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Décodages

Douze heures par jour à l’hôpital

Décodages | Travail | publié le : 03.09.2014 | Catherine Abou El Khair

Dans certains services hospitaliers, infirmiers et aides-soignants travaillent douze heures par jour. Ce système qui impose un rythme intensif inquiète les syndicats. Mais séduit les salariés qui profitent de plages de temps libre plus longues.

Effectuer les 35 heures à raison de 12 heures de service par jour, c’est possible… à l’hôpital. De plus en plus d’infirmiers et d’aides-soignants triment à ce rythme dans les établissements de santé publics, mais aussi dans les maisons de retraite. Et certains n’ont jamais travaillé autrement. Autrefois réservée aux sages-femmes et limitée à quelques établissements de soins, cette organisation du temps est répandue parmi les personnels paramédicaux employés dans les services des urgences, de maternité ou de réanimation, ouverts 24 heures sur 24. Une situation dérogatoire. Pour dépasser la durée légale journalière de travail dans la fonction publique hospitalière, qui est de 9 heures pour les équipes de jour et de 10 heures la nuit, les chefs d’établissement doivent prouver que « les contraintes de continuité de service public l’exigent en permanence », selon le décret en vigueur.

Sauf qu’un bon nombre de personnels séduits par la formule la réclament. Plier ses 35 heures en trois jours permet d’enchaîner de longues plages de temps libre et d’économiser son temps de transport. « Sous la pression des agents, des hôpitaux ont débordé du cadre légal », reconnaît Cécile Kanitzer, conseillère paramédicale à la Fédération hospitalière de France. C’est à la demande des personnels et à la suite d’un vote majoritaire qu’au CHU de Nantes le bloc obstétrical et plusieurs services de réanimation sont passés aux « 12 heures » depuis 2010 ; 6 % des effectifs sont concernés. Selon la DRH de l’hôpital, Ariane Bénard, outre le « sentiment d’avoir plus de temps pour leur vie privée », les personnels sont moins débordés : « Ils ont davantage le temps d’organiser leur journée que sur 7 h 30 et de s’occuper des patients. » Côté direction, cette organisation, moins gourmande en postes, est jugée positive dans un contexte d’austérité. « On y gagne en termes de stabilité des personnels, puisqu’il n’y a plus trois équipes, mais deux, explique-t-elle. Certains agents souhaitent même travailler à ce rythme 48 heures par semaine, pour obtenir une semaine blanche. »

L’avis – consultatif – des instances représentatives du personnel sur le travail en 12 heures n’a pas été pris en compte. « Douze heures de stress ou de travail intensif, c’est comme aller à l’usine », estime le secrétaire adjoint de la section CFDT du CHU nantais, Emmanuel Renaud. Au chevet des malades en permanence, les aides-soignants « tiennent moins bien la route sur la durée », en raison de la charge de leur métier liée aux tâches répétitives, dont certaines à heures fixes. Là où les « sages-femmes, les agents de sécurité ou les infirmiers en réanimation ont des charges de travail plus adaptables ».

Syndicats dépassés. Les arguments des organisations syndicales, invoquant tant la fatigue des agents hospitaliers que les effets néfastes des horaires décalés sur la vie familiale, n’ont pas convaincu. « Le travail en 12 heures s’inscrit dans un vaste mouvement de désorganisation normative du temps de travail, engagé dans les années 1980 », analyse Fanny Vincent. Cette doctorante en sociologie, allocataire de recherche pour le groupe d’études DIM Gestes, prépare une thèse sur ce type d’organisation, qu’elle a déjà observé dans deux hôpitaux et un établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes. Contrairement aux prévisions des syndicats, les partisans des 12 heures, satisfaits de cet emploi du temps ramassé, sont, outre les jeunes, « des soignants plus âgés qui souhaitent par exemple passer davantage de temps avec leur conjoint déjà à la retraite ». Seules les personnes « qui ont des problèmes de santé, a relevé la chercheuse, peuvent voir le passage à 12 heures comme une dégradation de leurs conditions de travail ».

Secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers, affilié à la CFE-CGC, Thierry Amouroux redoute l’effet tache d’huile de cette organisation du travail : « Les équipes de suppléants ont des horaires classiques d’hôpital. Lorsqu’un agent souhaite revenir au rythme réglementaire, lui trouver en interne un remplaçant est difficile. Il faut guetter les nouvelles promotions de diplômés pendant la période de recrutement d’été ; sinon, patienter jusqu’à la rentrée suivante. »

Champ de bataille juridique. Les enquêtes sur la santé des agents hospitaliers ne permettent pas de trancher entre les 3 × 8 et les 2 × 12, a constaté un groupe d’acteurs de la santé au travail (médecins et neurobiologiste). Leur étude, publiée par l’INRS en mars 2014, conclut toutefois à l’existence de plusieurs risques : les situations d’éveil prolongé induisent des erreurs, des accidents du travail, des pathologies du dos et des troubles musculo-squelettiques. Les risques sont majorés en particulier pour les seniors et les parents de jeunes enfants. Consultée très régulièrement sur le sujet, la Fédération hospitalière de France constate « l’absence d’étude sur l’impact à ce jour » mais s’engage à « mener une réflexion sur la pertinence de ce dispositif »…

Du côté de la loi, pas de recours. La contrainte de continuité de service public s’entend pour les services de réanimation, dont les effectifs par lit sont fixés par décret. Mais pour le reste, « le législateur, par manque de précision, permet à l’hôpital de généraliser cette mise en place », note Me Marjorie Rodriguez, qui a défendu avec succès les syndicats demandant l’annulation du passage aux 12 heures dans les services de réanimation et de surveillance continue au centre hospitalier de Libourne. Avec les temps de transmission entre les équipes de jour et de nuit, les personnels dépassaient les 12 heures de travail. À Marseille, les juges administratifs ont imposé le retour aux horaires réglementaires du service des urgences de l’hôpital de la Conception, estimant qu’il n’y avait aucun motif valable à y déroger. Les difficultés de recrutement justifiant le passage aux journées de 12 heures n’avaient pas été documentées. Encouragés par cette décision, les syndicats attendent que l’État étudie le dossier. Un groupe de travail mis en place par le ministère de la Santé et des Affaires sociales a été lancé pour faire un état des lieux et devrait rendre ses conclusions à l’automne.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair