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Les entreprises musclent leurs accords

Dossier | publié le : 04.11.2014 | Sabine Germain, Rozenn Le Saint, S. G.

Si une majorité d’entreprises se contentent encore de verser une contribution à l’Agefiph, 11 % ont négocié un accord sur le handicap. Avec une vraie volonté et, à la clé, une hausse du taux d’emploi de salariés handicapés.

En matière de handicap, beaucoup reste à faire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Presque dix ans après l’entrée en vigueur de la loi de 2005, seulement 11 % des entreprises de plus de 20 salariés sont couvertes par un accord collectif ! « Il est généralement plus simple et moins cher de s’acquitter de sa contribution Agefiph que de négocier un accord en faveur de l’emploi des personnes handicapées », explique Sylvain Gachet, directeur grands comptes à l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées). Pour être validé par l’administration du travail, un accord handicap doit en effet être doté d’un budget au moins équivalent à la contribution Agefiph qu’aurait dû verser l’entreprise l’année précédant sa négociation. Pas franchement incitatif quand on sait qu’aboutir à un accord prend du temps, requiert une véritable expertise ainsi qu’un engagement sans faille de la direction…

Les employeurs qui, malgré tout, s’engagent dans cette voie font donc véritablement preuve de bonne volonté : « Les premiers accords d’entreprise négociés dans les années 1980-1990 étaient sans doute un peu creux et relevaient de l’affichage social, concède Sylvain Gachet. Mais, avec la loi de 2005, ils ont pris de l’épaisseur. »

Ce que confirme Gaëtan Marescaux, chargé de mission handicap chez Modis, la filiale de services informatiques du groupe Adecco. « Aujourd’hui, il me semble difficile d’aboutir à un accord purement cosmétique. Les partenaires sociaux ne sont pas prêts à signer n’importe quoi ni à nous laisser dépenser les sommes n’importe comment. » Normal. Chez Modis, l’accord est doté d’un budget de 400 000 euros. Soit l’équivalent de la contribution Agefiph payée à la signature de l’accord, en 2012, alors que le taux d’emploi ne dépassait pas 1 %.

D’ailleurs, l’Agefiph veille au grain. « Nous pouvons faire preuve d’indulgence à l’égard d’un premier accord car le handicap est un sujet très technique, qui fait généralement l’objet d’une montée en compétences de la part des équipes qui en sont chargées, indique-t-on dans l’organisme. Mais en cas de renouvellement, si la mise en œuvre du premier accord ne nous a pas semblé satisfaisante, nous sommes en droit de réclamer la restitution du budget non dépensé. » Un phénomène qui reste marginal : à peine 10 millions d’euros ont ainsi été récupérés par l’Agefiph. Les entreprises ont néanmoins compris que la signature d’un accord ne les exonérait pas de leurs responsabilités, bien au contraire.

La preuve : la dernière évaluation menée par l’Agefiph, en 2006, a montré que les entreprises couvertes par un accord avaient vu leur taux d’emploi de personnes handicapées augmenter de 1 à 2 points. Dix ans après l’adoption de la loi de 2005, le taux moyen reste toutefois – toutes entreprises confondues – deux fois inférieur à l’objectif de 6 % : il était de 3,1 % en 2013, avec de grandes disparités entre secteurs d’activité. Les sociétés de services informatiques plafonnent à 1,2 % faute de candidats handicapés correspondant à leurs exigences en matière de qualification. En revanche, les entreprises industrielles dépassent couramment les 10 % : mais elles sont confrontées au problème de maintien dans l’emploi de leurs salariés « usés » par leur métier.

Disparité des situations

À chaque entreprise de choisir ses priorités en fonction de sa situation. Chez Capgemini, groupe de conseil informatique qui recrute 2 500 collaborateurs chaque année, la priorité est clairement donnée au recrutement et à l’intégration de personnes en situation de handicap : « Faute de candidats suffisamment qualifiés, nous avons mis en place des parcours de formation en alternance permettant de les amener vers un bac + 2 ou + 3 dans les domaines où nous avons besoin de compétences : le développement Web et les applis mobiles, par exemple », explique Géraldine Plenier, directrice RSE. Résultat : le taux d’emploi a crû de 0,66 % en 2006 à 2,18 % en 2013. « Nous sommes ainsi passés de 90 à 350 collaborateurs handicapés, prouvant par là même que nous savions les intégrer. Ce qui crée une dynamique et permet de faire évoluer la perception du handicap. » Un cercle vertueux qui a convaincu les collaborateurs concernés de déclarer leur handicap : de 88 RQTH (reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé) sur trois ans, entre 2006 et 2009, le groupe est passé à une quarantaine de déclarations chaque année depuis 2010.

Enjeux radicalement différents chez Colas : pour le groupe de travaux publics, la priorité n’est pas de recruter des travailleurs handicapés mais de préparer la seconde partie de carrière des collaborateurs usés par leur travail. Avec des problématiques très différentes d’une filiale à l’autre : « Il est toujours possible d’adapter un poste mécanisé, même si cela peut coûter très cher, explique Antoine Cristau, responsable de la mission diversité. Il est en revanche plus difficile de maintenir dans leur emploi des maçons ou des chauffeurs fatigués par leur travail. Nous sommes donc en train d’explorer la voie du reclassement externe, avec un bilan de compétences et un accompagnement personnalisé par un cabinet spécialisé. » Pour offrir la possibilité à chaque filiale d’adopter les dispositifs qui lui conviennent, le groupe Colas a préféré leur laisser signer une convention avec l’Agefiph plutôt que de négocier un accord global.

Une solution envisagée par Modis, qui a finalement préféré la voie de l’accord d’entreprise : « La convention nous place dans la même logique de cofinancement avec l’Agefiph que les entreprises non couvertes par un accord, explique Gaëtan Marescaux. Ce qui génère pas mal de paperasse et prend du temps. Avec un accord d’entreprise, nous sommes réellement maîtres de notre budget. »

Plus exigeant encore que l’accord d’entreprise, l’accord de branche amène les signataires à mettre en place une structure de gestion assumant les fonctions ordinairement dévolues à l’Agefiph. C’est pourquoi il n’existe que cinq accords de branche, dont trois relèvent plutôt de l’accord de groupe (ils ne couvrent que les établissements des branches Caisse d’épargne et Banque populaire du groupe BPCE et le Crédit agricole). Les deux autres concernent les 100 000 salariés du Leem (Les entreprises du médicament) et les 440 000 salariés et 14 500 établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux de la Croix-Rouge, de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne, privés non lucratifs, du Syndicat des employeurs associatifs de l’action sociale et médico-sociale et d’Unifaf (l’Opca de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale, privée à but non lucratif).

Baptisée OETH (comme obligation d’emploi des travailleurs handicapés), la structure mise en place par la branche sanitaire et sociale gère 10 millions d’euros de budget. Autant dire que le renouvellement de l’accord quinquennal, en cours de négociation, est un enjeu important pour les partenaires sociaux. A fortiori dans une branche fortement exposée à la pénibilité : « Une aide-soignante a toutes les chances de développer des pathologies au fil des années, explique Didier Golczyk, conseiller politique handicap d’OETH. Il est possible de la faire évoluer vers des activités de coordination ou de gestion de flux pour éviter que ses problèmes ne s’aggravent. Mais cela passe par de la formation, donc une véritable gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. »

Expliquer avant d’agir

Le Groupe Ressources Handicap de la CFDT Ile-de-France juge essentiel d’aborder le handicap avec ce type d’approche globale : « On a trop souvent tendance à mettre le handicap dans une case, alors que c’est une problématique transverse », estime Olivier Leclercq, délégué régional. Pour lui, un bon accord repose sur « des engagements chiffrés et cohérents avec la masse salariale » (une entreprise de 10 000 salariés ne peut sérieusement s’engager, comme on le voit parfois, à recruter cinq collaborateurs handicapés par an) ainsi qu’un « véritable suivi, avec des indicateurs précis. Ce qui évite de tomber dans les travers du social washing ».

La tentation de la communication sociale n’est jamais bien loin. Surtout si l’on considère que la communication est une composante importante des politiques en faveur de l’intégration des personnes handicapées : « Il est essentiel de faire de la pédagogie auprès de l’ensemble des salariés », estime Gaëtan Marescaux. Chez Modis, plus de 10 % des 400 000 euros de budget sont affectés à la communication et à la sensibilisation des managers et des collaborateurs. « Mais ce n’est pas de la cosmétique ! insiste Gaëtan Marescaux. Du reste, pour éviter tout soupçon de la part des partenaires sociaux, nous leur expliquons le sens de chacune de ces actions. » D’ailleurs, l’Agefiph considère que la communication et la pédagogie sont, au même titre que le recrutement et le maintien dans l’emploi, une dimension essentielle de toute politique handicap. À condition, bien sûr, que ce ne soit pas la seule…

Main basse sur 29 millions d’euros à l’Agefiph

L’Agefiph est l’une des rares structures disposant d’une réserve de plus de 300 millions d’euros. La tentation était trop grande : l’État a donc annoncé, mi-septembre, un prélèvement de 29 millions d’euros sur les provisions de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées, ce qui représente plus de 6 % de ses recettes (autour de 450 millions d’euros par an).

Le gouvernement envisagerait d’ores et déjà de reconduire ce prélèvement en 2016 et 2017, officiellement pour financer des emplois aidés, dont les handicapés sont aussi bénéficiaires. Ce qui porterait, sur trois ans, le montant global de cette ponction à 87 millions d’euros. Une forme de « racket » dénoncée par l’Agefiph et les associations représentatives des personnes handicapées, bien sûr, mais aussi par les partenaires sociaux qui rappellent que ce n’est pas une première : en 2009, le gouvernement Fillon avait mis à la charge de l’Agefiph les 50 millions d’euros destinés à la rémunération des stagiaires handicapés ; deux ans plus tard, les 70 millions d’euros destinés à la formation des personnes handicapées lui avaient également été imputés sans la moindre compensation.

Auteur

  • Sabine Germain, Rozenn Le Saint, S. G.