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Décodages

L’horizon bouché des Gad de Bretagne

Décodages | Industrie | publié le : 03.10.2014 | Anne Fairise

La reprise partielle du dernier abattoir de porcs Gad annoncée par Intermarché va recomposer la filière porcine. Elle nourrit de nouvelles craintes pour l’emploi auprès de salariés épuisés.

Un sursis de quelques semaines, en attendant qu’Intermarché précise son offre de rachat. À l’annonce de la décision du tribunal de commerce de Rennes, le soulagement était visible chez les salariés de la société d’abattage de porcs Gad, qui avaient fait le déplacement ce 11 septembre, depuis Josselin (Morbihan). Et les SMS affluaient vers les représentants du personnel des 950 salariés (dont 750 CDI) du site, désormais en liquidation. Mais la « bonne nouvelle » n’effaçait pas les inquiétudes, vu les conditions présentées comme incontournables pour ouvrir la voie à une reprise. La poursuite de l’approvisionnement en cochons, confirmée par le groupement de producteurs Prestor, et… l’absence de mouvement social dans cette entreprise, devenue un symbole de la crise bretonne, lorsqu’elle a fermé en octobre 2013 l’abattoir de Lampaul-Guimiliau (Finistère) et rayé de la carte près de 900 emplois.

Il y a un an, les affrontements entre les Gad de Josselin, en sursis, et ceux de Lampaul-Guimiliau, qui ont bloqué 48 heures l’abattoir morbihanais pour obtenir de meilleures indemnités de licenciement, ont tourné en boucle sur les chaînes TV. « Les salariés de Josselin sont des gens responsables », assure Patrick Piguel, DS CFDT (majoritaire), sans cacher que les journées seraient tendues d’ici au 13 octobre, date à laquelle le tribunal tranchera, après examen des offres de reprise. Car celle d’Intermarché n’inclut pas les deux ateliers restés à Lampaul (80 personnes), et est partielle pour Josselin. Même si « l’objectif est de préserver un maximum d’emplois », selon l’avocat du repreneur, la rumeur tablait sur 250 suppressions de postes. Un séisme pour le bourg, où l’abattoir est le plus gros employeur. « Il va falloir être habile, confie un représentant du personnel. Certains pourraient débrayer en solidarité avec les salariés de Lampaul. Si le nouvel employeur propose des reclassements, ça ira. Sinon, ça peut vite dégénérer. » « Dix-huit mois d’attente depuis la mise en redressement judiciaire, c’est trop ! Les salariés n’en peuvent plus », soupire un membre du CHSCT qui fait venir, deux fois par semaine depuis fin 2013, une psychologue sur le site. Particulièrement angoissés, les administratifs qui craignent l’arrivée d’Intermarché, forcément bien pourvu en fonctions support…

Difficile de rebondir. Le projet de reprise de l’abattoir par le géant de la grande distribution a fait une victime collatérale : le projet Lampaul Agro, porté par d’ex-cadres de Gad, soutenu par la région et quatre producteurs de porcs, qui visait à relancer, sur le site fermé, une activité d’abattage et de découpe, avec 250 emplois. Intermarché était le premier client de leur business plan ! De quoi boucher l’horizon des anciens salariés, qui peinent à rebondir, malgré les moyens déployés dans le cadre du « contrat de sécurisation professionnelle renforcé » qui leur a été proposé : un pro du reclassement pour 20 salariés, un accompagnement social payé par l’État, une bourse d’emplois des industries agroalimentaires créée par Pôle emploi… En septembre, à peine 11 % des 786 salariés suivis avaient décroché un CDI, 7 % un CDD de plus de six mois, et 10 % un contrat d’une durée inférieure. Si près d’un tiers avaient engagé une formation, 36 % étaient en simple recherche de projet ! « La difficulté, déplore Jean-Marc Détivelle, délégué FO du site, c’est que beaucoup de salariés comptaient sur la création de Lampaul Agro. »

Il faudra mettre les bouchées doubles pendant les six mois d’accompagnement restants pour atteindre les 60 % d’emplois durables visés par la Direccte. Autant dire que l’amertume est grande à Lampaul, qui s’estime doublement sacrifié. « Intermarché s’était intéressé à notre site avant que Gad ne décide de le sacrifier au profit de Josselin », rappelle Olivier Le Bras, ex-délégué FO et ancien porte-parole des Bonnets rouges.

L’éventuelle reprise de Josselin par les Mousquetaires – qui disposeront de deux abattoirs – attise d’autres craintes. Car elle va tirer les prix à la baisse et redistribuer les cartes, au détriment des petits. « On peut espérer que les entreprises mal-en-point soient reprises par celles qui le sont moins », souligne Jean-Paul Simier, de Bretagne Développement Innovation. « L’aval va prendre un poids prépondérant dans la filière », estime Jean-Luc Feillant, chargé de l’agroalimentaire à la CFDT Bretagne, qui réclame une réunion d’urgence de la filière porcine… réitérée en août lorsque les Gad de Josselin ont rencontré le ministre de l’Agriculture, après avoir fait une intrusion au Festival interceltique de Lorient. Une initiative de la CFDT Bretagne pour attirer l’attention sur les Gad, et « couper court à toute tentative de récupération de la part des Bonnets rouges ».

Bonnets rouges en déclin. Mais le mouvement protéiforme a perdu du terrain, notamment chez les ouvriers de l’agroalimentaire. « Ces salariés peu qualifiés et peu mobiles étaient très attachés à l’emploi de proximité permis par le modèle breton productiviste, note Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS. Aujourd’hui, beaucoup s’en sont éloignés car ils vivent une reconversion. Et les syndicats ont repris la main dans les entreprises et via le Pacte d’avenir pour la Bretagne. » Depuis mai, les Bonnets rouges ont perdu des figures emblématiques d’ouvriers. À commencer par Olivier Le Bras qui a démissionné, déçu. « Qu’apportent-ils à l’emploi Je ne vois pas. Le mouvement a été récupéré par des bretonisants en tout genre, s’est politisé jusqu’à abriter des militants d’extrême droite, sans les dénoncer. » La constitution du pôle ouvrier, annoncée fin 2013, n’a jamais eu lieu, « faute de militants pour s’investir », reconnaît Corinne Nicole, déléguée CGT de l’abattoir de poulets Tilly-Sabco, qui vient d’abandonner son bonnet de porte-parole pour se présenter aux sénatoriales et se consacrer à l’entreprise, au bord de la faillite.

Les salariés de l’agroalimentaire ne trouvent pas plus leur compte dans les groupes de travail du Pacte d’avenir pour la Bretagne. Seule ouverture : l’instance régionale de dialogue social dans l’agro­alimentaire créée mi-juin. Le dossier Gad Josselin a déjà été porté à l’ordre du jour. « Ce n’est pas un lieu pour traiter l’urgence », précise l’Associa­tion bretonne des entreprises agroalimentaires. « On peut y passer des messages, tempère l’union régionale CFDT. Si l’offre de reprise partielle de Gad occasionne un plan social, cette commission peut jouer un rôle de soutien aux reclassements, en mobilisant les PME du secteur. » La fin de la galère, ce n’est pas pour aujourd’hui.

Auteur

  • Anne Fairise