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Poussée de stress en période de crise

Dossier | publié le : 03.10.2014 | S. G.

Fusion, restructuration, plan social…, ces périodes de crise génèrent de l’angoisse et peuvent déboucher sur de la souffrance, voire de la violence.

En juillet 2012, l’annonce de la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois fait l’effet d’une bombe dans le pays. Elle débouche, six mois plus tard, sur un mouvement social dur qui paralysera le site jusqu’à l’arrêt définitif des chaînes de production, en avril 2013. « Mais nous n’avons eu à déplorer aucun geste désespéré », explique Michel Courcelle, alors directeur des ressources humaines de ce site de quelque 3 000 salariés. Le DRH d’Aulnay a été parti­culièrement attentif à la gestion des risques psychosociaux : « En 2007, alors que j’étais en poste à Mulhouse, nous avons vécu quatre suicides en quelques semaines, dont deux sur le lieu de travail. Cela m’a traumatisé. Si bien que le jour où j’ai été nommé DRH d’Aulnay-sous-Bois, début 2010, alors que les rumeurs de fermeture commençaient à courir, j’ai très vite décidé de mettre en place un plan de prévention. »

Convaincu que la montée du stress doit être anticipée, il a « pioché dans la boîte à outils » de l’accord sur la santé au travail du groupe pour mettre en place une stratégie de prévention, de détection et de traitement des RPS, avec un pilote chargé de coordonner toutes les actions. « Le plus important reste de sensibiliser les managers de production : ils ne s’intéressent pas spontanément à ce sujet qui n’est pas pris en compte dans leurs objectifs. » Mais ils jouent un rôle absolument déterminant. Notamment lors de l’annonce de la fermeture. « Ce jour-là nous les avons accompagnés dans les ateliers pour les aider à répondre aux questions des opérateurs et nous avons fait venir des psychologues. »

Paradoxalement, la crise elle-même n’est pas forcément la période la plus délicate pour les salariés : « Le plus difficile est de ne pas savoir, explique la consultante Bénédicte Haubold, d’Artélie Conseil. Quand la période d’incertitude est longue et pénible, l’annonce d’un plan social ou d’un dépôt de bilan est même parfois vécue comme une libération : les salariés peuvent enfin se mettre en mouvement. » De plus, la mobilisation collective qui se développe parfois permet de canaliser une partie de la colère : « Lors d’un mouvement social, qui est une forme d’expression collective, les risques psychosociaux sont assez limités », observe Xavier Alas Luquetas, dirigeant et fondateur du cabinet de conseil Éléas.

Gérer la perte de repères

Mais quand le collectif se dissout, les salariés sont renvoyés à leurs angoisses, leur colère ou leur impuissance. A fortiori si la production tourne au ralenti : « Le non-travail ravive alors les conflits interpersonnels, commente Bénédicte Haubold. Tout le passif, enfoui quand les équipes étaient trop occupées pour gamberger, ressort au grand jour. » Il faut alors repenser d’urgence l’organisation du travail autour de la baisse d’activité. Réduire la production ou le temps de travail, gérer la transmission des compétences entre ceux qui partent et ceux qui restent, aider les équi­pes à travailler « en mode dégradé ». C’est-à-dire en sous-effectif ou avec des ruptures de livraison, par exemple.

« D’une manière générale, les directions ne réfléchissent pas assez à la façon dont les restructurations (même sans perte d’emplois) impactent très concrètement le travail de leurs collaborateurs, estime Élodie Montreuil, consultante au sein du département changement, travail, santé de Secafi. Des détails aussi terre à terre que la gestion des photocopies ou du parc de voitures peuvent pourrir la vie quotidienne. » « Quand il a le sentiment qu’on l’empêche de faire du bon travail, le salarié est en souffrance, ajoute Jean-Nicolas Moreau, dirigeant du cabinet Res-EuroConseil. De ce point de vue, l’accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 sur la qualité de vie au travail est extrêmement pertinent, car il invite à se recentrer sur le travail lui-même. »

C’est d’autant plus essentiel en ces temps de crise, alors que les salariés s’interrogent de plus en plus sur le bien-fondé des restructurations qu’on leur impose : « Le rapport européen Hires de 2009 fait apparaître que seulement un tiers des restructurations produisent les effets escomptés, un tiers ne changent en rien la situation et un tiers ont des effets néfastes », rappelle Xavier Alas Luquetas. « Ce rapport démontre également l’impact pathogène qu’ont les réorganisations sur la santé au travail », poursuit Élodie Montreuil.

À commencer par la santé de ceux qui restent dans l’entreprise, partagés entre la culpabilité du survivant, la peur d’être le prochain sur la liste, la perte de repères liée à la dissolution du collectif et la crainte de devoir payer le prix de la restructu­ration, avec réduction d’effectifs et alourdissement de la charge de travail. Quant à la préoccupation pour la santé de ceux qui partent, elle émerge seulement maintenant : « Les administrateurs judiciaires se rendent compte que, dès lors qu’ils sont nommés par le tribunal de commerce pour prendre les commandes d’une entreprise en difficulté, ils courent le même risque pénal que tous les dirigeants face aux risques psycho­sociaux et aux suicides », rappelle Bénédicte Haubold. Avec pour effet que, « depuis un an ou deux, ils nous demandent d’accompagner psychologiquement les personnes licenciées plusieurs mois après leur départ de l’entreprise, y compris si elles ont retrouvé un emploi, note Xavier Alas Luquetas. Le chômage génère tant de risques d’isolement social et de conflits familiaux que cela relève de la responsabilité sociale des entreprises ».

Cadres sous pression aussi

Dans ce tableau, il ne faut pas oublier, non plus, la santé des cadres qui mettent les restructurations en œuvre : « Ils sont confrontés à un niveau de détresse et de charge de travail qui peut avoir un véritable impact sur leur santé », explique Élodie Montreuil. « Les équipes RH se sentent souvent très seules, ajoute Xavier Alas Luquetas. Elles sont durement mises à l’épreuve lors d’une restructuration et méritent un accompagnement spécifique. »

Mais les avis divergent sur le mode d’accompagnement des restructurations. « Les entreprises n’ont pas du tout la même vision de la notion de crise que les salariés, observe Jean-Nicolas Moreau. Pour un dirigeant, une crise ne mérite d’être prise en charge que si elle met en cause l’intégrité de l’entreprise. En revanche, les réorganisations sont considérées comme des actes de gestion courante, dont l’impact sur les salariés est mésestimé. » Cet impact est d’autant plus difficile à évaluer que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets sur les personnes et les organisations.

Reste que les actions de prévention des risques psychosociaux permettent d’atténuer les effets de la crise. Avant une restructuration, la meilleure prévention reste le dialogue social : « Communication sur la stratégie de l’entreprise, réflexion partagée avec les partenaires sociaux sur les différentes options possibles, anticipation des risques pouvant être générés par une réorganisation, formation des managers et du CHSCT à la prévention des RPS », détaille Élodie Montreuil.

Durant la phase de restructuration, la communication doit être renforcée : la direction doit être capable de répondre aux questions et inquiétudes des salariés à tous les moments clés de la réorganisation. « Nous pouvons l’aider à réfléchir aux impacts de son projet, afin d’établir une cartographie des risques », explique Bénédicte Haubold. Ce qui permet, en relation avec les managers de terrain, la médecine du travail, les représentants du personnel et, le cas échéant, des psychologues, de mieux identifier les personnes en difficulté pour leur apporter un accompagnement psychologique.

Libérer la parole

Si « le nombre d’appels reçus par la cellule de psychologues ne traduit en rien le niveau de stress », prévient Xavier Alas Luquetas, cela permet d’identifier les cas les plus urgents et de mieux cibler son plan de prévention. « Face à la crise, la somme de problèmes individuels converge pour prendre une forme collective », observe Bénédicte Haubold, qui considère qu’il faut aller sur le terrain pour en prendre la mesure. « Certaines populations, ouvrières par exemple, n’ont pas l’habitude de parler d’elles-mêmes. Elles ne décrocheront jamais leur téléphone pour appeler un psychologue. Mieux vaut aller les voir, les laisser s’exprimer et leur montrer que nous sommes dans une logique de résolution concrète des problèmes. »

La ligne d’écoute apparaît trop souvent comme une mesure cosmétique, destinée à montrer que la direction s’intéresse à ses salariés. Mais si elle s’inscrit dans un dispositif de prévention globale, cette ligne a du sens : « Les psychologues peuvent dire aux appelants qu’il n’est pas anormal d’être anxieux dans ce type de situation et leur expliquer qu’ils doivent prendre soin d’eux et ne pas retourner leur colère contre eux-mêmes ou contre leurs collègues », explique Xavier Alas Luquetas. Des groupes d’expression peuvent également aider les salariés à exposer leurs difficultés et à les mettre à distance. « Je suis convaincu que le changement ne peut être accepté que s’il est discuté et compris », poursuit Xavier Alas Luquetas. Mais en matière de dialogue et de partage d’information, les entreprises ont encore de sérieux progrès à faire…

Auteur

  • S. G.