier.

Dans l'avenir, Jean-Yves Roure souhaite développer de nouveaux moyens de revendication… Comme la pétition électronique, qu'il a expérimentée lors du mouvement du 3 octobre dernier à EDF-GDF. Il rêve d'un syndicalisme à la scandinave, « constructif, à l'écoute des salariés et non contestataire ». Pour y parvenir, il n'y a, selon lui, qu'une solution : alterner les périodes d'activités opérationnelle et syndicale. « Il faut retourner sur le terrain pour comprendre les problèmes des salariés. » C'est pourquoi, d'ici à deux ans, il réintégrera EDF-GDF et abandonnera provisoirement ses responsabilités fédérales. Avant, qui sait, de briguer de nouvelles fonctions à la tête de la confédération des cadres…

Patrick Maldidier, 46 ans, Anne Marec, 32 ans, délégués syndicaux Unsa chez Disney

Ces deux militants de l'Unsa se considèrent comme les pionniers d'un nouveau syndicalisme. Patrick Maldidier n'est pas pour autant un novice sur ce terrain. Ce titi parisien, né dans une famille communiste, quatre fois licencié pour raison économique, possède une longue expérience syndicale, d'abord à la CGT, puis à FO, et maintenant à l'Unsa, qu'il a choisie pour son autonomie. Originaire du Morbihan, fille d'un conseiller municipal socialiste et diplômée d'une école d'arts graphiques, Anne Marec est venue tardivement au syndicalisme, à l'occasion des négociations sur les 35 heures. Ce technicien de maintenance et cette décoratrice, figures de proue de l'Unsa à Disney, poursuivent le même objectif : faire croître un tout jeune syndicat dans un contexte difficile.

Lorsque l'Unsa annonce son implantation en 1998 au sein du parc d'attractions, elle se heurte aux autres syndicats qui contestent sa représentativité. « Nous avons dû apporter la liste de nos adhérents pour prouver que nous n'étions pas du vent », explique Patrick Maldidier. L'autre obstacle est le fort turnover dans ce vaste royaume de 11 000 salariés. « Chaque mois, nous gagnons autant de nouveaux militants que nous en perdons, souligne Anne Marec, trésorière du syndicat ; nous devons régulièrement faire un vrai boulot de commercial pour attirer les salariés. » L'Unsa Disney a encore une année pour convaincre avant les élections dans l'entreprise, qui auront lieu en 2001.

Patrick Ertz

34 ans, secrétaire général de la Fédération CFTC du commerce, des services et des forces de vente

Du lundi au jeudi, Patrick Ertz sillonne les routes pour prêcher la bonne parole de la CFTC auprès des employés de la distribution. Et, quand il n'est pas par monts et par vaux, il reçoit, à la demande, dans son bureau parisien. Les vendredis et samedis, il retourne à Strasbourg, sa ville natale, pour servir – ce qu'il fait depuis douze ans – au rayon fruits et légumes des Galeries gourmandes, mais surtout pour revêtir sa casquette de délégué du personnel. Un ancrage local essentiel à ses yeux. Seule concession à cet emploi du temps de VRP : le repos dominical en famille.

En 1990, Patrick Ertz a courageusement renoncé à une formation de chef de rayon, pensant qu'il serait davantage associé à la bonne marche de son entreprise en tant que délégué du personnel. Son ambition ? Faire de son syndicat un prestataire de services qui accompagne les salariés au long de leur vie professionnelle, même en matière de formation ou de logement… « Internet leur permet d'accéder à toutes les informations juridiques que nous leur apportions. Nous devons faire plus que la défense de leurs intérêts si nous voulons encore leur être utiles. » Naturellement, Patrick Ertz ne voit son avenir nulle part ailleurs qu'à la CFTC et, si on lui demande, à un poste important du niveau confédéral.

Valérie Estournes

33 ans, secrétaire générale de l'Ugict (Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT)

D'aussi loin qu'elle se souvienne, Valérie Estournes a toujours eu l'âme militante. « C'est plus fort que moi, l'engagement fait partie de ma personnalité. » Après avoir enchaîné les postes de déléguée de classe, elle intègre, à l'université, le syndicat Unef-ID, où son rôle consiste « à convaincre les étudiants d'adhérer ». Remarquée pour « son bagou et son charisme », elle entre en 1989 au bureau national pour suivre les questions d'insertion professionnelle des jeunes diplômés – le thème de son mémoire de DEA de sociologie du travail – et crée une association de promotion des diplômes et d'aide à la recherche d'emploi. En 1993, c'est la rupture. Elle reproche aux dirigeants de l'Unef-ID leur manque de démocratie et leurs liens trop étroits avec le PS. Séduits par cette jeune femme « dynamique et pleine d'audace », les responsables des cadres CGT lui proposent de monter un collectif de réflexion sur… l'insertion des jeunes diplômés. Deux ans plus tard, alors qu'elle est devenue formatrice dans une société de médiation scientifique, elle est sollicitée pour monter au secrétariat national. Un défi qu'elle accepte, non sans avoir mûrement réfléchi.

Valérie, qui vient d'être réélue pour quatre ans, passe le plus clair de son temps à faire de la communication auprès des étudiants. « La CGT a une image vieillotte et réactionnaire. Mais c'est faux. Nous sommes plus modernes et démocratiques qu'on ne le pense. » Pour faire évoluer les esprits, elle arpente les couloirs des facs, participe à de nombreux colloques ou donne des cours au Celsa. « Imaginez la réaction des étudiants quand ils voient arriver, à la place d'un vieux cheminot bedonnant et moustachu qui n'aligne pas deux mots, une jeune cadre de 30 ans souriante et qui s'exprime bien. » Un parcours qui la conduira – ils sont nombreux à le penser – à décrocher un poste au bureau confédéral.

Marie-Jeanne Menier

33 ans, secrétaire du Syndicat CFDT de l'agroalimentaire des Côtes- d'Armor

Marie-Jeanne est une bagarreuse. Très tôt, elle a décrété qu'elle ne trimerait pas comme son père, ouvrier du bâtiment. C'est avec cette farouche détermination que la jeune Bretonne est entrée, il y a dix ans, dans le monde du travail. Dans un univers dur, celui d'un abattoir de cochons à Lamballe (Côtes-d'Armor). Naturellement, elle s'est portée volontaire aux élections du personnel. Mais plusieurs mois s'écoulent avant qu'elle n'ose prendre la parole au cours des réunions. « J'ai appris progressivement. Mon père n'avait pas les moyens de se défendre. Moi, ce qui me fait avancer, c'est la volonté de faire reconnaître une certaine souffrance liée au travail. Démouler toute la journée à la chaîne des pâtés, dans le bruit et le froid, toujours à la même cadence, ça casse les gens », dit-elle. Nommée déléguée syndicale, Marie-Jeanne a fait des conditions de travail dans l'agroalimentaire son cheval de bataille. Actuellement en congé parental, cette mère de trois enfants continue de travailler à mi-temps. Elle consacre le reste de ses journées au syndicat départemental de l'agroalimentaire et à son poste d'élue au bureau de l'union régionale interprofessionnelle. « Certains jours, il m'arrive de craquer à cause de tous ces engagements, mais ces responsabilités sont devenues aussi pour moi une source de valorisation. » Elle n'en restera d'ailleurs vraisemblablement pas là. Son secteur, l'agroalimentaire, et sa région, l'Ouest, la prédestinent à des fonctions plus importantes au sein de la CFDT.

Christine Pernot

41 ans, secrétaire départementale de SUD Télécom dans le Val-de-Marne

Un soir de l'hiver 1991, Christine Pernot entend à la radio un appel lancé par des partis de gauche, des associations et des syndicats à une manifestation contre la guerre du Golfe. Ce mouvement de protestation va radicalement changer la vie tranquille de cette conseillère en hygiène et sécurité. Car, ce soir-là, non seulement elle découvre SUD, mais elle fait la connaissance de son futur compagnon. Les syndicats ? Cette fille d'un agent des PTT, entrée dans l'entreprise publique en 1978, ne s'y intéresse guère. Trop bureaucratiques, trop éloignés des gens aussi. La jeunesse de SUD, son attachement au fonctionnement démocratique et son engagement contre la mondialisation, auprès des sans- papiers et des chômeurs, la convainquent de prendre sa carte en 1992.

Ce sont les grandes grèves de 1995 contre le plan Juppé qui vont la propulser sur le devant de la scène. « Je suis entrée dans un vrai cycle de lutte qui m'a fait découvrir un élan à pouvoir entraîner les autres dans un mouvement revendicatif. » Si elle n'appartient pas à la vieille garde de cette organisation, Christine Pernot en a épousé toutes les idées, en particulier le refus de la privatisation des Télécom autour duquel SUD s'est construit. « C'est un syndicalisme qui aspire aussi à changer la société », précise-t-elle. Dans deux ans, à la fin de son mandat et selon les règles en vigueur à SUD, elle devra laisser sa place pour prendre d'autres responsabilités syndicales. Ou pour retourner à France Télécom, perspective qui ne la gênerait pas du tout.

Gilles Goulm

34 ans, membre du bureau fédéral FO de la défense et de l'industrie de l'armement

Ancien ouvrier d'État, Gilles Goulm occupe, à 34 ans, un poste clé. Ce Breton, qui a déjà derrière lui une longue pratique du militantisme syndical, orchestre la communication interne au sein de la Fédération Force ouvrière de la défense et de l'armement. Une fonction essentielle pour véhiculer une certaine conception du syndicalisme : « Je me reconnais dans la tradition d'un syndicalisme d'action et de revendication plutôt que dans le modèle nordique participatif. » À peine sorti de son école d'apprentissage à Brest, ce fils de gendarme a adhéré, à 18 ans, à Force ouvrière, dès son arrivée à la Direction des constructions navales, le principal employeur local. « Cela peut paraître surfait, mais j'ai choisi FO pour son indépendance », souligne-t-il.

Très rapidement, il va enchaîner les responsabilités. D'abord chargé de la commission d'avancement ainsi que des questions d'hygiène et de sécurité, il est ensuite désigné délégué syndical sur les chantiers de réparation et de carénage des sous-marins nucléaires. En 1996, il se voit confier l'ensemble du syndicat FO de l'arsenal de Brest. Il y a un an, il a quitté la rade brestoise pour se consacrer à temps plein à sa fédération. Sans aucun doute un tremplin vers d'autres responsabilités.

Auteur

  • Marc Landré, Frédéric Rey