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L’Espagne dérégule son marché du travail

À la une | publié le : 02.02.2015 | Cécile Thibaud

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L’Espagne dérégule son marché du travail

Crédit photo Cécile Thibaud

La réforme de 2012 facilite le licenciement et privilégie les accords d’entreprise.

Manuela Alonso fait ses comptes. Avec un salaire de 525 euros et un loyer de 200, le calcul est rapide : « Au bout de la première semaine du mois, il ne me reste plus rien ; heureusement mes parents nous aident. » À 42 ans, divorcée et mère de deux enfants, elle a fait face à deux ans de chômage avant de décrocher un contrat à temps partiel comme manutentionnaire dans un supermarché. « Mes horaires sont compliqués et je suis loin des 900 euros que je touchais avant, mais je ne me plains pas, c’est tout ce qu’il y a », confie-t-elle.

Si l’Espagne redécolle, c’est lentement. Après sept années de montée imparable du chômage qui a affecté jusqu’à 27 % de la population active en 2013, le pays a recommencé à créer de l’emploi. Plus de 400 000 personnes ont ainsi retrouvé du travail en 2014. Pour beaucoup d’entre elles, comme Manuela, il n’y a pas pour autant de quoi crier victoire. Car les nouveaux emplois, souvent précaires et à temps partiel, tirent difficilement les familles de la misère. Mais le pays, qui a détruit 3,8 millions d’emplois depuis le début de la crise, revient de loin.

ACCORDS REVUS À LA BAISSE.

Pour réactiver un marché du travail atone, le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy s’est lancé en 2012 dans une réforme en profondeur de la législation du travail. Son objectif ? La flexibilité. La nouvelle loi abaisse les coûts du licenciement, avec l’espoir de lutter contre l’usage excessif des contrats temporaires qui concernent près d’un salarié sur trois. Elle donne priorité aux accords d’entreprise sur ceux de branche et offre aux employeurs de nouveaux outils de flexibilité interne. Ils peuvent ainsi revenir sur les conventions collectives et les accords déjà négociés. Ou, en invoquant la perspective de mauvais résultats économiques, réviser les salaires à la baisse, réorganiser le travail ou ne plus compenser les heures supplémentaires.

Pour les syndicats, qui se sont opposés sans succès, la loi marque un dur revers. « Le gouvernement a choisi de sacrifier le système de protection sociale et de démonter la législation du travail. Aujourd’hui, il faut travailler plus pour gagner moins et dans des conditions de plus en plus précaires », dénonce Carlos Bravo, responsable des politiques sociales aux Commissions ouvrières. Dans les entreprises, les accords ont été revus à la baisse. « Nous avons tous intériorisé que la loi joue en notre défaveur, raconte José Antonio Huesca, ingénieur géologue dans un cabinet d’études techniques. Chaque saison a apporté son lot de mauvaises surprises. D’abord, le gel des salaires et les heures sup non payées, puis la suppression du treizième mois et une baisse des indemnités de déplacement. » Au total, il a perdu près de 25 % de ses revenus. « Mais qui va se plaindre ? On se dit juste qu’on a de la chance que la boîte n’ait pas fermé. »

Une bonne partie des experts applaudit néanmoins la réforme du travail. « Elle a permis d’éviter la destruction d’emplois en facilitant la flexibilité interne. Elle donne les instruments aux entreprises pour s’adapter rapidement », affirme l’économiste Angel de la Fuente, directeur de la Fondation d’études d’économie appliquée. En rappelant que la loi s’est appliquée sans conflit social majeur et bien souvent avec l’accord des syndicats. Mais la reprise qui s’amorce est timide, alors que le pays compte encore 24 % de chômeurs. « Les postes de travail créés pour l’instant sont de faible qualité, temporaires et à temps partiel. Le pays aura besoin d’au moins quinze ans pour retrouver le niveau d’emploi d’avant la crise », souligne Sara de la Rica, professeure d’économie à l’Université du Pays basque. Autant dire une éternité.

Auteur

  • Cécile Thibaud