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Décodages

François Rebsamen, le socialement incorrect

Décodages | Politique | publié le : 04.11.2014 | Emmanuelle Souffi

Contrôle des chômeurs ou seuils sociaux, le ministre du Travail ne fait pas dans la demi-mesure. Son franc-parler détonne. Et son approche des dossiers étonne. Portrait d’un vrai politique.

La douche froide… Il a beau avoir de l’humour, François Rebsamen n’a guère goûté d’être aspergé d’eau par une trentaine d’intermittents et de précaires lors d’un salon pour l’emploi à Paris, fin septembre. Quelques mois plus tôt, les mêmes avaient pendu sa marionnette à une corde pour avoir agréé la convention Unedic modifiant leurs règles d’indemnisation. Dur d’être ministre du Travail quand le pays compte 5 millions de chômeurs et une croissance collée à 0,4 %. Lassé d’entendre les quolibets de la droite scander « ministre du chômage » quand il répond aux questions au gouvernement, le locataire de la Rue de Grenelle a d’ailleurs prié Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, de le présenter juste comme « Monsieur le ministre François Rebsamen ». Le Travail, c’est du sport. Et l’ancien lieutenant de François Hollande est en train de le mesurer.

Ah ! les chiffres du chômage. Quand, début avril, le président de la République lui propose de récupérer le fauteuil de Michel Sapin, il promet de mettre ses pas dans ceux de son prédécesseur. La continuité… mais dans la rupture. Fidèles au hollandisme, les deux hommes partagent cette conviction que le dialogue social est la marque du quinquennat. L’équipe, pilotée par Pierre-André Imbert, est peu ou prou la même. Mais quand l’un pouvait manier la langue de bois et afficher un surprenant optimisme, l’autre met les pieds dans le plat. « Rebs » n’a pas sa langue dans sa poche et aime « secouer les branches », comme il l’avoue lui-même. Michel Sapin ne lui a pas seulement laissé Titi, le poisson rouge, en héritage. Mais aussi les chiffres du chômage, que ce fort en gueule refuse tout net de commenter quand son prédécesseur s’y prêtait scrupuleusement. « C’était une erreur ! Quand vous annoncez pour la cinquième fois une hausse, c’est une catastrophe, médiatiquement ! » pense-t-il. Chaque 26 du mois, ce socialiste – qui en a pourtant vu d’autres – stresse. « Il faut remettre de la sérénité dans ces chiffres. Il n’y a que les tendances trimestrielles qui sont signifiantes. Au sens du BIT, notre taux de chômage atteint 9,7 % », relativise-t-il. Son ambition ? « Ne pas avoir atteint les 10 % de chômage au sens du BIT à la fin de l’année. » Son horizon est court. Et modeste. Mais ce pragmatique déteste les fausses promesses et sait qu’elles ont déjà coûté cher à la gauche. « Il n’est pas concevable qu’à un moment donné les entreprises ne se saisissent pas de tout ce que l’on a fait. Mais jusqu’à présent, c’est un échec », se désole-t-il.

Ses marges de manœuvre sont inexistantes. Il a beau faire du chantage aux 40 milliards à Pierre Gattaz et le menacer d’amendements défavo rables lors des discussions sur le projet de loi de finances, les contreparties au pacte de respon sabilité restent des coquilles vides. « Pendant douze ans, on ne les a pas entendus parler de compétitivité ! Les patrons ne peuvent pas dire que ce pays ne bouge pas ! » tempête-t-il.

Son franc-parler dérange. Ce passionné de foot – son ouvrage sur les Coupes du monde annoncé en septembre a été retardé sine die – aime tacler. Quitte à se prendre les pieds dans la pelouse. Quand, sur iTélé, il intime à Pôle emploi de renforcer le contrôle des chômeurs alors que 350 000 postes restent vacants, l’ancien adhérent de la CFDT se prend une volée de bois vert de la part des syndicats. Bourde, ballon d’essai ? « C’est tout sauf une gaffe ! analyse un conseiller. Il a une approche empirique et réaliste de la politique. 80 % des Français sont pour ! » Plutôt que de rétropédaler, cet antitechno en appelle au respect de la République. « On donne des droits aux chômeurs plus élevés que la moyenne européenne. Grâce à cela, le taux de pauvreté des demandeurs d’emploi atteint 38 % en France contre 60 % en Allemagne. Mon rôle, c’est aussi de rappeler les droits et les devoirs de chacun. » Un discours que la droite ne renierait pas… « Il est totalement affranchi de son camp, analyse Jean Battault, ancien président du Medef de Côte-d’Or, dont il est très proche. Il suit le cap, mais n’hésite pas à klaxonner. »

Socialement incorrect, Rebs l’est également quand il évoque la question des seuils sociaux. Il a proposé un gel pour trois ans, avant que les partenaires sociaux n’en débattent. Et déjà prévenu que l’État prendrait ses responsabilités. « La représentation du personnel dans les entreprises de moins de 20 salariés est quasi inexistante. Quand il y en a une, c’est le patron qui la choisit ! Il faut simplifier, c’est un frein à l’emploi », clame-t-il. Il en donne pour preuve les nombreux témoignages de dirigeants bourguignons qui lui ont soufflé l’idée d’un assouplissement. Son objectif ? À l’instar du président de la République : « Redresser l’appareil productif. Il faut restaurer les marges des entreprises pour qu’elles puissent embaucher et investir. Augmenter les salaires, ça n’est pas la priorité. »

Social-démocrate décomplexé. Affable, pas avare d’un bon mot ou d’une petite pique à l’adresse d’un collègue, il cultive une certaine légèreté. « Avoir l’air cool ne veut pas dire être dilettante, défend Pierre Joxe, ancien ministre de l’Intérieur, qui l’a lancé en politique. C’est un travailleur méthodique et tenace. » Côté partenai res sociaux et administrations, on estime d’ailleurs qu’il est plutôt bien rentré dans les dossiers. Comme son prédécesseur, il a fait la tournée des services. Mais très peu en régions, estimant son prisme bourguignon suffisant. « Certains pensent que pour être un bon ministre du Travail il faut être un bon technicien, note Jean-Claude Mailly, le leader de FO, qui le connaît depuis longtemps. Rebs, c’est un politique au sens pur. »

L’ancien militant de la LCR est un social-démocrate décomplexé. « Le dogmatisme économique, c’est l’économie administrée, et ça, c’est niet ! » lance ce diplômé d’économie et de sciences politiques. Dijon, son fief, lui a servi de laboratoire social. Il lui a fallu trois coups d’essai avant d’enlever la mairie à l’indétrônable RPR Robert Poujade, en 2001. « Personne n’y croyait, se souvient Pierre Joxe, dont il a été le chef de cabinet Place Beauvau. C’était une ville jeune gérée par des vieux et il l’a ouverte. » Il a permis aux magasins d’ouvrir le dimanche et aux terrasses de café de vivre la nuit. Il a créé aussi un département de la « tranquillité publique », avant-goût de la police de proximité chère à la gauche. « On a doublé le nombre de policiers municipaux et lancé un service « lien social » avec une dizaine de médiateurs qui labourent les quartiers », égrène le maire, Alain Millot, son adjoint durant treize ans.

Régulièrement, ce bon vivant déjeune avec des investisseurs de la région pour sonder leurs attentes. Franc-maçon – mais « en sommeil » –, il joue au tennis et chasse avec certains d’entre eux. « Ça n’est pas une proximité de circonstances, il a compris que la réussite de sa ville passerait aussi par celle de ses entreprises. C’est le bon sens terrien », relève Benoît Willot, pré sident de la CGPME de Côte-d’Or. « Il sait s’entourer. Son équipe est très à l’écoute, dans le concret. C’est la politique utile », tranche une ancienne sympathisante UMP qu’il a convertie. « Il n’a pas l’orgueil du coup de menton. Il prône une culture de l’efficacité », pointe Jean Battault, patron du cassis Boudier.

Pour le chantier du tramway lancé en 2010, le maire édite un small business act et morcelle les appels d’offres pour permettre aux TPE locales d’y répondre. « Rebs a compris qu’il fallait arrêter de cliver le monde des entreprises et des ménages car le cercle vertueux profitera à tous », confie Benoît Willot. La déclaration d’amour de Manuel Valls lors de l’université d’été du Medef, cet ancien administrateur territorial, qui n’a jamais connu le secteur privé, aurait très bien pu la faire. Pourtant, en 2008, quand Unilever décide de fermer l’usine Amora Maille en plein centre-ville, il fustige la « course au profit maximum ». Il rencontre alors les ouvriers et les syndicats pour éviter que la situation ne s’embrase. Six ans plus tard, la moutarde n’est plus, remplacée par Ikea. Des TPE dans la pharmacie et la santé se sont aussi implantées. Le ministre aime à rappeler que le taux de chômage local a baissé de 8,7 % à 8 % entre juin 2013 et juin 2014.

Mais, pour l’opposition, le bilan est maigre. « Le renouvellement d’activités n’est pas à la hauteur parce que le développement économique n’était pas la priorité du maire », tance François-Xavier Dugourd, premier vice-président (UMP) du conseil général de Côte-d’Or, son rival aux municipales de 2008. Si l’homme à la crinière blanche s’est construit un port d’attache salutaire en cas de tempête dans l’exécutif, il pâtit lui aussi de l’impopularité du président. Il a perdu son siège de sénateur aux dernières élections et prévenu qu’il exécutait son dernier mandat à la mairie. À l’horizon, pas de grands travaux sociaux ni de projet de loi sur lequel inscrire son nom… Aux terrasses de café de la place de la Libération, où il prend le pouls chaque week-end, François Rebsamen croise juste les doigts pour que la courbe du chômage lui laisse un peu de répit. Et ne le fasse pas couler trop rapidement…

REPÈRES

1981-1982

Chargé de mission de Pierre Joxe au conseil régional de Bourgogne.

1985-1986

Chef de cabinet du ministre de l’Intérieur, Pierre Joxe.

1997-2003

Secrétaire national au PS.

2001-2014

Maire de Dijon.

2006-2007

Codirecteur de campagne de Ségolène Royal.

2008-2014

Sénateur de Côte-d’Or.

Majorité arc-en-ciel à Dijon

Le ministre du Travail le dit tout net : « Le plus beau mandat, c’est celui de maire, car on est bâtisseur et rassembleur. »

Un peu à l’image d’un Gérard Collomb à Lyon, il n’aime rien d’autre que déjouer les postures. Là où le PS refuse toute alliance au centre, lui n’a aucun complexe à ratisser large. Lors des dernières élections municipales, François Deseille, membre du MoDem, a fait campagne pour François Rebsamen. Au grand dam de François Sauvadet, président du conseil général de Côte-d’Or et membre de l’UDI. Un rappro chement plutôt payant puisque le maire a été réélu avec 52,8 % des voix. En 2008, il remportait la victoire dès le premier tour. « Radicaux, Europe-Écologie- Les Verts, MoDem : cette alliance fonctionne bien depuis 2001. Dijon fait partie de ces villes qui résistent à la vague bleue Marine », se félicite Alain Millot, qui a remplacé François Rebsamen à l’hôtel de ville. Adjoint au maire, François Deseille veille sur le projet de cité de la gastronomie. Il est également vice-président du Grand Dijon, que dirigeait François Rebsamen. À droite, le socialiste noue des liens avec Rémi Delatte, député UMP de Côte-d’Or. « Il n’est pas tenu par une étiquette politique », dit Benoît Willot, président de la CGPME de Côte-d’Or. De quoi déstabiliser une opposition en ordre dispersé, dont le catéchisme proentreprise est en partie repris par l’édile socialiste.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi