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Décodages

Thierry Mandon, le ministre qui nous simplifie la vie

Décodages | Politique | publié le : 03.10.2014 | Emmanuelle Souffi

Élu de terrain, inconnu du grand public, le secrétaire d’État à la Réforme de l’État pilote un projet clé du quinquennat. Au sein de son équipe, cet antiapparatchik, ancien consultant RH, insuffle une culture du privé.

Jusqu’au dernier moment il a fait mine de douter. Quand, ce 26 août, le secrétaire général de l’Élysée égrène les noms des membres du gouvernement Valls 2 et qu’il entend le sien, Thierry Mandon esquisse un sourire. Le Premier ministre, avec qui il avait échangé le week-end précédent, n’avait pas pris soin de le prévenir qu’il restait secrétaire d’État à la Réforme de l’État et à la Simplification. BFM TV s’en est chargé. L’homme a l’habitude des imprévus. Le 3 juin dernier, le député de l’Essonne se trouvait dans la salle des Quatre Colonnes à l’Assemblée nationale quand sa secrétaire l’a informé que l’Élysée cherchait à le joindre. Lui, imperturbable, promet de rappeler. « Mais c’est le président au bout du fil », insiste-t-elle. Et voilà l’ancien maire de Ris-Orangis chargé de rendre plus agile un État obèse et kafkaïen.

Fin septembre, cet ancien consultant de Hay Management - pendant deux ans - lançait sa première salve de mesures pour simplifier la vie des Français. Plus de 1 500 contributeurs ont déposé leurs doléances sur le site Internet qu’il a mis en place, « faire-simple.gouv.fr ». Mi-octobre, le coprésident du Conseil de la simplification dévoilera une deuxième série d’élagage à destination des entreprises après celle du printemps. Bulletins de salaire, jours ouvrés et ouvrables, obligations déclaratives… Composé de hauts fonctionnaires, de chefs d’entreprise et de quelques syndicalistes, le Conseil chasse les doublons administratifs chronophages et dispendieux. Le Code du travail n’est pas épargné. « Sans aller jusqu’aux modèles allemand ou anglais, une plus grande souplesse est une des réponses aux problèmes de l’emploi », croit Thierry Mandon, qui ouvrira des concertations avec les partenaires sociaux. François Hollande parle de « choc de simplification ». Une formule politique que cet homme de terrain balaie d’un revers de la main. « C’est de la diffusion par la preuve, résume-t-il. Pour recrédibiliser la parole politique, il faut arrêter les effets d’annonce et communiquer sur les résultats. »

Loyauté et bon sens. À l’instar de son copain de Sciences po, Arnaud Montebourg, Thierry Mandon n’a pas sa langue dans sa poche. Porte-parole des socialistes à l’Assemblée en 2012, il prend de court ses pairs en dénonçant la fin de la défiscalisation des heures supplémentaires et en évoquant la disparition des départements, avant même que la réforme territoriale ne soit sur les rails. Mais, à la différence de Montebourg qu’il a soutenu lors de la primaire socialiste et avec qui il a lancé le Nouveau Parti socialiste en 2002 en compagnie de Benoît Hamon et de Vincent Peillon, Thierry Mandon sait être loyal. Député, il vote tous les textes de la majorité. Quand d’autres s’accrochent à leur fauteuil, il lâche en 2012 son siège de conseiller général puis de maire au nom du non-cumul des mandats. « On ne fait que passer en politique », se plaît-il à rappeler. « C’est un animal très particulier, observe Guillaume Poitrinal, président de Woodeum & Cie et coprésident du Conseil de la simplification. Il a beaucoup de bon sens, il travaille pour la France et pas pour lui, c’est quelqu’un qui dérange car il n’aime pas les combines. »

Or, l’Essonne, son fief, c’est un peu Dallas. Jean-Luc Mélenchon, Julien Dray, Manuel Valls, Benoît Hamon, François Lamy, Marie-Noëlle Lienemann… Véritable écurie socialiste, le département est le lieu de toutes les luttes de pouvoir. Fin 2010, les adhérents décident de placer Jérôme Guedj favori dans la course à la présidence du conseil général. « Dray et Mélenchon considéraient Thierry comme un valet du capitalisme, se souvient Pierre Tambourin, directeur général de Genopole, qu’il a contribué à créer. Or c’est quelqu’un qui prend en compte les réalités économiques. Il préfère agir plutôt que de perdre son temps à discuter avec des gens qui ne sont pas sur la même longueur d’onde. » Manuel Valls soutient le jeune énarque Guedj, écartant Thierry Mandon qui lui avait pourtant permis de rafler la mairie d’Évry. « Une blessure personnelle », admet ce marathonien. Mais en politique, mieux vaut ne pas se montrer rancunier…

Un temps proche de Brice Lalonde, Mandon est plongé dans le bain local par Laurent Fabius. Il s’engage ensuite aux côtés de Martine Aubry au sein de la Fondation agir contre l’exclusion, se fâche avec elle, devient montebourien. Et convainc le troisième homme de la primaire socialiste de rallier François Hollande. Plus poisson que capricorne - son signe - il est difficile à saisir. « C’est un électron libre qui a été démondialisateur et qui est aujourd’hui le défenseur d’une politique sociale libérale », raille Jérôme Guedj.

Maire de Ris-Orangis durant dix-huit ans, Thierry Mandon n’a guère d’opposants à l’UMP - Georges Tron, son voisin de Draveil, excepté. Mais beaucoup à gauche. « Mandon est un mandoniste ! Il mène une politique de droite, grince Amar Henni, ancien conseiller municipal à Ris-Orangis. Pour lui, il y a les bons et les mauvais pauvres. » Les associations lui reprochent d’avoir vendu le patrimoine social qui servait aux plus démunis pour renflouer les caisses de la commune. « Il a placé tous ses fidèles et installé une baronnie », poursuit cet ancien éducateur. Caméras de surveillance, ÉcoQuartier, service emploi animé par 12 employés municipaux… La commune de Ris (27 000 habitants) a souvent été pionnière en Ile-de-France. Les fiertés de Thierry Mandon ? Avoir lancé Genopole, l’un des plus gros parcs de biotechnologie. Et l’une des premières écoles de la deuxième chance… sur un territoire plutôt favorisé. « Pour lui, les confrontations entre des zones d’exclusion et d’expansion sociale peuvent être redoutables à long terme », confie Dominique Dujardin, le directeur de cette structure d’aide à l’intégration des jeunes.

Foi en la politique. Ce fils d’institutrice déteste les cloisonnements. Dès 1996, il jumelle Ris avec une ville en Israël et une autre en Palestine. « Il appartient plus à la tradition mitterrandienne que rocardienne, analyse Stéphane Raffalli, un proche qui l’a remplacé à la mairie de Ris-Orangis. Il pense que la politique peut changer les choses. » Innovant jusque dans ses méthodes de travail, celui qui a œuvré au rachat de Darty par ses salariés dans les années 1990 croit aux vertus du management participatif. « Le problème du changement en France est lié à une absence ou une trop faible démocratie. Une difficulté ne se résout pas seul, mais en écoutant ceux qui y sont directement confrontés », estime ce socialiste qui se réclame à la fois de Bernard Brunhes, de l’historien Fernand Braudel et du philosophe François Jullien. À Ris-Orangis, à peine élu, il conduit durant deux ans et demi des états généraux du personnel. Féru de benchmark, début 2000, ce fluent en anglais sillonne des mois durant l’Inde et la Chine, là où Sanofi, Thales, Alcatel ont implanté des centres de recherche, pour voir quels sont les risques de délocalisation de cerveaux.

En arrivant à l’hôtel de Cassini, une annexe de Matignon, il abat les cloisons et crée un open space pour son « équipe » - il ne dit pas « cabinet » - en rêvant de s’y installer. Sa voiture avec chauffeur est utilisée par tous et, dès qu’il peut, il sème ses officiers de sécurité pour aller courir une heure. Pour recruter le nouveau chef du ­secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, ce pragmatique a réuni un jury composé de sa directrice de cabinet - qui vient de chez Veolia -, de Louis Schweitzer et de Jean Pisani-Ferry. Ses collaborateurs sont autant des énarques que des professionnels du privé. « Il est plus facile de moderniser l’appareil public en Angleterre qu’en France car nos élites manquent de diversité », juge ce pur produit de la méritocratie. Féru de sciences sociales, c’est en lisant Philippe d’Iribarne et sa Logique de l’honneur qu’il a saisi les archaïsmes qui empêchent le pays d’avancer. « Nos valises sont lourdes à porter, reconnaît-il. Mais la France est une terre d’invention. Il vaut mieux anticiper un monde qui vient plutôt que de bouger celui qui est. » Le changement serait donc pour bientôt !

REPÈRES

1988

Élu en Essonne, le plus jeune député de France.

1994

Conseiller général.

1995

Maire de Ris-Orangis.

2012

Abandonne ses mandats.

2014

Coprésident du Conseil de la simplification pour les entreprises.

Secrétaire d’État à la Réforme de l’État et à la Simplification.

Moderniser l’État, la vieille antienne

On ne compte plus les rapports et autres commissariats dédiés à la réforme de l’État depuis ces vingt dernières années. Déclaré prioritaire par un gouvernement en mal d’économies budgétaires, le casse-tête se partage entre André Vallini, secrétaire d’État chargé de la Réforme territoriale, Marylise Lebranchu, ministre de la Décentralisation, et Thierry Mandon. Il comporte plusieurs volets. D’abord celui de « la fabrique de la loi » : le one in, one out, le « 1 pour 1 ». Une méthode importée de chez les Anglais selon laquelle toute nouvelle norme qui crée une charge administrative pour les entreprises devra être compensée par une suppression de règles pour un montant équivalent. Dès janvier 2015, une autorité indépendante expertisera l’impact des nouveaux textes. Ensuite, celui des missions de l’État et de son virage numérique, l’idée étant de concentrer les moyens sur ses fonctions essentielles et de transférer les autres aux collectivités et/ou au privé. L’expertise va se dérouler jusqu’à mi-janvier et, en février 2015, un séminaire gouvernemental dressera des pistes d’action. Enfin, celui du management de la fonction publique. Un chantier qui pourrait faire les frais d’une nouvelle alternance en 2017…

Auteur

  • Emmanuelle Souffi