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Décodages

Les notaires, patrons bien lotis mais guère généreux

Décodages | Profession | publié le : 04.11.2014 | Éric Béal

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Crédit photo Éric Béal

Ces officiers publics travaillant en libéral défendent bec et ongles leur statut. Et pour cause, entre monopole des actes et numerus clausus, ils y trouvent leur compte. Leurs salariés moins.

Non à la dérégulation sauvage ! C’est en substance le message que les professions réglementées envoient depuis des semaines à Emmanuel Macron, le ministre de l’Économie. Symbole du notable assis sur ses prérogatives et son tas d’or, le notaire est au cœur de la polémique. Et ce ne sont pas les données du Conseil supérieur du notariat qui contrediront cette image. Entourés de plus de 48 000 collaborateurs – clercs, formalistes, caissiers comptables, taxateurs ou secrétaires –, les 9 600 notaires ne génèrent pas moins de 6,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an ! De fait, leur rôle de régulateur social est très loin d’être négligeable. « Nous sommes des hommes de confiance qui trouvons des solutions pour éviter ou réparer les litiges », estime Pierre Lemée, 54 ans. Ce fils de notaire dirige une étude à Pont-l’Évêque (Calvados) depuis vingt-sept ans avec son frère. « Deux agriculteurs sont venus nous voir dernièrement pour nous demander d’être l’arbitre de leur échange de terrains. Ils voulaient qu’on propose une compensation à celui qui possédait la plus grande surface. C’est une grande satisfaction de jouer ce rôle », souligne-t-il.

La majeure partie des notaires travaille sous statut libéral. Ils ont investi pour reprendre l’étude d’un confrère partant à la retraite ou se sont associés à plusieurs dans une société d’exercice libéral contrôlant un office. Pour autant, un bon millier doivent se contenter du statut de notaire salarié ou de clerc. Officiers publics, nommés par le ministre de la Justice, tous ont le pouvoir d’authentifier les actes en apposant le sceau de l’État et leur signature, dans de nombreux domaines du droit : famille, immobilier, patrimoine, entre prise, droit rural… Leur répartition et leur nombre sur le territoire sont organisés par le garde des Sceaux, dont les services contrôlent également leur diplôme et leur casier judiciaire. Datant de 1945, l’ordonnance qui régit la profes sion impose qu’une étude ne puisse employer un nombre de notaires salariés supérieur à celui des titulaires présents au capital. Dans ces conditions, les 4 561 offices existants, auxquels il faut ajouter 1 333 bureaux annexes, ont peu de risques de voir de nouveaux confrères venir les chatouiller.

Jeunes diplômés bon marché. Ce manque de concurrence fait l’objet de vives critiques dans le dernier rapport de l’Inspection générale des finances, rendu public en septembre. Se basant sur des données datant de 2010, les auteurs notent que la profession réalise 2 milliards d’euros de bénéfices annuels, une somme particulièrement élevée qu’un peu de compétition pourrait réduire. Une analyse contestée par le Conseil supérieur du notariat, qui fait remarquer que 80 % des frais perçus par les offices notariaux sont reversés au percepteur et que leurs honoraires sont strictement réglementés. « Il y a un certain nombre d’actes pour lesquels le tarif imposé ne suffit pas à rémunérer le temps de travail. Par ailleurs, nous recevons beaucoup de personnes à la recherche de conseils que nous ne facturons pas. Cela fait partie du service public imposé par notre déontologie », affirme Nathalie Couzigou-Suhas, notaire à Paris.

Cette défense du statu quo a le don d’énerver Fiona, clerc de notaire en Ile-de-France. « Les tarifs décidés par l’État sont suffisants, assure-t-elle. Les notaires peuvent passer du temps à recevoir des clients qui paient peu car 50 à 70 % de leur chiffre d’affaires provient des transactions immobilières. Sur ces opérations, leurs émoluments peuvent être très importants car ils sont calculés en proportion de la valeur du bien acheté. » Comme elle, beaucoup de jeunes diplômés ou de notaires salariés critiquent cette rente. Une page Facebook milite même pour la « libre installation des diplômés notaires » et une pétition en ligne a récolté près de 600 signatures depuis la mi-juillet. Impatients de bénéficier d’une part du gâteau, ces jeunes soulignent qu’un millier de nouveaux diplômés sont formés tous les ans. Un chiffre à comparer aux 400 notaires « présentés » chaque année par leur prédécesseur ou leurs futurs associés pour exercer en libéral. Et aux 17 ouvertures d’office décidées dans l’Hexagone, en moyenne, par le ministère de la Justice chaque année.

Face à ces chiffres, les notaires en place mini misent le problème. « Il est toujours possible de s’installer, assure Boris Vienne, notaire à Cornebarrieu, dans la banlieue de Toulouse. Vous trouverez toujours un banquier pour vous prêter la somme nécessaire à la reprise d’une petite étude rurale. » En plus d’optimiser les revenus des libé raux, ce goulet d’étranglement leur permet de bénéficier d’une main-d’œuvre qualifiée bon marché. Recrutée récemment en CDD dans une étude parisienne Solange possède le diplôme supérieur du notariat depuis de nombreuses années, bien qu’elle ait peu exercé pour cause de maternités multiples. Elle doit se contenter de 2 500 euros net par mois. Un salaire bien faible au regard de ses huit années d’études de droit, incluant deux années de stage. « Les juristes spécialisés et le caissier comptable taxateur qui supervise les comptes de l’office sont mieux payés », commente la quadragénaire.

Dialogue social difficile. « La profession n’est pas généreuse », confirme Pierre Les tard, représentant CGT à la commission mixte paritaire de branche. Actuellement, la grille indiciaire de salaire des cadres démarre à 2 880 euros brut et plafonne à 4 975. Pas folichon pour le secteur, dans lequel le dialogue social s’avère très difficile. « Le Conseil supérieur du notariat aimerait même baisser le salaire d’embauche à 2 600 euros brut pour pouvoir recruter les nouveaux diplômés notaires », précise le cégétiste. La profession propose néanmoins à ses salariés quelques avantages sociaux. Les cotisations de la couverture prévoyance sont ainsi entièrement payées par les employeurs. Et un fonds social alimenté par des versements patronaux prend en charge une partie de la cotisation à la complé mentaire santé. Les clercs de notaire peuvent aussi faire appel à ce fonds pour subventionner l’achat de leur habitation ou obtenir des allo cations vacances, une bourse d’études, etc. Mais la comparaison avec les revenus des notaires libéraux est édifiante. D’après l’IGF, le revenu annuel du notaire titulaire en entreprise uni personnelle s’élève à 190 800 euros. Et la rémunération moyenne du notaire associé dans une étude est de 255 900 euros.

Pour les augmentations de salaire, les employés des offices auraient, eux, plutôt tendance à at tendre le bon vouloir de leur patron. « Je tiens compte des efforts particuliers ou exceptionnels, que je remercie par une prime », confie Nathalie Couzigou-Suhas. Une question de culture. « Les clercs sont assez dociles, confirme l’un d’entre eux. Ils ne revendiquent pas et peuvent rester tard le soir pour préparer le dossier d’un client qui doit passer le lendemain. » Il faut dire que la profession, très paternaliste et tout aussi conservatrice, apprécie moyennement les employés revendicatifs. « Les notaires sont dans l’ensemble très antisyndicaux, affirme Serge Forest, président de la Fédération générale des clercs et employés de notaire FO. La plupart de nos adhérents cachent leur appartenance au syndicat par peur de représailles. » Même son de cloche à la CGT. « Nous souhaitons que les mandatés syndicaux siégeant dans les organismes paritaires aient un statut protecteur, indique Pierre Lestard. Mais le Conseil supérieur du notariat s’y refuse. » Résultat, les actifs n’osent pas s’engager. Une large part des syndicalistes siégeant à la commission mixte paritaire sont des retraités. En matière de dialogue social, du moins, les notaires sont des petits patrons comme les autres…

CHIFFRES CLÉS

9 600

C’est le nombre de notaires. Un tiers sont des femmes.

48 000 salariés travaillent en plus dans les offices notariaux.

Chiffre d’affaires selon l’activité (en %)
Les syndicats au secours du notariat

Notables discrets, les notaires ne sont pas habitués à défiler. Ils se sont pourtant retrouvés dans la rue le 17 septembre et encore aux avant-postes avec les autres professions libérales, le 30. Plus étonnant pour un observateur extérieur, ils étaient accompagnés de leurs salariés et des représentants syndicaux de la profession. Objet de ce courroux général, la réforme des professions réglementées en gestation à Bercy et fondée sur un rapport de l’Inspection générale des finances rendu public le 23 septembre. Parmi les mesures envisagées, la fin du monopole rédactionnel des notaires sur les actes juridiques, la suppression du tarif réglementé pour les négociations immobilières ou la disparition des restrictions à la libre installation. Pour l’intersyndicale CGT, CFDT, CFE-CGC et CFTC, non seulement ces mesures représentent « une menace pour la sécurité juridique et l’égalité des citoyens devant la loi », mais les risques de suppression massive d’emplois sont réels car la rédaction d’actes d’achat en immobilier constitue plus de la moitié de l’activité des offices. Or « la crise de l’immobilier de 2008 a entraîné une perte de 13 % des effectifs salariés des offices », rappelle Lise Verdier, de la CFDT. Par ailleurs, la tarification actuelle protège le consommateur puisqu’elle fixe le maximum des honoraires autorisés mais n’interdit pas de pratiquer des réductions, indiquent les syndicalistes dans une analyse du rapport de l’IGF. Enfin, la création de nouvelles études est décidée par le ministère de la Justice pour garder un maillage juridique dans toute la France. « Si cette contrainte était supprimée, les notaires s’installeraient dans les régions les plus densément peuplées et abandonneraient les zones rurales », affirme Pierre Lestard, de la CGT.

Auteur

  • Éric Béal