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« Fini-parti » : le mini coup de balai marseillais

Décodages | publié le : 03.12.2014 | Nicolas Lagrange

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« Fini-parti » : le mini coup de balai marseillais

Crédit photo Nicolas Lagrange

Généralisé début 2015, le nouveau contrat de propreté de la Métropole s’attaque au « fini-parti », cher au syndicat FO. Terminé, le ramassage expéditif des déchets et les petites journées de travail ? Pas si simple.

Survivra-t-il au dernier assaut en date, le plus fort jamais enregistré ? Le « fini-parti », qui permet aux chauffeurs de bennes et aux ripeurs (éboueurs) de quitter le travail dès leur tournée achevée, a pour l’instant résisté à toutes les mises en cause à Marseille. Grâce à la bienveillance des maires successifs et sous l’œil vigilant de l’omniprésent syndicat FO Territoriaux (lire l’encadré). Un système vieux d’un demi-siècle, accusé d’être à l’origine de la saleté récurrente, laquelle constitue, avec l’insécurité, une des deux principales critiques adressées à la cité phocéenne, malgré une taxe d’enlèvement des ordures ménagères parmi les plus chères de France.

Depuis le 29 septembre, place au nouveau contrat local de propreté de la communauté urbaine, appliqué dans six arrondissements avant sa généralisation, en janvier 2015. » Le fini-parti est balayé », se réjouit Guy Teissier, président UMP de Marseille Provence Métropole (MPM), qui regroupe 18 communes. En théorie, ripeurs et chauffeurs doivent désormais travailler sept heures trente. Soit trente minutes de prise de poste (habillage et consignes), six heures trente de collecte (trois tournées), vingt minutes de fin de poste (signalement d’anomalies, retour et douche) et dix minutes de reliquat (représentant trente-trois heures sur une année pour des séquences d’information et de formation). Bien plus que les trois heures trente effectuées chaque jour en moyenne jusque-là, selon l’estimation de la chambre régionale des comptes en 2007, et que les deux à trois heures maximum relevées par les élus écologistes.

Sauf que cette nouvelle amplitude de sept heures trente reste très théorique. D’abord parce que les trente minutes de prise de poste ne correspondent à rien pour les ripeurs – seuls les chauffeurs vérifient leur camion et vont chercher leurs collègues. Tout comme les vingt minutes de fin de poste. Ensuite parce que le temps de collecte affiché constitue un maximum, pour des situations exceptionnelles… Dans les faits, le ramassage nouvelle version est organisé sur cinq heures, soit deux tournées entrecoupées d’une pause de vingt minutes. Grâce à un petit amendement opportunément introduit début juillet par la majorité UMP de la communauté urbaine, quelques jours avant le vote sur le contrat de propreté. « Le chef de secteur pourra libérer les chauffeurs et agents de collecte après la deuxième tournée ou au cours de la troisième éventuelle », précise-t-il.

Deux « vraies » tournées.

« En gros, on passe de trois à cinq heures de temps de travail effectif, et même quatre heures quarante en enlevant la pause, commente l’avocat marseillais Benoît Candon, qui lutte contre cette organisation du travail. Une amélioration, certes, mais très insuffisante. Le fini-parti n’est pas supprimé. » Ce que conteste la conseillère déléguée de MPM chargée de la propreté. « Le nouveau dispositif change vraiment la donne car il généralise notamment le principe de deux tournées, à un rythme plus lent pour améliorer la qualité de service et réduire les accidents du travail », affirme Monique Cordier. En 2013, le nombre de jours d’arrêt déclarés comme accidents du travail a atteint 12 740 (soit en moyenne 15,7 par agent) et pour maladie, 15 375 (soit en moyenne 19 par agent).

Dans la pratique, la plupart des agents commençaient leur journée autour de 20 heures, à un rythme de six jours travaillés pour trois jours de repos. Ils effectuaient une seule tournée sur les chapeaux de roue, laissant parfois des conteneurs renversés et des ordures sur la chaussée, et finissaient leur travail vers 23 heures. Pour un salaire net moyen de 1 575 euros, souvent complété par une deuxième activité rendue possible par leur abondant temps libre. Avec, en sus, une semaine supplémentaire de congés payés, comme tous les fonctionnaires territoriaux marseillais.

Dorénavant, « pour s’assurer que le travail est bien fait et décider d’éventuelles repasses, les agents de maîtrise seront beaucoup plus présents sur le terrain », souligne Monique Cordier. Jusque-là bénéficiaires eux aussi du fini-parti, ils doivent maintenant consacrer au moins cinq heures trente chaque jour à des vérifications du travail de leur équipe (quatre ou cinq bennes, soit 10 à 15 agents). « Leur rôle est ingrat et ils ne gagnent souvent pas plus que ceux qu’ils dirigent », juge Roger Aymard, secrétaire général adjoint du SDU13 FSU. Et celui-ci de souligner l’absence de négociation sur les nouvelles dispositions, en promettant de faire remonter le mécontentement des personnels contre ce passage en force. « Le climat n’est pas au beau fixe avec la mise en place des nouvelles heures imposées, confirme Patrick Rué, secrétaire régional de FO Territoriaux. Cependant, même si le dialogue a été rude, nous avons pu négocier sur tout, comme sur le lieu de pause que l’on voulait nous imposer. » Des paroles impossibles à vérifier sur le terrain, les agents refusant de s’exprimer.

Compenser la pénibilité.

Autre problème, la répartition de la charge de travail qui ne serait pas égale selon les équipes de ripeurs. Pour Claude Kasbarian, secrétaire régional Unsa Territoriaux, « il faut harmoniser les tournées, parce qu’il n’est pas normal que certains travaillent deux fois plus que d’autres, que ceux qui font du bon boulot paient pour ceux qui ne veulent pas bosser ». Mis en place dans d’autres pays, et dans la plupart des grandes agglomérations françaises, le fini-parti visait initialement à compenser la pénibilité du travail, toujours bien réelle, et à dégager au plus vite les voies de circulation. « Dans la plupart des cas, quand il n’a pas été supprimé, il a été rationalisé et encadré, avec un temps de travail minimal et un contrôle de la qualité de service », relève Nicolas Roussat, responsable du pôle déchets d’Amorce, qui réunit plus de 800 collectivités, associations et entreprises autour de la gestion des déchets et de l’énergie.

À Marseille, l’encadrement du fini-parti relève du combat. Après l’admonestation de la chambre régionale des comptes, en 2007, le maire et président de la communauté urbaine, Jean-Claude Gaudin, assure que le contrôle des agents est en train d’être renforcé. Mais rien ne change. Pas plus en 2008, lorsque le socialiste Eugène Caselli prend la tête de MPM. Et pourtant, la même année, l’Assurance maladie recommande de « mettre tout en œuvre pour supprimer la pratique accidentogène du fini-quitte ou fini-parti ». En cause, la vitesse des camions-bennes et les mauvaises postures des agents. En février 2012, les « quatre mousquetaires » (deux élus PS, deux UMP) chargés de plancher sur la saleté de la ville préconisent à leur tour « la limitation du fini-parti et sa disparition à terme ». « L’objectif de nombreux salariés de la propreté est de devenir ripeurs afin de bénéficier d’un temps de travail inférieur tout en ayant une rémunération supérieure à celle des cantonniers », écrivent les élus.

Pourtant, excepté le GPS pour les bennes, leurs 30 recommandations restent lettre morte. Mais le 25 avril, la cour administrative d’appel d’Aix-en-Provence donne un sérieux coup de pouce à Guy Teissier, tout nouveau président de MPM. Inscrit dans le règlement intérieur de la communauté urbaine, le fini-parti n’a pas été formellement approuvé, affirment les magistrats, qui donnent six mois à la collectivité pour légaliser le système ou le supprimer. À l’origine de la procédure, l’avocat Benoît Candon. « J’ai déposé une requête à titre personnel, en décembre 2009, subissant quotidiennement, comme beaucoup d’autres, la saleté persistante de la ville. La communauté urbaine a beaucoup traîné les pieds, présentant le fini-parti comme une compensation et non comme un privilège. Elle a gagné en première instance en janvier 2012 avant d’être condamnée cette année. Ce qui lui a permis de justifier le nouveau système. »

Impliquer les Marseillais.

Les syndicats, eux, l’ont mauvaise. « Si le fini-parti a été autant décrié à Marseille, alors qu’il existe ailleurs, c’est parce que la ville est sale, note Patrick Rué. Mais c’est surtout dû à l’incivisme d’une majorité de Marseillais. » Un constat en partie partagé par Jean-Marc Chapus, président de la confédération des comités d’intérêt de quartier (CIQ). « Les agents doivent mieux accomplir leurs tournées, certes, mais les habitants ont aussi un gros travail à faire. Les déchets ne sont pas suffisamment triés, les poubelles sont parfois sorties à n’importe quelle heure, placées devant les portes et pas dans les conteneurs. Il faut sensibiliser mais aussi davantage sanctionner. » Fin septembre, les représentants patronaux du département signent une charte d’engagements pour promouvoir les règles de propreté auprès de leurs adhérents et redorer l’image de la ville, même si certains rechignent à balayer devant leur porte. « Un plan Bisounours », lâche Patrick Rué.

Pour distinguer les professionnels vertueux, la communauté urbaine va décerner des labels. « Ceux qui ne jouent pas le jeu doivent être sanctionnés », prévient Monique Cordier, par ailleurs ancienne présidente des CIQ. Et celle-ci d’exhorter les Marseillais à « être plus respectueux du travail des agents, qui ne sont ni des repris de justice ni des esclaves et qui peuvent être démotivés par l’incivisme ». Si la vice-présidente de MPM se veut ferme sur les nouveaux horaires de travail des agents, elle insiste également sur les autres mesures du nouveau plan local de propreté : redéploiement des postes économisés sur la propreté, affectation des cantonniers à un arrondissement précis, information transparente sur leur nombre et leurs passages, coordination plus étroite avec chaque mairie de secteur…

« De réelles avancées, indique Jean-Marc Chapus, avec de surcroît la mise en place de comités de suivi. Les cantonniers seront plus nombreux et ne viendront plus remplacer systématiquement les ripeurs absents, ce qui pénalise le nettoyage des rues. » Approuvé par la majorité des conseillers communautaires de MPM, le nouveau contrat local de propreté est pourtant rejeté par les socialistes. Eux réclamaient la fin du fini-parti. Et pour cause. La réussite ou l’échec du nouveau dispositif, mesurable à moyen terme, représente un gros enjeu, à la fois politique et économique, pour l’attractivité de la deuxième ville de France.

CHIFFRES CLÉS

Effectifs à la collecte des déchets à Marseille :

431 RIPEURS

246 CHAUFFEURS

131 RIPEURS-CHAUFFEURS

84 AGENTS DE MAÎTRISE

La mairie phocéenne, chasse gardée de FO

Largement majoritaire depuis 2008, (61 % à Marseille, 55 % à MPM), revendiquant 6 700 adhérents au sein des 16 000 agents de la ville et de la Métropole, Force ouvrière va-t-elle conserver la majorité absolue lors des élections du 4 décembre ? Le leader régional de FO Territoriaux, Patrick Rué, assure tout faire « pour améliorer l’image du syndicat ».

Une image sacrément écornée au fil des décennies. Élu maire en 1953, Gaston Defferre s’appuie sur la jeune Force ouvrière pour contrer la toute-puissante CGT. En l’associant étroitement à la gestion des personnels, aux recrutements et aux avancements, puis en instaurant le fini-parti dans les années 1960, l’édile en fait une partenaire privilégiée, laquelle lui garantit en retour la paix sociale.

Un syndicalisme qui « exclut d’emblée la méritocratie, au bénéfice d’un système de soumission », estimait récemment le sociologue Raphaël Liogier. « Vice-roi de Marseille » à partir de 2003, l’ex-patron de FO Territoriaux, Élie-Claude Argy, est accusé de clientélisme et de népotisme (sa femme a dirigé la police de la propreté). Proche des frères Guérini, il est renversé en 2012 par son adjoint Patrick Rué.

« Les décisions sont désormais beaucoup plus collégiales », assure ce dernier, qui entend bien rester l’interlocuteur privilégié des édiles. Quitte à provoquer ! En janvier 2014, il remet une carte d’adhérent à Jean-Claude Gaudin : « Une galéjade, parce que le maire avait dit que s’il s’était syndiqué dans la vie professionnelle il aurait choisi FO. » Un maire qui ignore les autres syndicats : reçu une fois en quinze ans, le SDU13 FSU (26 % des voix à la communauté urbaine) demande un règlement intérieur avec des règles transparentes, notamment sur les conditions de travail, les postes à pourvoir et les promotions.

Auteur

  • Nicolas Lagrange