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Du Smic, des minima conventionnels et de l’emploi

Idées | Chronique juridique | publié le : 02.02.2015 | Pascal Lokiec

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Du Smic, des minima conventionnels et de l’emploi

Crédit photo Pascal Lokiec

Alors que l’Allemagne vient de le consacrer et que Bercy plaide, afin de lutter contre le dumping social, pour un salaire minimum européen, le Smic fait aujourd’hui débat en France. Comme le droit du licenciement, les 35 heures ou l’interdiction du travail dominical, il serait, selon certains, un obstacle dans la lutte contre le chômage.

Le Smic est le salaire horaire minimum légal au-dessous duquel un salarié ne peut être rémunéré. Son montant horaire (brut) est, depuis le 1er janvier 2015, de 9,61 euros, contre 9,53 euros en 2014. Ce qui représente, pour un salarié travaillant 35 heures, 1 457,52 euros mensuels. Il est réévalué le 1er janvier de chaque année, sur la base de deux éléments : l’indice des prix à la consommation (hors tabac) pour les 20 % de ménages aux revenus les plus faibles et la moitié du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire moyen des ouvriers et des employés. En dehors de ces revalorisations annuelles, le Smic est également rehaussé lorsque l’indice des prix (hors tabac) augmente de plus de 2 %. Rien n’empêche le gouvernement de prévoir des hausses supérieures, en procédant à des « coups de pouce ». Un coup de pouce décidé au vu, notamment, des recommandations annuelles du groupe d’experts sur le Smic ; celui-ci a recommandé pour 2015 que, « dans les conditions actuelles », le Smic « n’aille pas au-delà des mécanismes automatiques légaux de revalorisation » au 1er janvier 2015. Recommandation suivie par le gouvernement Valls.

Le respect du Smic s’impose à tous les employeurs, à l’égard de l’ensemble de leurs salariés, sauf exceptions. Un Smic minoré est possible pour un salarié de moins de 18 ans qui n’a pas encore six mois de pratique professionnelle dans sa branche d’activité. Un abattement spécifique est également prévu pour les jeunes en contrat de professionnalisation ou en contrat d’apprentissage. Le minimum légal s’impose, peu important les stipulations du contrat de travail et le mode de rémunération pratiqué. En l’absence de fixation par le contrat de travail du temps relatif à chaque tâche, le salarié payé à la tâche a donc le droit d’être rémunéré au taux du Smic pour le nombre d’heures qu’il a effectuées (Cass. soc., 25 septembre 1990, n° 87–40493). De même, l’employeur doit compléter le salaire de ses salariés rémunérés au pourboire afin d’atteindre le niveau du Smic.

Si l’évolution du Smic obéit à un mécanisme légal, il n’en va pas de même des minima conventionnels.

L’ÉCRASEMENT DES GRILLES

Vu les obstacles rencontrés par les négociations salariales en ces temps de crise (E. Souffi, « Salaires, la grande dépression », Liaisons sociales magazine, janvier 2015), il est de plus en plus fréquent que les minima conventionnels soient inférieurs au Smic. A priori, le problème se règle simplement. En vertu du principe dit « de faveur », l’employeur versera au salarié le minimum conventionnel correspondant à sa qualification, si ce minimum est supérieur au Smic. S’il ne l’est pas, il versera le complément permettant d’atteindre le Smic. Même si ce décalage se résout sans difficulté, en droit, il n’en produit pas moins un phénomène redoutable d’écrasement des grilles salariales ; un nombre croissant de salariés qualifiés sont rémunérés au Smic, au même niveau que des salariés moins qualifiés. D’où le risque de freiner l’embauche de ces derniers, au motif que leur recrutement générerait pour l’entreprise le même coût salarial que celui de leurs collègues plus qualifiés ! Un décalage qui risque d’alimenter le débat sur la baisse du Smic, à tout le moins sur l’introduction d’un Smic intermédiaire ou d’un Smic jeunes.

Le législateur a tenté de juguler le phénomène. Le Code du travail prévoit depuis 1982 une négociation annuelle obligatoire qui porte notamment sur les salaires, et que le rapport Pisani-Ferry-Enderlein remis en novembre 2014 à Emmanuel Macron propose de transformer en obligation triennale. Fort heureusement, le ministre de l’Économie a indiqué ne pas vouloir toucher au calendrier de ces négociations. À cette obligation s’ajoute depuis 2012 celle de négocier lorsque le salaire minimum national professionnel des salariés sans qualification se trouve à un niveau inférieur au Smic. La négociation doit être engagée dans les trois mois suivant la revalorisation du Smic. Si elle constitue un progrès, cette disposition nouvelle ne mettra sans doute pas un terme au phénomène de tassement des grilles, les négociateurs pouvant être tentés de ne relever que les premiers coefficients afin de les mettre en conformité, sans renégociation de l’ensemble de la grille (C. trav., art. L. 2241-2-1, al. 1).

L’ASSIETTE

Sur la question du niveau du Smic se greffe celle de son assiette. Si le salaire de base, les avantages en nature et autres primes liées à la productivité y sont inclus, il en va autrement des remboursements de frais, majorations pour heures supplémentaires, de la prime d’ancienneté ou d’assiduité. Deux difficultés ont récemment occupé les tribunaux. La première concerne la prime de pause. Faut-il inclure dans la rémunération la prime de pause de 5 % dont bénéficient les salariés de Carrefour pour déterminer s’ils perçoivent bien le Smic ? La Cour de cassation a répondu par la négative au motif que les pauses permettaient aux salariés de vaquer librement à leurs occupations. Les pauses n’étant pas des périodes de temps de travail effectif, la prime les rémunérant doit être exclue de l’assiette (Cass. crim., 15 février 2011, n° 10-87019). Seconde difficulté, celle constituée par l’évaluation des avantages en nature. Les avantages portant sur la nourriture et le logement font l’objet d’une évaluation forfaitaire définie par convention collective, à défaut par un arrêté qui fixe une valeur minimale (C. trav., art. D. 3231-8 à D. 3231-15). Pour les autres avantages, l’évaluation est déterminée par rapport à leur valeur réelle.

QUEL IMPACT SUR L’EMPLOI ?

Le Smic est l’objet de fréquentes controverses, relancées depuis peu par les propositions de gel des salaires (« Pourquoi la question du gel des salaires est sur la table ? », Le Point.fr, 24 novembre 2014). Le gouvernement n’a pas suivi ce chemin, lui préférant le dispositif « zéro charge » consistant en une exonération totale des cotisations patronales payées à l’Urssaf pour les salaires au niveau du Smic, dégressive jusqu’à 1,6 Smic (loi n° 2014-892 du 8 août 2014, JOn° 9, août 2014). Il faut dire que le Smic en particulier et le salaire en général ne sont pas seulement un coût mais aussi une source de revenu et de pouvoir d’achat, laquelle soutient l’activité, donc l’emploi. La baisse du Smic est susceptible, dans une logique de relance, de perturber l’activité économique, avec un effet de nivellement par le bas de toute la hiérarchie des salaires (« Le Smic est-il un frein à l’emploi ? », L. Jeanneau, Alternatives économiques,mai 2014).

Le débat autour du Smic s’est déplacé, ces derniers mois, sur la question de son uniformité, avec, en filigrane, un retour des « zones de salaire » qui s’appliquaient au temps du Smig. Pour illustration, la proposition de trois économistes d’en revenir à une régionalisation du salaire minimum afin de prendre en compte les différences en termes de niveau de vie (Changer de modèle, Ph. Aghion, G. Cette, E. Cohen, éd. Odile Jacob, 2014) ou celle, assez caricaturale, d’Hervé Mariton, d’instituer des Smic par branche dont le niveau dépendrait des taux de productivité.

Dans ce débat, qui conduit parfois à dénoncer le niveau proportionnellement élevé du Smic français par rapport aux salaires minima d’autres pays, il faut rappeler que, contrairement à son ancêtre, le Smic français n’a pas pour finalité d’assurer aux salariés un minimum vital et n’est pas en soi un dispositif de lutte contre la pauvreté (lire G. Cette, interview Lopinion.fr, avril 2014.). Toute comparaison avec des minima appliqués dans d’autres pays doit intégrer cette donnée fondamentale (lire en ce sens « Lutter contre la pauvreté tout en développant l’emploi : présentation des différentes stratégies et ébauche d’un programme d’action », R. Haveman, Revue économique de l’OCDE, n° 26, octobre 1996). Ce qui n’empêche que le débat n’est pas près de s’éteindre en France comme ailleurs.

Pascal Lokiec

Professeur à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, où il codirige le master 2 Droit social et relations professionnelles. Il vient de publier Il faut sauver le droit du travail chez Odile Jacob (janvier 2015).

Rupture conventionnelle, quand tu nous tiens

La rupture conventionnelle bat des records, avec 301 000 ruptures signées dans les onze premiers mois de 2014. L’allongement (de 75 à 180 jours) du délai de carence (la période pendant laquelle une personne inscrite à Pôle emploi ne touche pas d’indemnité de chômage) n’a pas eu d’effet dissuasif. Les entreprises, désireuses d’éviter le droit du licenciement pour motif économique, ont eu tendance à intégrer le manque à gagner lié à cet allongement dans le calcul de l’indemnité de rupture. Les derniers arrêts rendus par la Cour de cassation, de plus en plus favorable à ce mode de rupture, n’inverseront pas la tendance. À rebours de la position de l’administration et de sa propre jurisprudence au temps de la rupture amiable, la Cour valide les ruptures conventionnelles conclues lors de la période de suspension du contrat liée à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, en l’absence de fraude ou de vice du consentement établie par le salarié (Cass. soc., 30 septembre 2014, n° 13-16.297). Ainsi, les restrictions au pouvoir de licencier, qui ne peut être exercé qu’en cas de faute grave ou d’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif non lié à l’accident ou à la maladie, n’ont pas leur équivalent pour la rupture conventionnelle.

Auteur

  • Pascal Lokiec