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J’ai 16 ans et je travaille…

Dossier | publié le : 29.12.2014 | V.G.-M.

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J’ai 16 ans et je travaille…

Crédit photo V.G.-M.

Salariés avant tout, les apprentis, en majorité mineurs, sont mis à rude épreuve. Et tentés de décrocher. Pour limiter la casse, les CFA doivent les épauler.

Nous n’avons pas de professeurs comme les élèves de lycée, mais des formateurs, affirme avec aplomb Théodore, 17 ans, en première année de CAP employé de vente spécialisé (EVS) à la Faculté des métiers de l’Essonne. Et pendant les vacances scolaires, on travaille », précise-t-il d’emblée. Le ton est donné. Même mineurs, les apprentis sont avant tout des salariés. Avec les contraintes et les avantages que cela représente à un âge où la plupart de leurs copains sont encore au collège ou au lycée. À mille lieues du monde du travail. En France, plus de la moitié des apprentis ont moins de 18 ans. Des jeunes qui découvrent très vite les atouts du système et plébiscitent l’ancrage dans la réalité : « On nous paie pour aller en cours ! » s’exclame, hilare, Georges, qui prépare un bac pro service en salle à l’École de Paris des métiers de la table, du tourisme et de l’hôtellerie, dans le XVIIe arrondissement. « On apprend les gestes professionnels, c’est concret », souligne de son côté Sélin, 16 ans, en première année de CAP d’esthétique à la Faculté des métiers de l’Essonne.

Reste que beaucoup de jeunes se retrouvent encore en apprentissage pour rompre le cercle vicieux de l’échec et de l’ennui scolaires. Comme Georges qui n’a « pas eu le choix ». Après un passage en mécanique auto il a été réorienté vers le service en salle parce qu’« on m’a dit que c’était bien ». Des choix par défaut qui expliquent en partie pourquoi l’apprentissage ne parvient pas à séduire les jeunes et leur famille. Mais en partie seulement. Car si l’apprentissage ne décolle pas, c’est aussi parce que les entreprises ont des carnets de commandes vides et ne peuvent donc pas fournir du travail à un jeune pour le former. Et, depuis 2009, la tendance est plutôt à la baisse. Sur les huit premiers mois de l’année 2014, les signatures de contrats d’apprentissage étaient en recul de 10 % ! Une réalité que les jeunes découvrent en cherchant ce premier contrat de travail.

À la recherche d’employeurs

Comme les demandeurs d’emploi, ils déploient toutes les stratégies possibles pour décrocher un contrat : Romain s’est appuyé sur le réseau familial, ses collègues ont privilégié Internet et les Pages jaunes. « Je me suis bien habillé et j’ai fait du porte-à-porte au feeling », se souvient Georges qui a déposé de nombreux CV dans des restaurants avant de trouver son employeur. D’autres sont aidés par le CFA : portefeuille d’anciens élèves et d’entreprises partenaires, élaboration du CV et de la lettre de candidature, simulation d’entretien…

En Ile-de-France, le conseil régional finance même un système de passerelle qui permet au jeune sans contrat de travail de commencer ses cours au CFA tout en étant stagiaire de la formation professionnelle et en bénéficiant d’une protection sociale. Pendant les « périodes en entreprise », ces apprentis sont coachés par les CFA dans le cadre d’ateliers de technique de recherche d’emploi. Une fois le poste trouvé, encore faut-il s’y maintenir. Et les chiffres montrent à quel point il peut être difficile pour un jeune de garder un poste. Car l’autre mal de l’apprentissage, c’est bien le décrochage des apprentis. Le taux de ruptures de contrat avoisine 25 % sur le plan national et peut monter à 45 % dans des secteurs comme l’hôtellerie-restauration et la coiffure.

Jusqu’au centre de formation la vie de l’entreprise rattrape les jeunes, qui l’ont parfaitement intégré : « Le temps passé au CFA est considéré comme du temps de travail, précise Kévin, 16 ans, en bac pro de serveur à l’École de Paris des métiers de la table. En cas d’arrêt maladie, le patron est prévenu. » Il l’est aussi en cas de problème de comportement. « Nous pouvons être sanctionnés pour faute professionnelle. Sortir de la classe peut être considéré comme un abandon de poste », note Théodore, très au fait des droits et devoirs du salarié. Le CFA n’est en effet que le prestataire de l’entreprise. À la Faculté des métiers de l’Essonne comme à l’École de Paris des métiers de la table, le lien entre le centre de formation, l’entreprise et la famille s’effectue grâce à un cahier de liaison et un agenda électronique.

L’apprentissage, c’est également la découverte des métiers et des travaux qui peuvent être dangereux. Au titre de la protection de la santé des jeunes travailleurs, le Code du travail interdit aux employeurs et aux lieux de formation de les exposer à des travaux dangereux, de leur faire utiliser certaines machines ou des produits toxiques, sauf dérogation demandée à l’Inspection du travail. Loïck, apprenti au CFA agricole d’Avize, dans la Marne, ne peut pas, par exemple, utiliser le tracteur et le chenillard pour travailler les vignes d’accès difficile. La réglementation doit être assouplie dans les prochaines semaines. « C’est souvent moins dangereux pour un jeune de 14 ans qui a grandi sur une exploitation agricole d’être exposé à certains travaux ou d’utiliser certaines machines que pour un jeune de 18 ans qui ne connaît rien au milieu. Tout dépend de l’accompagnement qu’on lui propose et cela n’a rien à voir avec l’âge », explique Pascal Pinon, directeur des Maisons familiales de Maine-et-Loire et de la Sarthe.

Pour Morgan Marietti, délégué général de l’Association nationale des apprentis de France (Anaf), il faut aussi faire attention à « ne pas surprotéger les apprentis jusqu’à transformer leur mission en simple stage d’observation. La frustration et le désintérêt sont les premières causes de rupture des contrats ». Et pour lutter contre un phénomène qui n’est pas réservé aux jeunes de l’enseignement général ou aux étudiants, les CFA ont désormais une obligation d’accompagnement tout au long de leur contrat. Un accompagnement aujourd’hui très inégal d’un CFA à l’autre.

Améliorer l’accompagnement

Le ministère du Travail est en train de recenser toutes sortes de pratiques ayant cours dans les CFA afin de définir un « socle commun » d’accompagnement qui pourra s’imposer aux centres de formation : de la recherche d’une entreprise à la sélection des candidats en passant par le déroulement des formations. Le travail de médiation d’un CFA peut par exemple éviter à un jeune de perdre totalement la confiance de son employeur, jusqu’à la rupture. L’Anaf accompagne d’ailleurs les CFA sur ces problématiques.

Morgan Marietti se souvient ainsi d’un pâtissier qui ne souhaitait plus garder un apprenti. Ce dernier ratait systématiquement les éclairs. « Soit il les remplissait trop et le patron était mécontent, soit pas assez et ce sont les clients qui se plaignaient. » Le CFA a donc mis en place une médiation, identifié le problème et retravaillé avec le jeune le geste professionnel. « Non seulement l’apprenti a fini par bien remplir les éclairs, mais il a développé d’autres compétences et a pu exercer de nouvelles missions chez le pâtissier. »

Autant de contraintes qui conduisent Lorenz à ne « recommander l’apprentissage qu’aux convaincus et passionnés. C’est dur… surtout si les relations sont difficiles avec le patron ». Pour leur faire davantage prendre conscience de leur statut de salarié, l’École de Paris des métiers de la table impose un uniforme à tous ses apprentis. « C’est indispensable pour qu’ils adoptent une posture professionnelle. Ils doivent réaliser qu’ils sont en contrat de travail », explique le directeur administratif, Ismaël Menault. Aujourd’hui, le pli est pris. Ce qui n’empêche pas les jeunes de sortir leur lecteur MP3 et de dissimuler leur uniforme dès la porte de l’école franchie…

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  • V.G.-M.