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Fini, le chômage, je monte ma boîte !

Décodages | publié le : 02.02.2015 | Emmanuelle Souffi

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Fini, le chômage, je monte ma boîte !

Crédit photo Emmanuelle Souffi

Une brasserie, un pressing écolo, une pension pour chats… Ils étaient chômeurs et ont créé leur entreprise. Une piste de reconversion aujourd’hui considérée comme sérieuse. Mais qui réclame des aides spécifiques.

Au milieu de ses chats, Patricia Walton a trouvé sa voie. À Allemans-du-Dropt, dans le Lot-et-Garonne, sa pension affiche complet. Chaque matou possède son coin jardinet et même son chauffage en hiver. Il y a trois ans et demi, cette ancienne secrétaire décide de donner corps à une petite idée qui trottait dans sa tête. « J’étais au chômage depuis deux ans et je me suis dit : à 50 ans, fini d’enchaîner les contrats ! Car le CDI, à mon âge, c’est peine perdue », se souvient-elle. Soutenue par l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie) d’Agen, Patricia se lance avec 4 000 euros et une bonne dose d’huile de coude pour transformer les anciennes dépendances de sa maison en hôtel pour félins.

Comme cette ex-salariée, ils sont 224 490 inscrits à Pôle emploi (au 31 mars 2014) à choisir de se mettre à leur compte. Selon l’Insee, 33 % des créateurs d’entreprise (hors autoentrepreneurs) étaient auparavant demandeurs d’emploi ; 11 % pointaient même depuis plus d’un an. Si on y ajoute les autoentrepreneurs, la proportion grimpe à plus de 50 %. D’après un rapport de la Cour des comptes publié en 2013, l’essentiel des dispositifs publics d’aide à la création est d’ailleurs trusté par les chômeurs : soit 1,6 milliard d’euros sur les 2,7 milliards distribués en 2011. Avec « une efficacité mal connue ». Le plus généreux ? L’Arce (aide à la reprise ou à la création d’entreprise), qui permet au demandeur d’emploi de toucher la moitié du reliquat de ses droits : 109 374 allocataires en ont bénéficié en 2011 pour un montant de 977 millions d’euros. Loin derrière, l’Accre (aide au chômeur créant ou reprenant une entreprise), qui consiste en une exonération de charges sociales pendant un à trois ans. Coût : 245 millions d’euros.

Interlocuteurs privilégiés, les réseaux d’accompagnement voient de plus en plus passer de ces salariés ballottés de contrats en contrats et en quête de stabilité. À l’Adie, qui fait du micro-crédit, un bénéficiaire sur deux est ainsi au chômage de longue durée. Idem chez Initiative France, qui a épaulé 16 565 nouvelles entreprises en 2013. À tel point que, fort de ses 230 plates-formes partout en France, ce réseau d’aide au financement a signé fin 2014 une convention de partenariat avec Pôle emploi. Il prévoit l’accompagnement à la création d’entreprise de 750 chômeurs de longue durée d’ici à 2016. Une goutte d’eau au regard des 2,3 millions d’inscrits à ne pas avoir travaillé plus de douze mois au cours des deux dernières années. Mais ce maillage témoigne du potentiel d’insertion professionnelle que peut aussi incarner la création d’entreprise pour les plus éloignés de l’emploi.

Pas une solution miracle

Voilà quelques années encore, voler de ses propres ailes semblait un projet fou, réservé aux plus capés. Plus maintenant. Ainsi, 12 % des licenciés économiques en contrat de sécurisation professionnelle, et pas seulement des cadres, choisissent de devenir leur propre patron. « Il y a dix ans, l’ANPE souhaitait “bonne chance” à ceux qui osaient se lancer. Aujourd’hui, c’est devenu une véritable piste de reconversion avec des interlocuteurs structurés », remarque Catherine Barbaroux, présidente de l’Adie. Le déclencheur ? « L’installation dans le chômage. Beaucoup croient qu’ils vont vite rebondir. Et puis ils changent leur fusil d’épaule et en profitent pour réveiller un projet qui dormait », relève Georges Persoz, responsable du service réinsertion par l’emploi en milieu rural à la Fondation Raoul-Follereau. Une structure qui offre aux créateurs entre 2 000 et 7 000 euros pour financer leur projet.

Sauf qu’on ne s’improvise pas patron. En période de crise, il ne s’agit en aucun cas d’une solution miracle à un marché de l’emploi atone. Ceux qui, comme Bruno Torres ou Marc Cornier, changent de vie en fondant une brasserie artisanale ou en transformant une vieille demeure familiale en chambres d’hôtes possèdent un tempérament de frondeur. Qui aide à surmonter les obstacles qui pullulent sur la route du chômeur créateur. Plus encore que pour n’importe qui d’autre ! « Ce sont des doutes permanents, des nuits blanches, car on a tout à apprendre. Mais c’est très formateur », reconnaît le brasseur parisien, qui a troqué son appareil photo pour les cuves métalliques.

Au début, beaucoup souhaitent se débrouiller tout seuls et ne dépendre de personne. Question de fierté, sans doute, après des années à avoir vécu « sur le dos de la collectivité », comme certains l’insinuent. « Ils n’osent pas aller voir les banques, ils ont tellement peur de l’échec qu’ils ne veulent pas demander d’aide, ils n’ont pas envie d’être encore “assistés” », observe Bernadette Sozet, déléguée générale d’Initiative France. « Il y a cette volonté de s’en sortir par le haut », note Catherine Barbaroux. Faute d’être toujours bien coachés par Pôle emploi, qui reste leur interlocuteur « naturel », ils imaginent que LA bonne idée va forcément leur rapporter des sommes importantes. « Les subventions, les bénéfices… Ils pensent gagner rapidement de l’argent. Pour eux, créer une entreprise est souvent synonyme de jackpot », remarque Georges Persoz, de la Fondation Raoul-Follereau.

Or la naïveté se paie cher. La plupart des échecs se déroulent la première année. Celle de tous les dangers, où les gains dépassent rarement le montant de l’allocation chômage. Voire ne l’atteignent pas. « On met du temps à accéder à un niveau de revenu décent », prévient la présidente de l’Adie. Après deux ans de chômage et 150 CV envoyés, Marc Cornier se souvient ainsi d’avoir été soulagé d’apprendre qu’il pouvait continuer à bénéficier du RSA le temps que son activité se développe. Il lui a fallu trois ans, dont deux de travaux, pour commencer à vivre de ses cinq chambres classées Gîtes de France, de sa yourte et de sa table d’hôtes qui accueillent pourtant près de 1 800 clients par an ! « Ça donne un revenu mais pas deux. Je gagne moins que quand j’étais salarié car je paie beaucoup de charges. Mais j’ai une vraie liberté », raconte cet ancien cuisinier.

Défiance mutuelle

La boîte de vitesses du camion pizza qui casse, la fuite dans la boutique… Le moindre accroc et c’est la chute. Ces petites sociétés sont fragiles car souvent montées avec trois francs six sous via le « love money ». La trésorerie reste faible. « Le chômage de longue durée grignote les économies », remarque la déléguée d’Initiative France. Et les crédits bancaires sont souvent inexistants. C’est d’ailleurs le deuxième gros écueil à affronter pour ces petits patrons : pouvoir emprunter pour se lancer, investir, faire vivre leur société. D’autant plus que la défiance est mutuelle. Les créateurs refusent d’avoir le couteau sous la gorge et les banquiers n’ont guère confiance en ceux qui ont connu une traversée du désert.

Marc Cornier a beau avoir hypothéqué sa maison, rien n’y a fait. Idem pour Paola Loret, qui a créé son pressing écolo sans solvants près de Rennes. En cause, son installation comme autoentrepreneuse. « Pour ma banque, c’est un statut trop instable. Elle ne m’aide pas. Ni prêt ni découvert autorisé. C’est assez décourageant », regrette cette femme qui a enchaîné durant trois ans les petits boulots avant de se lancer. Georges Persoz en a même vu débarquer, faute de sous, avec des crédits Cofinoga ! « Ils veulent aller vite, s’immatriculer, décrocher un prêt, car la fin des droits agit comme un couperet. Or un projet réclame au moins dix-huit mois pour se développer », souligne-t-il. À trop courir, on grille ses cartouches. Certaines aides ne sont accessibles qu’au lancement et plus après.

Ouvre-boîtes

Sans l’Adie et Initiative France qui distribuent des prêts d’honneur, France Active qui propose des garanties bancaires, les boutiques de gestion et les chambres de commerce et d’industrie (CCI) qui conseillent et orientent, jamais Marc, Bruno, Paola et les autres n’auraient pu se dessiner un nouvel avenir. Ces organismes font sauter les verrous. Business plan mal ficelé, politique tarifaire hasardeuse, argumentaire foireux… Avec leurs bénévoles et leurs coachs issus du monde de l’entreprise, ils crédibilisent les projets. « Quand votre dossier est accepté, ça redonne confiance ! » raconte Paola qui a bénéficié d’un prêt à taux zéro d’Initiative Brocéliande, d’un don de 6 600 euros de la Fondation Raoul-Follereau et de consultations juridiques de la CCI. Bruno, quant à lui, a récupéré les 50 000 euros de financement dont il avait besoin grâce à Paris Initiative Entreprise. Et bénéficié des conseils d’un parrain, ancien chef d’entreprise. « Il m’a aidé à construire tous mes outils de suivi de production, précise-t-il. C’est crucial, le réseau. »

Car ces organismes jouent les ouvre-boîtes. « Un euro prêté par le réseau déclenche huit euros prêtés par les banques classiques », calcule Bernadette Sozet, d’Initiative France, qui a permis de créer et maintenir 39 538 emplois en 2013. Selon une étude du BIT, de France Stratégie et de la Caisse des dépôts parue l’été dernier, 77 % des entreprises ayant été accompagnées existent toujours après trois ans d’activité, contre 66 % de celles qui n’ont bénéficié d’aucun soutien. Comme quoi la création est tout sauf un acte solitaire…

REPÈRES

1,6 MILLIARD d’euros, c’est le montant de l’aide à destination des chômeurs créateurs.

179 308 d’entre eux ont bénéficié d’exonérations de charges (Accre),

123 670 du versement de la moitié de leurs allocations chômage en capital (Arce),

42 320 du cumul avec leur allocation.

Sources : Cour des comptes 2013, Pôle emploi (au 31 mars 2014).

Auteur

  • Emmanuelle Souffi