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Que sont devenus les Mory Ducros ?

Décodages | publié le : 02.02.2015 | Éric Béal

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Que sont devenus les Mory Ducros ?

Crédit photo Éric Béal

Un an après la faillite du groupe de messagerie, ses ex-salariés sont à la peine. Malgré un suivi renforcé. Retards dans les formations, promesses non tenues, pénurie d’offres… L’angoisse commence à poindre.

C’était le plus gros plan social depuis la fermeture des usines sidérurgiques dans les années 1980. 2 506 licenciements. Auxquels il faut ajouter 126 représentants du personnel, qui ont attendu neuf mois que le ministère du Travail statue sur leur sort. Un an après l’annonce du plan social de Mory Ducros, les anciens salariés du groupe de messagerie ont du mal à tourner la page. Plus de 2 000 d’entre eux ont déposé un dossier pour contester les causes de leur licenciement devant les prud’hommes, un peu partout en France. Avec l’appui notamment des syndicats CFDT, CGT, CFE-CGC et des avocats Fiodor Rilov, Juliette Goldmann, Judith Krivine.

« Ce qui ne passe pas, c’est la façon dont l’entreprise a été déclarée en faillite, puis reprise par Arcole Industries, son ancien actionnaire, après le départ de près de 3 000 salariés sur les 5 000 présents. On a l’impression de s’être fait escroquer. L’actionnaire a laissé l’entreprise tomber après avoir pompé les millions de la trésorerie », témoigne Philippe Joly, un ancien salarié. Ce chauffeur-livreur de 54 ans travaille depuis plusieurs mois dans une entreprise de livraison de gaz. « Pour moi, les conséquences sont catastrophiques. J’ai dû accepter une mission très mal payée afin de continuer à cotiser pour le congé de fin d’activité de la branche transport », explique-t-il.

Pour autant, celui-ci fait partie des 551 chanceux qui ont retrouvé un poste en CDI ou CDD de plus de six mois. La grande majorité des ex-employés de Mory Ducros n’en est pas encore là. Beaucoup n’ont aucune perspective pour le moment, en dépit des mesures exceptionnelles mises en place par l’État. Et de leur contrat de sécurisation professionnelle (voir encadré page 34). « Les gens mettent d’autant plus de temps à évacuer le traumatisme du licenciement que les occasions de se recycler chez les concurrents sont rares. La messagerie est victime de surcapacités », affirme Alain Erard, ancien délégué du personnel CFDT de l’agence de Saint-Priest (Rhône).

Les ex-Mory Ducros ne sont pourtant pas livrés à eux-mêmes pour retrouver un avenir professionnel. Trois cabinets, Sodie, BPI et Afpa Transitions, les aident dans leurs démarches. Les trois structures se sont réparti les 87 agences suivant une logique géographique : la partie ouest de l’Hexagone pour Sodie, l’est pour BPI et le Massif central pour Afpa Transitions. La première suit 1 170 personnes, la deuxième 849 et la dernière 487. « Ces cabinets ont eu du mal à démarrer. Les données RH fournies par l’employeur n’étaient pas complètes. Et puis certains consultants avaient besoin d’un peu de temps pour bien comprendre nos problématiques. Ce qui fait qu’entre avril et juin il ne s’est pas passé grand-chose, à part l’inscription à Pôle emploi », explique Laurence Gronda, ancienne DS CFDT. Tout en soulignant qu’un grand nombre de salariés ont dû se remettre à niveau avant de prospecter un nouveau poste.

Des mois d’attente

« Beaucoup de formations ont débuté en septembre et les collègues commencent seulement à chercher activement du travail depuis janvier », confirme Jean-Claude Hacquard, secrétaire général du syndicat CGT des transports Mory Ducros. Les syndicalistes citent des cas de salariés qui ont attendu sept mois avant de pouvoir suivre une formation pour valider leur certificat d’aptitude à la conduite en sécurité (Caces). Une reconnaissance très demandée sur le marché du travail. Résultat, malgré les efforts des représentants du personnel pour les motiver, un certain nombre de salariés, déçus de ne pas recevoir de propositions concrètes, ont cessé tout contact avec les consultants.

Face à ces carences, Didier Parent, directeur de projet chez Sodie et chargé de la coordination du travail des consultants, explique qu’il est prématuré, à ce stade de la mission, d’apprécier les résultats. Il souligne que le contexte était compliqué, avec un personnel épuisé par plusieurs mois d’attente sans avoir pu anticiper sur son avenir et une dispersion des effectifs sur 79 sites d’intervention. « Nous nous sommes d’abord attachés à rassurer les salariés, expose-t-il. Cent vingt réunions d’information ont été organisées avec Pôle emploi pour leur présenter les étapes de la restructuration et les moyens mis à leur disposition. Un local a été ouvert à proximité de tous les sites de travail touchés afin d’aider les licenciés à élaborer un projet professionnel. » Et d’assurer que plus de 1 300 personnes ont d’ores et déjà suivi des formations de courte ou de longue durée en vue d’une reconversion.

500 postes promis

Pour ne rien faciliter, les engagements pris à l’époque par Arnaud Montebourg ne se sont pas concrétisés pour le moment. L’ancien ministre de l’Économie avait promis que les grandes entreprises publiques proposeraient 500 postes pour aider au reclassement. Étaient citées Geodis, La Poste, la RATP. Sauf que ces deux dernières exigeaient des profils souvent très éloignés des compétences que pouvaient offrir les ex-Mory Ducros. En pleine restructuration interne, La Poste dispose de peu d’emplois à pourvoir. Ainsi, en Bretagne, elle n’a proposé que six postes. Des candidats présentés, un seul a été accepté, à Rennes, mais n’a pas donné suite, faute de motivation. Quant à la RATP, elle a retenu deux profils sur la centaine de CV reçus. Pour finalement ne recruter personne. « Je ne suis pas satisfait de la façon dont les choses se sont déroulées à la RATP », avoue Philippe Dole, l’inspecteur de l’Igas chargé par le gouvernement de superviser l’accompagnement des ex-salariés. Par ailleurs, lors de la dernière réunion de pilotage, j’ai noté que les postes proposés par Geodis avaient fait l’objet d’une surenchère. J’ai demandé que les prochaines personnes envoyées soient mieux préparées aux tests de sélection. » Ce qui n’atténue pas la déception des représentants du personnel. « Les propositions de Montebourg ont fait de l’effet à l’époque. Mais ce n’était que de la communication », estime Jean-Claude Hacquard. Pourtant, les financements ne manquent pas. Tous les conducteurs de camion qui le demandaient ont été formés à la conduite en sécurité et ont pu renouveler ce certificat indispensable pour exercer leur métier. Avec 4,5 millions d’euros réservés à la formation des ex-Mory Ducros, l’Opca du transport peut répondre à la demande. « Ce budget est bien supérieur à la moyenne des plans sociaux dans le transport. Il s’agit pour les candidats de choisir des apprentissages pertinents en cohérence avec leur projet. Dans certains cas, il faut revenir sur les savoirs fondamentaux », précise Philippe Dole.

Il est vrai que certains salariés ont joué à fond la carte de la seconde carrière. Comme Thibaut Grenot, ancien chef de quai, qui évolue vers la gestion des stocks. « J’avais dans l’idée de rebondir. J’ai rapidement entamé mes recherches et envoyé des CV. Lorsqu’une offre s’est présentée, j’ai profité de la présence des consultants pour effectuer des simulations d’entretien, ce qui m’a été très utile. Pour moi, le plan social a été un mal pour un bien. » Autre stratégie, celle de Sébastien Ledroit. Ancien chauffeur-livreur à Tours, il a multiplié les formations : remise à niveau en français, certificat d’aptitude au travail en hauteur, initiation à Excel… « Je viens de commencer une formation de longue durée pour devenir électricien. Je reçois mon salaire intégral, c’est le bon moment pour changer de perspective », confie-t-il. Mais il constate que nombre de ses collègues n’ont pas suivi le même raisonnement : « Beaucoup veulent garder le même travail. Mais, pour le moment, ils restent sans perspective. » D’autres ont eu moins de chance. Comme ce conducteur qui a choisi de devenir charcutier mais voit sa demande bloquée car le coût de la formation dépasse 15 euros l’heure.

Obligation de résultat

La pression pèse donc sur les épaules des trois cabinets de consultants qui ont constitué un groupement pour répondre à l’appel d’offres. Dans le cadre du dispositif d’accompagnement renforcé financé par l’État, Sodie, BPI et Afpa Transitions ont accepté qu’une partie de leur rémunération dépende des résultats finaux. Tant qu’il reste des salariés sans solution, les consultants doivent assurer un suivi, donner des conseils, proposer des offres d’emploi et organiser des rencontres avec des entreprises. « Nous sommes en contact permanent avec la Direccte et la DGEFP. Et nous avons l’obligation de communiquer régulièrement les résultats », précise Didier Parent, chez Sodie.

Côté salariés, la différence n’est pas visible pour le moment. « C’est bien pour les salariés isolés ou psychologiquement perdus, car ils ont besoin d’être encadrés, constate Laurence Gronda (CFDT). Mais les plus débrouillards ont la détermination nécessaire et le réseau pour rebondir seuls. » L’angoisse commence cependant à poindre chez certains. « Je suis inquiet, confie le cégétiste Jean-Claude Hacquard. Au niveau des retours à l’emploi, les résultats ne sont pas ceux escomptés au départ. Et il y a encore beaucoup de gens à la ramasse. Ils risquent de perdre le moral lorsqu’ils sortiront sans rien du contrat de sécurisation professionnelle en avril. » Le syndicaliste pointe du doigt les nombreux manutentionnaires sans réelle formation, dont une partie est non seulement illettrée mais ne maîtrise pas suffisamment la langue française. Une analyse que Philippe Dole relativise. « Certes, avec 901 contrats de travail, dont 551 retours à l’emploi, la situation n’est pas satisfaisante pour le moment, admet-il. Mais, jusqu’à présent, le personnel de Mory Ducros a été très occupé par les procédures devant les tribunaux et par la mise en œuvre des projets de formation. Ce qui l’a détourné de la recherche d’emploi. »

S’ajoute à cela le constat, pour ceux qui souhaitent rester dans le métier, que la rémunération envisageable est très inférieure à celle touchée chez Mory Ducros. « Notre entreprise s’était construite autour d’une succession de rachats, précise Jean-Claude Hacquard. Les écarts de salaires pouvaient aller jusqu’à 40 % en fonction de la maison d’origine et de l’ancienneté. Pour les plus expérimentés, la confrontation avec les offres d’emploi constitue un sacré choc. » Pour autant, la messe n’est pas dite. Les moyens importants qui ont été déployés peuvent évidemment encore donner des résultats. Mais le temps presse…

REPÈRES

2 506 salariés ont été licenciés.

1 400 recherchent un emploi.

551 ont retrouvé un poste (CDI ou CDD de plus de six mois).

64 sont en période d’essai.

110 sont en contrat de moins de six mois.

70 sont retraités.

Dispositif hors norme

Compte tenu de l’ampleur du cataclysme social que représentait la faillite de Mory Ducros, le gouvernement a pesé de tout son poids et multiplié les dérogations. D’abord en autorisant Arcole Industries, la société mère, à se porter candidate à sa propre reprise. Mais surtout en mettant en place un dispositif d’accompagnement renforcé (DAR), qui s’est superposé aux mesures du contrat de sécurisation professionnelle. Si ce dernier permet aux salariés qui le signent de percevoir une allocation égale à 80 % (bientôt 75 %) de leur ancien salaire net, le DAR la complète à hauteur de 100 % pendant un an. L’État s’est aussi engagé à combler pendant deux ans la différence de salaire en cas de reprise d’un emploi moins bien rémunéré.

Mais la mesure phare est celle qui impose aux cabinets de consultants une « obligation de résultat ». Pour chaque demandeur d’emploi suivi, ils reçoivent une avance de 30 % de la rémunération prévue, un versement intermédiaire de 30 % et le solde au terme de la mission : quand la personne est replacée.

Enfin, pour tenir compte du fait que l’intérim et les CDD sont utilisés par les entreprises comme des périodes d’essai et peuvent aboutir à une embauche, toute offre d’emploi d’au moins trois jours est considérée comme valable.

Et, à la fin de la mission, le demandeur d’emploi réintègre le DAR.

Les ex-salariés doivent être accompagnés jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée.

Auteur

  • Éric Béal