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Prévenir l’impact des plans sociaux

Dossier | publié le : 03.10.2014 | Sabine Germain, Rozenn Le Saint

Anticipation, négociation, expertise…, la loi du 14 juin 2013 visait à simplifier les PSE et à en raccourcir les délais. Aujourd’hui les contentieux sont à la baisse. Pas sûr qu’il en soit de même pour le stress des salariés.

L’esprit de la loi est venu confirmer la jurisprudence en matière de prévention des risques psychosociaux. Résultat, les entreprises sont invitées à se préoccuper de plus en plus en amont des conséquences de leurs plans de sauvegarde de l’emploi (PSE). Notamment en s’interrogeant sur les (bons) arbitrages à effectuer en termes de réduction du personnel, sur l’augmentation de la charge de travail de ceux qui restent après le plan social et les formations à proposer le cas échéant. En effet, épousant la logique de l’arrêt du 13 décembre 2012 de la cour d’appel de Paris, qui a annulé le plan de réorganisation de Fnac Relais faute d’une insuffisante prise en compte des risques psychosociaux (RPS), la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 a introduit de nouveaux outils (voir encadré page 58) : la possibilité de créer un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) spécifique en cas de projet de transformation et de recourir à un cabinet d’experts, nommé par les repré­sentants des CHSCT. Si les CHSCT de site sont un tant soit peu dépossédés de leurs prérogatives, l’instance coordinatrice travaille à anticiper et à mieux préparer l’après plan social dans l’entreprise.

Apparence de dialogue social

Un bémol, néanmoins, relevé par Judith Krivine, avocate de la CGT, notamment auprès des ex-Mory Ducros. « Les employeurs peuvent toujours exercer une stratégie d’apparence, un simulacre de dialogue social. Les Direccte vérifient que des informations sont données aux instances représentatives du personnel, mais pas forcément leur véracité, leur qualité ou leur pertinence, y compris au regard des questions de RPS », regrette-t-elle. Ce que confirme Savine Bernard, à l’origine de la jurisprudence Fnac, puisqu’elle défendait les CHSCT de huit magasins Fnac Relais de province et trois syndicats (CGT, CFE-CGC, SUD Fnac) en 2012. Et de citer l’exemple de la direction de la Fnac Relais de Lyon qui « s’est contentée d’un monologue » lors d’une réunion dans un comité d’établissement dernièrement. « Elle a refusé que les élus posent des questions. Seul comptait le respect du calendrier du plan de restructuration », rappelle l’avocate. Elle affirme même que, parfois, les entreprises ouvrent de « pseudo-négociations » avant l’information-consultation et le rapport du CHSCT.

« Nous intervenons de plus en plus en amont pour auditer les RPS, parfois même alors que l’entreprise en est seulement au stade de la confidentialité des données. Depuis quelques mois, les projets sont pris dans l’œuf », confirme Bénédicte Haubold, fondatrice du cabinet d’expertise Artélie Conseil. Selon elle, la loi de sécurisation de l’emploi a contribué à ce que les directions admettent communément que les RPS sont inhérents à tout projet stratégique, qu’il revient aux employeurs de les évaluer et de les diminuer, et que plus on s’y prend tôt, mieux c’est. Même écho du côté de Laurence Saunder, associée du cabinet Ifas. « Depuis la fin de l’année 2013, certaines grosses entreprises qui faisaient appel à nous pour anticiper les impacts d’un PSE sur les risques psychosociaux nous demandent à présent de former en interne leurs équipes pour les professionnaliser à cette tâche », constate-t-elle.

Moins de contentieux

Néanmoins, la loi de juin 2013 n’est pas exempte d’effets collatéraux, tel le risque d’instrumentalisation des cabinets d’experts. Ainsi que son corollaire, la professionnalisation de la gestion des PSE. Plutôt que de se préoccuper des risques psychosociaux, les employeurs auraient tendance à se focaliser sur le risque juridique et à s’assurer que le PSE soit validé par les Direccte (voir encadré ci-dessous). Pourtant, le texte avait pour but d’écarter le contentieux, « d’avoir recours à des experts plutôt qu’aux avocats et au juge en verrouillant l’accès au tribunal », traduit Savine Bernard. Mission accomplie puisque, sur 416 PSE transmis à l’administration de juillet à fin décembre 2013, on a compté seulement cinq actions en référé devant les TGI, quand auparavant « près de 30 % des PSE donnaient lieu à contentieux devant le tribunal de grande instance », s’est félicité l’ancien ministre du Travail Michel Sapin en janvier 2014 en dressant le bilan des six premiers mois de la loi sur la sécurisation de l’emploi. La baisse du nombre de recours judiciaires déposés contre les plans sociaux est « peut-être le point le plus réjouissant », après des années de judi­ciarisation croissante, source d’« incertitude pour l’entreprise comme pour les salariés », avait-il alors estimé.

« Quand les PSE sont annulés et que l’on remet les compteurs à zéro, cela génère beaucoup de tensions, indique Pierre Beretti, P-DG du cabinet de conseil Altedia. Avant la loi de sécurisation de l’emploi, la durée des procédures était de douze à dix-huit mois et pouvait durer jusqu’à cinq ans, en cas de pourvoi en cassation. À présent, elle est ramenée entre quatre et six mois. » Et les annulations de PSE par le juge administratif sont peu fréquentes. En tout cas suffisamment rares pour que l’annulation, le 11 juillet dernier, de l’homologation du plan social chez Mory Ducros par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise fasse grand bruit dans le Landernau judiciaire. Une décision incompréhensible, selon Déborah David, qui défend l’administrateur judiciaire et a déposé un recours début août. « Le plan social avait été bien préparé. D’ailleurs, les entreprises font de plus en plus appel à nous car la législation est nouvelle et difficile. Elles ne savent pas sur quel pied danser et comment anticiper », indique l’avocate.

Mais, globalement, les projets de transformation sont menés plus rapidement et les points de blocage se font plus rares. Ainsi, avant la loi de sécurisation de l’emploi, une entreprise qui souhaitait réunir plusieurs locaux en un seul site devait consulter les instances de chaque entité géographique pour organiser le déménagement. À présent, seule la consultation des instances d’un seul site suffit. Les fusions s’organisent aussi en un temps record. « Le timing invite à se positionner plus vite. Les directions, mais aussi les salariés, savent plus rapidement ce qui va arriver, ce qui réduit la période d’incertitude et le stress qui l’accompagne. En ce sens, la loi est protectrice », estime David Mahé, président de Stimulus Conseil. Une affirmation que tempère Savine Bernard : « Le fait d’aller plus vite arrange surtout ceux qui quittent l’entreprise avec un chèque ou qui ont déjà retrouvé un emploi. Ce ne sont pas eux qui sont les plus exposés aux risques psychosociaux », rappelle-t-elle. Mais ceux qui restent…

Procédures courtes

Si la loi de 2013 a permis d’accélérer la fusion de Cassidian, d’Astrium et d’Airbus Military, regroupés sous la bannière d’Airbus, les salariés ne savent toujours pas à quelle sauce ils vont être mangés alors que l’annonce remonte à juillet 2013. Selon Savine Bernard, qui assiste la CGT dans sa demande en annulation du projet pour cause de non-respect de l’obligation de prévention des risques, la direction de l’entreprise a souhaité « aller au pas de charge, sans évaluer l’augmentation de la charge de travail, alors qu’il y a déjà eu des cas de burn out sur le site de Toulouse ». « Elle a seulement présenté une demi-page sur le sujet, déplore l’avocate. Elle se sent invincible avec les courts délais fixés par la loi de sécurisation de l’emploi. » Depuis que la loi du 3 janvier 2003 le permet à titre expérimental, Airbus signe des accords de méthode pour faciliter les négociations en cas de réorganisation. Seuls les délais ont été raccourcis pour les adapter à la loi de sécurisation de l’emploi dans l’accord de méthode du 25 octobre 2013.

Après la phase de concertation, menée par deux cabinets d’experts, le texte a ancré un engagement de l’employeur : aucun licenciement contraint avant le 31 décembre 2016, pour calmer les inquiétudes. Par ailleurs, l’accord de méthode a ouvert la possibilité d’effectuer des mobilités chez d’autres filiales dès l’automne 2013, avec la garantie de pouvoir bénéficier a posteriori des mesures d’accompagnement. « Le pic de stress a été en partie corrigé par les engagements de la direction. En revanche, on sait qu’une personne sur dix va devoir partir, mais toujours pas qui », regrette Thierry Préfol, délégué syndical central à la CFE-CGC d’Astrium.

Le 1er juillet, la nouvelle organisation a été mise en place, « mais certains ne se situent nulle part sur l’organigramme », déplore l’élu. Et malgré cette coupe drastique dans les effectifs, « alors que le carnet de commandes reste rempli, on ignore comment la surcharge de travail va être gérée, s’inquiète Thierry Préfol. Les doublons sup­primés, que la direction met en avant, représentent seulement une minorité de postes ». Reste que, en dépit de ses carences, la loi de 2013 aura eu le mérite de favoriser la concertation dans une période difficile pour une entreprise et ses salariés. Pour que les plans de sauvegarde de l’emploi méritent un peu plus leur nom.

Ce que dit la loi de sécurisation de l’emploi

La simplification de la mise en œuvre des PSE est la mesure phare de la loi de sécurisation de l’emploi. Pour les entreprises de plus de 50 salariés, tout est fait pour éviter que les plans sociaux ne s’étalent sur des mois et des mois. Avec comme argument, notamment, une moindre période d’incertitude et de stress pour les salariés. Pour superviser l’opération et les incidences sur les risques psychosociaux (RPS), le texte permet de créer une instance de coordination de CHSCT quand le projet de réorgani­sation concerne l’ensemble du groupe et donc tous ses CHSCT.

Et les représentants des différentes instances désignent un expert chargé de mesurer l’impact du PSE sur les conditions de travail. Par ailleurs, depuis le 1er juillet 2013 et la mise en œuvre de la loi, les directions de ces entreprises ont le choix entre signer un accord collectif majoritaire ou opter pour un PSE décidé de façon unilatérale.

Quelle que soit l’option choisie, elle doit être approuvée par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) en fin de procédure, avant que les licenciements ne soient prononcés, sous peine de voir annuler ceux qui seraient irréguliers. Le but ? Diminuer le nombre de contentieux, qui se règlent à présent devant le tribunal administratif.

Dans le cas d’un accord majoritaire, un contrôle restreint valide les licenciements ; alors que si l’employeur opte pour un PSE unilatéral, il est davantage approfondi, avec vérification des mesures dereclassement et de sa proportionnalité aux moyens de l’entreprise.

Les 742 PSE initiés entre juillet 2013 et juin 2014 menacent 66 800 emplois au total : 77 en moyenne lorsqu’il s’agit d’une entreprise en procédure collective et 93 en moyenne pour les entreprises soumises au droit commun.

574 dossiers ont été instruits avec une décision favorable de la Direccte compétente. Le taux de recours devant le tribunal administratif est de 8 %.

Source : ministère du Travail.

Auteur

  • Sabine Germain, Rozenn Le Saint