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Comment contrôler les travailleurs étrangers détachés ?

Idées | Débat | publié le : 03.12.2014 |

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Comment contrôler les travailleurs étrangers détachés ?

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Pour lutter contre les abus liés au détachement de travailleurs étrangers, les parlementaires ont voté une loi, dite Savary, en juillet. L’exécutif annonce aussi la création d’une carte d’identité professionnelle pour ces salariés et des contrôles accrus.Un arsenal néanmoins difficile à appliquer.

Jacques ChanutPrésident de la Fédérationfrançaise du bâtiment.

La question du contrôle des entreprises intervenant en France est une très grande préoccupation pour notre secteur. Depuis de nombreux mois, la Fédération française du bâtiment (FFB) dénonce le dumping social et la concurrence déloyale des entreprises étrangères qui sévissent sur les chantiers. Ce ne sont pas les règles du détachement qui sont en cause, mais la fraude aux règles qui est à l’origine de ce fléau. Parmi les propositions faites par la FFB, il y a un dispositif d’identification de tous les salariés sur chantier. Cela permettrait de grands progrès dans le contrôle de la fraude. En effet, on constate trop souvent qu’il peut être difficile pour l’Inspection du travail, sur les chantiers d’une certaine importance, de savoir de quelle entreprise relèvent les salariés, notamment lorsqu’ils ne parlent pas français…

Pour qu’un tel système soit pleinement efficace, il nous paraît essentiel qu’un dispositif unique soit adopté et qu’il présente des garanties élevées de sécurité. C’est pourquoi nous nous réjouissons tout particulièrement que le ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, François Rebsamen, ait décidé de rendre la carte d’identification du bâtiment et des travaux publics obligatoire pour toutes les personnes présentes sur un chantier. Cette carte, infalsifiable et délivrée par les caisses de congés payés du BTP, pourra être étendue à toutes les personnes travaillant sur les chantiers : salariés y compris détachés, intérimaires, artisans… C’est, d’ailleurs, ce que le Premier ministre, Manuel Valls, a confirmé lors du 3e Sommet de la construction organisé le 20 novembre dernier par notre fédération professionnelle.

L’autre mesure qui nous paraît indispensable consisterait à pouvoir élargir les contrôles sur chantier non seulement aux heures dites « ouvrées », mais aussi le soir et le week-end. En effet, seules de telles vérifications pourraient permettre d’appréhender une certaine réalité du détachement frauduleux et de constater la réalité de la durée du travail accomplie. Tous les salariés du bâtiment, qu’ils aient un contrat de travail français ou qu’ils soient détachés, doivent travailler en France dans des conditions légales et bénéficier des mêmes droits. La carte d’identification professionnelle va faciliter les contrôles et permettre de revenir à une concurrence plus saine. Il faut faire vite !

François Nicolas WojcikiewiczAvocat au barreau de Paris.

Sommes-nous entrés en France dans l’ère de la méfiance et du ras-le-bol de l’Europe, l’ère des contrôles systématiques de tout élément d’extranéité ? Pour nous aider à comprendre la situation en matière de détachement de travailleurs étrangers en France, reprenons tout simplement la récente fiche de présentation établie à l’attention des agents de contrôle par la DGT au sujet de la loi dite Savary. Il y est indiqué que le dispositif va au-delà des obligations prévues par la législation communautaire. La loi nouvelle renforce les sanctions applicables aux entreprises recourant au travail illégal et, parallèlement, étend les moyens d’action des syndicats, qui peuvent ester en justice au nom d’un salarié détaché sans même avoir à justifier d’un mandat de l’intéressé ! Certes, la loi instaure un système louable dans l’absolu. Mais si responsabiliser les maîtres d’ouvrage est une bonne chose, jouer sur leur peur du gendarme pour faire rompre les relations commerciales entre sociétés françaises et sous-traitants européens est consternant. Lorsque le ministère du Travail annonce que, « désormais, toute entreprise qui emploie des travailleurs détachés sera contrôlée », il jette l’opprobre sur les grandes entreprises apporteuses de la main-d’œuvre hautement qualifiée dont la France manque. Et il opère un amalgame entre quelques entreprises peu scrupuleuses et toutes les autres, respectueuses des règles.

Ladite fiche de présentation circule d’ores et déjà dans les gendarmeries – les instructions étant de systématiser les contrôles – et est remise en main propre aux donneurs d’ordres français. Sans pour autant leur expliquer exactement les règles applicables. La méconnaissance du système provoque chez eux, et c’est l’effet recherché, une crainte des ennuis qui conduira la plupart à renoncer à confier des contrats à des sociétés européennes. La lutte contre la concurrence sociale déloyale devient une lutte contre les entreprises étrangères ; elle aboutit à la mise en place d’un protectionnisme à outrance. Les sociétés européennes, lassées des abus de droit et de procédure, délaisseront peu à peu le marché français. Elles n’y auront rien gagné, mais la France y aura tout perdu. Puissent nos partenaires ne pas être tentés par la réciprocité, qui verrait 300 000 Français détachés en Europe rentrer subitement en France. Crise, quand tu nous tiens !

Gilles LetortSecrétaire fédéral à la CGT Construction, chargé de l’Europe et de l’international.

Le détachement est une arme redoutable de dumping social qui contribue à mettre fin à plus de trente ans de volonté de définir un socle social devant assurer la pérennité et la fidélité de la main-d’œuvre avec un haut niveau social dans le secteur. L’irruption récente d’une vague importante de suicides de patrons de PME et d’artisans du bâtiment illustre la difficulté dans laquelle ils se trouvent, concurrencés directement par l’utilisation, en grande partie par les grands groupes, du détachement. Dans nos secteurs, ils sont plus de 150 000 travailleurs détachés sur le territoire, pour la plupart payés la moitié d’un smic, logés dans des taudis, travaillant dans des conditions impensables et victimes d’accidents du travail parfois dramatiques.

La directive dite d’exécution, qui vise à garantir une application plus uniforme des conditions d’exécution du détachement, fournit des outils à même d’améliorer les contrôles. Notamment par une meilleure définition des détachements frauduleux et un renforcement de la coopération entre corps de contrôle sur le plan transfrontalier. Elle nous donne aussi le droit express de représenter les salariés en justice. Mais c’est la loi Savary du 10 juillet 2014 qui répond concrètement à une de nos revendications. Celle de permettre aux représentants du personnel de déceler la présence de salariés détachés dans les entreprises d’accueil et leurs conditions d’emploi. Désormais, elles doivent annexer au registre du personnel toutes les déclarations de détachement, ce qui constitue une mine d’infos pour nous.

La question des cotisations sociales nécessite une mobilisation de tous. Car l’absence d’affiliation à notre système de protection sociale représente un différentiel très important. Le contrôle de la véracité de cette affiliation étant un enjeu décisif, les corps de contrôle doivent être en mesure d’écarter les certificats A1 lorsque, de toute évidence, la situation de travail ne relève pas du détachement. Il conviendrait, d’ailleurs, que les agents des Direccte qui partent à la retraite soient remplacés. Et même d’en embaucher plus. Enfin, la mise en place d’une liste noire des entreprises et dirigeants qui ne respectent pas la loi est aussi de nature à conduire au renforcement des contrôles. Tout comme la responsabilisation accrue des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordres. Là aussi, la loi Savary constitue une avancée. Reste à la traduire dans les faits.

CE QU’IL FAUT RETENIR

La directive européenne sur le détachement, qui date de 1996, prévoit que les cotisations sociales sont dues dans le pays d’origine. Résultat, faire appel à des travailleurs détachés peut permettre de réaliser de très grosses économies en matière de couverture sociale. Dans le BTP, on estime ainsi à 30 % l’écart de coût entre des salariés français et polonais, selon un rapport sénatorial datant de 2013.

La loi Savary du 10 juillet 2014, d’origine parlementaire et dont le texte a été définitivement adopté le 26 juin, vise à lutter contre les abus liés au détachement de travailleurs étrangers. Elle anticipe la transposition de la directive d’exécution relative au « détachement », votée par le Parlement européen le 16 avril, qui dote l’UE de nouveaux moyens pour combattre les fraudes liées au détachement et le dumping social.

REPÈRES

300 000

C’est le nombre de travailleurs étrangers légalement détachés dans l’Hexagone, selon l’estimation du ministère du Travail. Une population qui aurait presque doublé en deux ans.

30 %

C’est l’écart de coût du travail entre un salarié français et un travailleur détaché polonais, selon un rapport sénatorial de 2013.