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Décodages

À l’est de la Moselle, Pôle emploi passe la frontière

Décodages | Chômage | publié le : 03.10.2014 | Catherine Abou El Khair

Le Pôle emploi de Sarreguemines s’est associé avec son équivalent allemand pour placer outre-Rhin des demandeurs d’emploi frontaliers. Mais la barrière linguistique et le faible niveau de formation freinent la réussite de l’initiative.

Impossible de la rater. Sur la porte d’entrée de l’agence Pôle emploi de Sarreguemines, la petite affiche collée en évidence sur la vitre s’adresse à une catégorie précise de demandeurs d’emploi de cette ville. Ceux qui envisagent de travailler en Allemagne, à quelques minutes à pied de cette commune de 22 000 habitants, à l’est de la Moselle. Ils trouveront ici un service de placement transfrontalier, ouvert depuis novembre 2013. C’est le fruit d’une convention locale entre l’agence de Sarreguemines et la Bundesagentur für Arbeit de Sarrebruck, la capitale de la Sarre. À ce jour, trois services identiques ont ouvert le long de la frontière franco-allemande, découlant d’un accord-cadre conclu entre les directions d’Alsace et de Lorraine de Pôle emploi et ses équivalents allemands de la Bundesagentur für Arbeit, dans les Länder du Bade-Wurtemberg et de la Sarre-Rhénanie-Palatinat. Une illustration de la coopération franco-allemande en matière d’emploi.

Dialogue transfrontalier. Prétexte à un premier bilan, le ministre du Travail François Rebsamen et son homologue d’outre-Rhin Andrea Nahles ont visité, le 11 juillet, l’agence de Sarreguemines, installée dans d’anciens entrepôts de la SNCF élégamment rénovés. Avant de se rendre à Sarrebruck, siège de l’agence pour l’emploi allemande et de la direction régionale. En théorie, le service doit fonctionner dans les deux sens. Mais dans les faits, réalité économique oblige, il est surtout utilisé par les Français.

Venu de la Bundesagentur für Arbeit, où il a travaillé en agence puis à la direction régionale, Jürgen Becker, le patron de l’agence Pôle emploi de Sarreguemines, fait désormais la navette entre la Lorraine et la Sarre. Car le fonctionnement du service – qu’il coordonne avec Bernd Uplawski côté allemand – repose sur une entière coopération entre les cinq conseillers, répartis, côté français, entre Sarreguemines et d’autres villes frontalières, dont Forbach, Saint-Avold et Bitche, et leurs trois homologues en Allemagne. En binôme, ils reçoivent les demandeurs d’emploi français souhaitant travailler ou retravailler outre-Rhin. Et décident, à l’issue de l’entretien, de leur fournir ou non un service d’accompagnement. L’équipe se donne alors six mois pour réussir. « Souvent, ils ne connaissent pas la Job Börse (le moteur de recherche allemand de l’agence), les mots clés à saisir, la bonne tra­duction pour les postes, ou comment se présenter aux entreprises allemandes », indique Johanna Pögel, l’une des conseillères alle­mandes de l’agence de Sarrebruck. Cette Allemande bilingue corrige les CV pour qu’ils soient conformes aux standards allemands : outre-Rhin, les employeurs sont particulièrement attentifs à la description exacte du niveau de formation et à une présentation détaillée du parcours professionnel, sans occulter les périodes de chômage… Un travail méticuleux dont l’agence allemande charge, si nécessaire, des prestataires extérieurs depuis juillet.

Bilinguisme requis. Centraliser les dossiers des demandeurs d’emploi concernés a donné du fil à retordre à l’équipe binationale. Car, pour des raisons de sécurité, il n’existe pas de connexion directe entre les deux réseaux informatiques. « Les demandeurs d’emploi reçoivent donc les offres émanant des deux agences », explique Johanna Pögel. Côté allemand, entre 60 et 70 chargés de relation avec les entreprises de la Sarre transmettent toutes les offres accessibles à des candidats français. Souvent des postes dans l’industrie – les soudeurs font cruellement défaut –, dans le médico-social, le BTP ou les transports. « Des deux côtés de la frontière, ce sont les mêmes postes qui ne trouvent pas preneur », résume Johanna Pögel.

Le travail commence à porter ses fruits. Des 560 personnes entrées dans le dispositif d’accompagnement depuis novembre, 166 ont retrouvé un emploi. Désinscriptions mises à part (105), 289 dossiers étaient en cours de traitement à la mi-juillet. « Nous aidons d’abord les personnes qui ont les capacités d’intégrer le marché allemand dans les mois qui suivent. Pour celles qui sont plus éloignées de l’emploi, il faut d’autres dispositifs », reconnaît Jürgen Becker, dont l’agence recensait, à la fin juin, plus de 7 000 demandeurs d’emploi.

Mais les quelque 7 300 chômeurs lorrains qui prétendent parler allemand ne sont pas toujours fluents dans la langue de Goethe. « On le voit très vite, souligne Johanna Pögel. Dans ce cas, on les invite à se concentrer sur le marché français. » Le service est plutôt utilisé par des travailleurs frontaliers de longue date, dans la tranche des 40-50 ans. C’est le cas de Rachel Wenzel. Lors de son passage à l’agence de Sarrebruck, elle a été orientée vers le service transfrontalier. Cette secrétaire de 47 ans, licenciée par une entreprise d’engrais allemande où elle a travaillé quatre ans, se montre confiante : « Je compte utiliser les miniformations en ligne de bureautique, qui me permettront d’obtenir une certification », explique cette mère de famille qui parle allemand chez elle. La rédaction du CV et de la lettre de motivation en allemand ne l’inquiète guère : « Lorsque j’avais sollicité Pôle emploi pour trouver un travail il y a quatre ans, on m’avait déjà expliqué comment faire. »

Qualification exigée. Si ce service n’a pas été inventé plus tôt, c’est que, depuis dix ans, le nombre de frontaliers travaillant en Allemagne décline. De plus de 24 000 en 2002, il a baissé, en 2012, à près de 20 000 personnes, dont il faut déduire les 6 000 Allemands installés en Lorraine, des « frontaliers atypiques », comme les surnomme Robert Mertz, vice-président au Conseil économique, social et environnemental de Lorraine. L’avantage financier du travail frontalier a beaucoup diminué avec le passage à l’euro. « Autrefois, les entreprises allemandes embauchaient des ouvriers sans qualification particulière, à des postes relativement bien payés », explique Jürgen Becker. Ce sont eux qui, aujourd’hui, se retrouvent « sur le carreau », analyse Jean-Christophe Goetschy, directeur du centre d’information et d’orientation de Sarreguemines. « Les chômeurs qui refusent de se former en pensant qu’ils s’en sortiront toujours n’ont aucune chance en Allemagne », poursuit-il. À moins d’accepter des minijobs rémunérés 400 euros par mois.

Selon Claude Grivel, ancien président de la communauté de communes de Moselle et Madon, désormais chargé de la prospective au conseil régional de Lorraine, l’Allemagne conserve sur son territoire les emplois de technicien ou de cadre supérieur. Et « délocalise » les emplois moins qualifiés côté français… Autant dire que le puissant voisin a perdu sa réputation d’eldorado de ce côté-ci du Rhin. Au chômage depuis presque un an, Marc ne songe pas à y travailler : « Je ne maîtrise pas l’allemand commercial », explique ce quadragénaire venu de bon matin au Pôle emploi de Sarreguemines. Et pourtant, « avec le vieillissement de la population en Allemagne, 150 000 emplois vont se libérer dans les dix ans à venir », pronostique Claude Grivel. De quoi donner, en tout cas, du travail au service d’emploi transfrontalier.

L’attrait du Luxembourg

Pendant que le nombre de frontaliers français en Allemagne décline, il progresse au Luxembourg. Selon l’Institut national statistique du Grand-­Duché, plus de 80 000 Français travaillaient de l’autre côté de cette frontière à la fin 2013, soit une augmentation de 2 % en un an. En 2006, ils étaient un peu plus de 65 000. Selon l’Insee Lorraine, 78 % des travailleurs frontaliers lorrains vont au Luxembourg, contre 16,5 % en Allemagne à la fin 2013.

Mais, entre la France et le Luxembourg, la coopération entre les services publics de l’emploi est très limitée. L’agence luxembourgeoise utilise, depuis juillet, la méthode de recrutement par simulation développée par Pôle emploi, mais… pour identifier des candidats luxembourgeois. Car le Grand-Duché connaît aussi, depuis la crise de 2007, une hausse du chômage devenue continue depuis août 2010.

Côté français, Pôle emploi Lorraine entend toutefois placer davantage de demandeurs d’emploi à l’étranger. Cinq conseillers sont à plein temps sur le placement au Luxembourg pour le compte du réseau européen de l’emploi, l’Eures. Pas de barrière de la langue, des salaires plus élevés…, le travail au Luxembourg est tentant. Mais comme en Allemagne, les exigences en qualifications s’élèvent. Les offres d’emploi les plus courantes sont aujourd’hui dans le support à l’entreprise, les services à la personne, le BTP et les banques-assurances.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair