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Les CFA entre attentisme et grosse inquiétude

Dossier | publié le : 29.12.2014 | V.G.-M.

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Les CFA entre attentisme et grosse inquiétude

Crédit photo V.G.-M.

Ressources, accompagnement des jeunes, contraintes réglementaires… Les centres de formation s’interrogent sur l’impact des mutations en cours.

Alors que la campagne de collecte de la taxe d’apprentissage 2015 bat son plein, les centres de formation d’apprentis (CFA) sont sur le qui-vive. Sur le papier, la réforme de l’apprentissage porte en effet la taxe de 0,50 % à 0,68 % de la masse salariale et bouleverse les règles d’affectation de son produit, dont 51 % seront redistribués par les régions. Déjà, certains tirent la sonnette d’alarme, inquiets de perdre des ressources, d’autres attendent de voir comment les régions vont jouer leur nouveau rôle d’unique pilote de l’apprentissage. À côté de la tuyauterie financière, c’est aussi la réglementation sur l’usage des machines dangereuses et les travaux en hauteur qui est en train d’évoluer, comme le rôle des CFA dans l’accompagnement des apprentis vers l’emploi. Revue de détail des nouveautés qui bousculent les centres de formation des apprentis.

Tuyauterie financière

« On ne peut pas nous laisser tomber comme ça ! » En sortant de Matignon, où il vient de rencontrer un conseiller du Premier ministre, Jean-Claude Bellanger, secrétaire général de l’Association ouvrière des compagnons du devoir et du tour de France, se montre alarmiste. Il est venu réclamer une aide « compensatoire » pour la période transitoire 2015-2016. « Avec les nouveaux circuits de répartition de la taxe en région et parce que notre CFA n’est ni consulaire ni paritaire, nous risquons de perdre en collecte près de 5 millions d’euros. Cela représente 1 500 apprentis de moins, calcule-t-il. Et pour le moment, les régions ne savent pas à quelle hauteur elles vont nous financer. »

Pour l’heure, la majorité des CFA se montrent encore attentistes face aux effets de la réforme. Aucun ne sait d’où vont venir les flux financiers et comment les régions se comporteront. « Il est extrêmement difficile d’évaluer l’impact de cette réforme sur le fonctionnement de notre Institut des métiers de l’artisanat. Les nouvelles règles vont entrer en application en 2015 », résume Marie Ramos, directrice du pôle emploi-compétences de la chambre de métiers et de l’artisanat de Seine-et-Marne. « Certes, les entreprises n’ont plus la possibilité d’affecter le hors-quota à nos centres, ce qui peut entraîner une baisse de nos ressources. Mais la fusion de la taxe et de la contribution au développement de l’apprentissage, et la volonté du législateur de confier un rôle plus grand aux régions en leur réservant directement une part de l’affectation de la taxe, est de nature à nous rassurer », affirme-t-elle.

Pas d’affolement non plus du côté de Patrick Pittalis, secrétaire général et responsable de la formation de l’Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction (Unicem) : « Avant de crier au loup, attendons de voir ce que les régions voteront dans leurs budgets 2015. Mais nous serons extrêmement vigilants sur l’attribution des enveloppes destinées à l’apprentissage. » Les régions se sont voulues plutôt rassurantes jusqu’ici. En septembre dernier, lors de la journée de mobilisation pour l’apprentissage, elles se sont engagées à maintenir leur effort en faveur de l’apprentissage et à écouter les CFA en difficulté financière.

Les responsables de CFA se demandent surtout si cette réforme réglera la question du financement de l’apprentissage. « Le passage de 0,50 % à 0,68 % est insuffisant pour atteindre l’objectif affiché de 500 000 apprentis en 2017 », avertit Gilles Langlo, président de la Fédération nationale des associations régionales des directeurs de centres de formation d’apprentis (Fnadir) et directeur du CFA de la chambre de métiers et de l’artisanat d’Indre-et-Loire.

Travaux dangereux

Se former en situation réelle et en toute sécurité : c’est l’une des promesses de l’apprentissage qui, pour certains métiers, est un vrai casse-tête. Mais à l’heure du choc de simplification, un assouplissement de la réglementation est prévu. Comme tous les travailleurs de moins de 18 ans, les apprentis ne peuvent effectuer des tâches dangereuses qui les exposent à des risques. Pour leur confier ces travaux, listés par décret, et répondre aux besoins de leur formation, les entreprises ou le centre de formation doivent obtenir l’aval de l’Inspection du travail. Cette procédure devrait être simplifiée pour passer à un régime déclaratif et à un contrôle a posteriori renforcé. De même, afin de faciliter l’embauche d’apprentis pour les travaux en hauteur, les règles de protection seront modifiées après concertation avec les partenaires sociaux pour les adapter aux contraintes techniques auxquelles font face les entreprises.

Deux annonces plébiscitées par Sabine Mathieu, directrice du CFA de la chambre de métiers et de l’artisanat de Meaux. « Ces décisions devraient avoir un effet positif sur la signature de nouveaux contrats. Si et seulement si l’ensemble des mesures annoncées se concrétise. » Pour Didier Riou, le président de l’Unicem, « le gouvernement prend enfin la mesure des enjeux alors que le nombre d’apprentis ne cesse de baisser ». Les centres de formation de l’Unicem ont en effet enregistré une chute de 7 % du nombre d’apprentis depuis 2012. Pour certaines formations, les dispositions actuelles sont dissuasives pour le recrutement de jeunes, « notamment en taille de pierre, dont les effectifs se sont effondrés dans deux CFA sur trois ».

Aides à l’apprentissage

D’après Gilles Langlo, de la Fnadir, les atermoiements autour des aides à l’apprentissage n’ont pas eu d’effet direct sur le recrutement d’apprentis et les effectifs en CFA. « Soyons sérieux, ce n’est pas la suppression des primes qui a provoqué la baisse du nombre de contrats. Les effectifs d’apprentis étaient déjà en diminution dans certains secteurs comme la mécanique automobile », note-t-il. À cela s’ajoute une baisse structurelle des effectifs de jeunes en bac professionnel après la réforme de la voie professionnelle et la mise en place du bac pro en trois ans. « Les entreprises hésitent à prendre des apprentis en fin de troisième pour trois ans », poursuit le président de la Fnadir. La baisse des aides aurait surtout contribué à brouiller les signaux et a laissé penser que l’État se désengageait : « Il y avait déjà beaucoup d’inquiétude chez les employeurs dont les carnets de commandes sont en berne. La suppression des aides a accentué cette morosité. »

Mission d’accompagnement

De son côté, Sabine Mathieu note que l’impact des nouvelles primes sur les recrutements « ne pourra se mesurer qu’à la rentrée de septembre 2015 ». Elle attend également « beaucoup » des propositions portant sur la rémunération des apprentis « pour encourager l’embauche de jeunes de 21 ans et plus afin de répondre aux besoins de ce public laissé pour compte qui, sous prétexte d’un positionnement tardif, rencontre de réelles difficultés pour se faire embaucher en apprentissage ».

La loi du 5 mars 2014 confie aux CFA une mission d’accompagnement des jeunes. « Nous n’avons pas attendu cette loi pour déployer toutes sortes d’aides en direction des apprentis », observe Gilles Langlo. De la résolution des conflits entre les jeunes et l’équipe éducative à la prévention des ruptures de contrat en passant par l’accompagnement éducatif et social et la recherche d’une entreprise, les CFA se sont emparés de ces questions depuis longtemps. « Mais nous l’avons fait avec nos moyens. Aujourd’hui la loi crée une responsabilité plus lourde sans qu’on sache comment on va l’assumer », note le président de la Fnadir. Cette responsabilité d’accompagnement est ainsi étendue à l’insertion professionnelle sans plus de précision. Derrière cette mesure, il y a aussi la volonté d’éviter les ruptures prématurées de contrat, dont le taux est en moyenne de 25 %. Un problème majeur pour les apprentis comme pour les employeurs. Difficile d’imaginer que sans moyens supplémentaires les CFA parviendront à résoudre l’équation.

Auteur

  • V.G.-M.