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La stratégie du cœur de métier

Dossier | publié le : 01.11.2000 | E. P.

D'abord considérée comme un outil de réduction des coûts, l'externalisation revêt aujourd'hui une importance stratégique, la concurrence imposant aux entreprises de se recentrer sur leur cœur de métier. Certaines start-up la conçoivent même dès leur création comme un mode d'organisation.

Renault, créateur d'automobile », proclame la dernière campagne du constructeur français pour le Mondial de l'automobile. Un message vrai à plus d'un titre, car les usines de la marque au losange ne fabriquent plus que 25 % environ du prix d'un véhicule, contre 50 % il y a seulement dix ans. Les équipementiers ne sont pas les seuls bénéficiaires de cette stratégie industrielle. Comme la plupart des grandes entreprises, Renault sous-traite – depuis toujours –, mais externalise aussi en confiant à des prestataires extérieurs des fonctions auparavant assurées en interne.

Certes, le phénomène n'est pas nouveau. Dès les années 80 les entreprises ont commencé à se débarrasser de certaines activités périphériques afin de réduire leurs coûts : le nettoyage, le gardiennage, la restauration collective sont partis en premier, la maintenance informatique a suivi. Mais le mouvement a pris aujourd'hui une ampleur impressionnante. « 74 % des grandes entreprises (au chiffre d'affaires supérieur à 1 milliard de francs) disent recourir à l'externalisation, contre 64 % l'an dernier », souligne Olivier Chaduteau, directeur marketing outsourcing chez Arthur Andersen, auteur d'une étude sur le sujet. Des chiffres à relativiser. Car, selon une enquête du secrétariat d'État à l'Industrie datant de 1999, seules 14 % de l'ensemble des entreprises françaises – les PME pratiquant peu l'externalisation – externalisent leurs fonctions support, c'est-à-dire celles qui contribuent à l'efficacité de l'organisation.

L'autre nouveauté, c'est l'augmentation du nombre de fonctions externalisées, même si les entreprises françaises sont beaucoup moins audacieuses que leurs homologues anglo-saxonnes. « 14 % des grandes entreprises interrogées externalisent six fonctions et plus. L'an dernier, la moyenne était de 2,1 fonctions externalisées. Cette année, elle s'élève à 2,4 fonctions », précise Olivier Chaduteau. Enfin, et surtout, la nature même des activités concernées évolue : « Les entreprises externalisent aujourd'hui des fonctions de plus en plus sensibles et stratégiques, proches de leur cœur de métier », souligne Jérôme Barthélemy, professeur de management stratégique au groupe ESC Nantes Atlantique. Désormais, des pans entiers de l'informatique, des systèmes d'information ou de la commercialisation des produits sont confiés à des prestataires, quand ce n'est pas l'intégralité des télécommunications, de la logistique, de la comptabilité ou de la paie… Certaines entreprises, en particulier dans l'industrie pharmaceutique, où l'externalisation est une véritable stratégie de conquête des marchés, s'allègent même de leur recherche et développement. Les principales fonctions externalisées restent cependant l'informatique et les télécommunications (59 % des grandes entreprises), devant le transport et la logistique.

Champions : Nike, Benetton, DaimlerChrysler

Parmi les champions du tout-externalisé figurent sans conteste Nike, qui a décidé de ne garder en interne que la gestion de la marque ; Benetton, dont la production et la distribution sont externalisées ; ou encore le groupe DaimlerChrysler qui, pour la fabrication de sa minivoiture Smart, a dès l'origine et la construction de l'usine lorraine de Hambach confié à l'extérieur une grande partie des fonctions support : les systèmes d'information, les services juridiques, la conception des systèmes de production, la formation du personnel et la paie.

« Face au développement extrêmement rapide des technologies, à la complexification des métiers, l'entreprise ne peut pas maîtriser toutes les compétences en interne. Il lui est nécessaire de s'allier avec des partenaires spécialisés et de se recentrer sur son cœur de métier », analyse Patrick Miliotis, commissaire général du salon Externaliser 2000, qui se tiendra du 15 au 17 novembre à Paris. « Il ne s'agit pas d'un phénomène de mode, mais d'un véritable mouvement de réorganisation des entreprises », argumente-t-il. C'est une évolution majeure : « Il y a quelques années, l'externalisation était tactique. Les entreprises cherchaient à transformer leurs coûts fixes en coûts variables. Aujourd'hui, elle est stratégique. L'enjeu pour elles est de concentrer au maximum leurs ressources sur leur avantage concurrentiel et de libérer l'innovation. »

La réduction des coûts reste l'une des motivations principales. Mais les entreprises visent d'autres avantages : une plus grande flexibilité, l'accès à des services et des compétences qu'elles ne possèdent pas en interne. Ou le bénéfice de l'expérience des prestataires dans des domaines ou sur des marchés que l'entreprise ne connaît pas. « Pour chaque opération d'externalisation nous nous sommes posé la question : n'y a-t-il pas un prestataire qui puisse faire mieux que nous ? L'externalisation fait partie de notre réflexion, de notre démarche globale d'organisation, sans doute en raison de la nature de notre métier : dans l'exploration pétrolière et la production, ces pratiques existent depuis longtemps », explique Thierry Rondeau, directeur financier de BP France. Depuis 1990, ce sont donc tour à tour la maintenance, l'entretien et l'ingénierie du réseau de distribution, c'est-à-dire les stations-service, qui sont sortis du giron du groupe pétrolier, suivis de la logistique au siège (accueil, sécurité, entretien) et de la restauration… Puis l'ensemble de la logistique camions pour les transports pétroliers, la comptabilité transactionnelle et la paie, l'audit de conformité, les activités de maintenance et de cogénération à la raffinerie de Lavera, à Martigues, et une grande partie de l'informatique.

Un contrat d'infogérance de 7 milliards

L'externalisation fait désormais aussi partie de la stratégie des start-up. « On observe chez les entreprises du Nouveau Marché une tendance forte à l'externalisation. Leur logique est d'accéder rapidement à des services flexibles dans des domaines qui nécessitent des investissements lourds, comme la logistique, ou des domaines pointus et importants mais qui ne sont pas dans leurs compétences, tels que les télécommunications, la comptabilité ou la paie. Elles font le choix de se concentrer immédiatement sur leur cœur de métier », souligne Olivier Chaduteau, d'Arthur Andersen. « Dès la création de l'entreprise, nous avons choisi de nous concentrer sur notre savoir-faire, c'est-à-dire la création du concept, l'assortiment, les normes de merchandising, etc. », explique Frédéric Brière, directeur administratif et financier d'Artès, société spécialisée dans la distribution d'objets d'art, lancée en 1998. Outre la comptabilité et la paie, la société s'est séparée de la logistique, « même s'il s'agit d'un domaine clé pour nous, mais extrêmement consommateur de compétences ultratechniques, d'hommes, et donc d'investissements ». « Construire un entrepôt, pour une start-up, cela n'a pas de sens. En outre, cela permet plus de flexibilité, au moment de pics d'activité. »

Quand elles décident d'externaliser, les entreprises attendent beaucoup plus qu'une simple prestation à l'identique. « Il faut que le prestataire apporte de l'innovation, de la valeur ajoutée », souligne Patrick Miliotis. À tel point qu'on voit naître une nouvelle forme de contrat d'externalisation. L'un des modèles du genre a été signé en juillet 1999 entre IBM Global Services et le groupe Galeries Lafayette, qui souhaitait externaliser l'informatique de ses grands magasins (Galeries Lafayette et Nouvelles Galeries) et de Cofinoga. Un contrat de 7 milliards de francs sur quinze ans. Le plus important contrat d'infogérance signé en France à ce jour. « Il ne s'agit pas d'un contrat classique, mais d'une alliance stratégique, qui n'a de sens que dans le temps et qui sert la stratégie des deux partenaires », souligne Laurence Haziot, vice-présidente strategic outsourcing pour IMB Global Services. « Les Galeries Lafayette se recentrent sur leur valeur ajoutée métier, en développant un pôle spécialisé de services appliqués au monde du commerce, en bénéficiant des méthodes, des compétences, de la veille technologique et de la présence internationale d'IBM Global Services. Et ce dernier gagne une expertise dans le domaine de la distribution. Nous sommes désormais dans une logique de strategic outsourcing », conclut Laurence Haziot. Jamais la logique de spécialisation n'avait été poussée aussi loin.

Arrêts Perrier : les limites de l'externalisation

C'est l'affaire de l'été. Les arrêts Perrier rendus par la Cour de cassation le 18 juillet dernier ont défrayé la chronique. Certains observateurs y ont en effet vu la possibilité, pour les représentants du personnel, de bloquer, en saisissant la justice, toute opération d'externalisation. Ceci en faisant interdire par le juge le transfert au service du repreneur des salariés travaillant au sein de l'activité externalisée. Les syndicats ont savouré là une première victoire dans leur combat contre une externalisation sans garde-fous. Retour sur l'affaire.

Face à des difficultés financières persistantes, la société Perrier décide de renoncer à son activité de réalisation et d'entretien des palettes de bois qu'elle utilisait pour la mise à disposition de ses produits aux distributeurs. Cette activité, exercée sur les sites de Contrexéville et de Vergèze, est cédée à la société La Palette rouge. Aussitôt, les comités d'établissement concernés et la CGT saisissent le conseil de prud'hommes pour s'opposer à l'application du fameux article L. 122-12 du Code du travail qui autorise, sous certaines conditions, le transfert des salariés vers un autre employeur. Donnant gain de cause aux représentants des salariés, les juges déclarent « inopposable aux salariés toute substitution d'employeur visée par ce projet ». Cela au motif que « la reprise par un autre employeur d'une activité secondaire ou accessoire de l'entreprise » ne peut entraîner le transfert des contrats de travail.

Auteur

  • E. P.