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Chez Siemens, les heurts et bonheurs de la cogestion

Décodages | publié le : 29.12.2014 | Thomas Schnee

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Chez Siemens, les heurts et bonheurs de la cogestion

Crédit photo Thomas Schnee

Érigée en modèle, la cogestion à l’allemande n’exclut pas les frictions et les bras de fer. Comme chez le géant Siemens, où les syndicats contestent les plans de la direction. Contre-projets à l’appui.

De grandes halles en briques rouges, un entrelacs de lignes de signalisation, d’imposants blocs métalliques qui « encombrent » l’espace, le tout posé en plein cœur du quartier berlinois bien nommé de Siemensstadt. Bienvenue au Dynamowerk, où Siemens fabrique des moteurs et des générateurs pour les centrales électriques et pour l’éolien. « C’est ici que Werner von Siemens a lancé son entreprise, en 1847. Il y a environ 800 personnes qui y travaillent. Si vous traversez la rue et allez dans l’usine de turbines en face, vous serez dans un autre monde. Avec ses 50 000 produits différents et ses 700 filiales, le groupe est très complexe à gérer. Je suis heureux que nous ayons la cogestion pour le faire », confie Predrag Savic, vice-président du CE de l’usine.

En Allemagne, la cogestion est née chez Volkswagen, en novembre 1945. Elle est alors imposée par le gouvernement militaire britannique qui force le constructeur automobile créé par les nazis à se doter d’un organe de représentation des salariés doté de larges droits de consultation. Une pratique étendue à toute la métallurgie en 1951, puis à l’ensemble de l’économie en 1976. Les lois encadrant la cogestion autorisent les entreprises de plus de cinq salariés à se doter d’un comité d’entreprise. Toutes celles qui en emploient plus de 2 000 doivent en outre laisser la moitié des sièges de leur conseil de surveillance aux représentants des salariés. Comme chez Siemens, leur directeur du personnel – qui s’appelle « directeur du travail » – ne peut être nommé qu’avec leur aval. S’y ajoute l’autonomie de négociation des accords collectifs et des salaires par les partenaires sociaux, inscrite dans la Constitution.

50 % de syndiqués.

« Attention, la cogestion, ce n’est pas le socialisme où les ouvriers sont rois ! prévient Predrag Savic, un ingénieur mécanicien né en Yougoslavie voilà quarante-six ans. Dans le conseil de surveillance, le président est toujours le représentant des actionnaires et il a une double voix. C’est donc lui qui décide, sauf si on lui oppose une pression suffisamment forte. D’où la nécessité d’avoir des comités d’entreprise solides, épaulés par un syndicat fort. Chez nous, c’est IG Metall. » Le grand syndicat des métallos dispose d’une vingtaine de délégués chargés tout spécialement de suivre Siemens, tant pour la formation des représentants que pour la négociation et la résolution des conflits. L’usine compte un taux de syndicalisation supérieur à 50 %, contre environ 30 % pour le groupe. Et le président de son CE, Olaf Bolduan, siège au comité central d’entreprise ainsi qu’au conseil de surveillance du groupe. « Cette configuration nous permet d’obtenir en temps réel énormément d’informations sur la situation de l’entreprise. C’est essentiel pour réagir vite en cas de coup dur », explique Predrag Savic, en évoquant « le miracle de Leipzig », en ex-RDA.

En 2013, les 365 salariés de cette usine Siemens de transformateurs électriques apprennent la fermeture prochaine de leur site et la délocalisation de l’activité au Portugal. Un projet ne laissant sur place que 90 emplois dans la maintenance. Mauvaise ambiance entre salariés et direction, importante rétention d’informations, équipements obsolètes et absence de stratégie… « Personne ne contestait que l’usine marchait mal et qu’il y avait d’importantes améliorations à apporter. Mais rien ne se faisait », raconte Michael Hellriegel, le président du CE de l’usine.

Contre-projet.

À l’issue d’une réunion explosive du comité d’entreprise, les représentants syndicaux décident de lancer un groupe de travail chargé de concocter un projet de sauvetage. Avec le soutien d’IG Metall, qui fournit une équipe de consultants spécialisés. Ensemble, et avec les chiffres que la direction leur remet finalement, l’équipe élabore un contre-projet qui prévoit le maintien de l’usine, moyennant quelques suppressions de postes, un gel du treizième mois et des primes de vacances. Un plan mis en œuvre avec succès. Aujourd’hui, le site de Leipzig est une usine de référence du groupe pour les transformateurs à basse tension !

Officiellement, la direction générale du groupe s’est toujours déclarée très favorable à la cogestion. « C’est assurément un atout pour Siemens. Regardez comment nous avons pu nous accorder très rapidement avec les CE pour mettre en œuvre des mesures massives de chômage partiel afin de protéger les emplois lors de la dernière crise », expliquait, en 2010, le patron, Peter Löscher. « Du côté de la direction et des représentants des actionnaires, on accepte la cogestion parce que l’on doit faire avec et qu’elle a aussi ses bons côtés. Dans le contexte difficile d’aujourd’hui, il est évident qu’il vaut mieux avoir les syndicats avec soi. Mais parfois on s’en passerait avec plaisir », nuance un cadre supérieur, sous couvert d’anonymat. Les révélations de 2006, selon lesquelles la direction avait longtemps financé les activités du petit syndicat AUB, favorable aux thèses patronales, illustrent bien la schizophrénie de la direction. « Les relations avec IG Metall se sont normalisées. Mais ses représentants restent sur leurs gardes, d’autant plus que nous en sommes à trois DRH en cinq ans », explique ce cadre. Au Dynamowerk, les échanges sont aussi amicaux, mais distants. « La direction est tout entière occupée à réaliser les objectifs de production et de vente. Au fil des ans, les effectifs de notre département du personnel ont fondu et nombre de ses prérogatives ont été externalisées. Aujourd’hui, seul le CE est vraiment en état de lancer des réflexions sur des sujets de fond comme le stress au travail ou le vieillissement démographique », estime Predrag Savic.

De la base au CE européen.

En mai 2014, les représentants du personnel ont fait un bond en entendant le nouveau patron du groupe, Joe Kaeser, présenter son plan « Vision 2020 ». Un cocktail d’économies, de ventes d’activités « non stratégiques », de restructurations et de suppressions d’emplois, pouvant atteindre 15 000 postes. Le tout annoncé sans la moindre concertation. De quoi faire exploser les syndicalistes, qui ont bien vite forcé le grand patron à revenir sur ses propos et à minimiser les réductions. « La course à la rentabilité, excessive et fixée arbitrairement, est nocive tant pour l’entreprise que pour ses salariés. Nous avons donc lancé un projet alternatif, Siemens 2020, pour faire contrepoids », explique Jürgen Kerner, d’IG Metall, qui siège au conseil de surveillance.

Un plan syndical qui prévoit, lui aussi, de faire des économies et de relancer la dynamique technologique du géant. Mais en tenant compte de l’avis des ouvriers. Toutes les structures de représentation des salariés, de la base jusqu’au comité d’entreprise européen, sont aujourd’hui mises à contribution par des ateliers et des groupes thématiques de travail. « Si nous voulons imprimer notre marque sur le cours de l’entreprise, nous ne pouvons pas nous contenter de critiquer ou de bloquer les décisions de la direction. Nous devons présenter un projet alternatif viable, estime Birgit Steinborn, présidente du CE central. Siemens 2020 est conçu tout à la fois comme une aide à l’orientation pour les représentants du personnel et comme une offre de discussion à la direction de l’entreprise », précise-t-elle. Chez Siemens, l’esprit de la cogestion souffle encore.

EFFECTIF

320 000 salariés dans le groupe Siemens, dont 118 000 travaillent en Allemagne et 10 000 à Berlin

Auteur

  • Thomas Schnee