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Idées

Travail et emploi, le faux dilemme

Idées | Chronique juridique | publié le : 04.06.2014 | Pascal Lokiec

Donner un emploi à ceux qui n’en ont pas tout en préservant la qualité du travail de ceux qui en ont constitue l’un des principaux défis du droit du travail d’aujourd’hui. Peut-on espérer protéger à la fois le travail et l’emploi ou faut-il, en période de crise, accepter de rogner sur la qualité du travail pour maintenir ou accroître la quantité d’emplois ?

Lorsque les réformes Hartz, adoptées au temps du chancelier allemand Schröder, ont été évoquées dans les médias français comme un modèle possible pour la France, il a été immédiatement remarqué que la politique des « minijobs », qui en constitue l’un des aspects les plus emblématiques, a, certes contribué à diminuer le taux de chômage, mais a en même temps augmenté considérablement la précarité chez les titulaires de ces emplois, payés 400 euros par mois. Si le gouvernement français a démenti vouloir s’inspirer de ce modèle, ce dernier n’en illustre pas moins parfaitement les tensions qui animent aujourd’hui le droit du travail, tiraillé, ici et ailleurs, entre le travail et l’emploi. Tensions que l’on retrouve à l’identique dans l’idée de smic intermédiaire, récemment proposée par le président du Medef.

LA PROBLÉMATIQUE

Avec la préoccupation, centrale depuis plusieurs décennies, du chômage, le droit du travail a pris une nouvelle direction, en déplaçant son centre de gravité du travail vers l’emploi. La protection des salariés, sur laquelle ce droit s’est construit au xixe siècle, est aujourd’hui concurrencée par d’autres finalités, à commencer par la protection de l’emploi.

Vu l’échec des politiques de lutte contre le chômage, les pouvoirs publics se tournent de plus en plus vers le droit du travail comme un levier pour lutter contre le chômage. La flexibilisation du temps de travail en offre une excellente illustration, tout comme l’idée d’abaisser le smic ou d’aménager le régime du licenciement pour certaines catégories de salariés. Selon un discours convenu, le droit français du travail serait un frein à la création d’emplois, car inadapté aux besoins et à la configuration actuelle des entreprises. Un discours qui sonne fort dans les discussions, actuelles et à venir, sur les contreparties au pacte de responsabilité, à grand renfort de sondages, par exemple le 11e baromètre CroissancePlus/Astorg publié en février 2014 montrant que, pour une majorité de chefs d’entreprise, la complexité du droit du travail serait une entrave à l’efficacité de l’économie française ! Le compromis issu de l’ANI sur la sécurisation de l’emploi est sous-tendu par une logique proche qui peut être résumée comme suit : en période de crise, les entreprises doivent faire des économies ; on ne peut donc exiger d’elles à la fois la création d’emplois et des conditions de travail favorables pour les salariés en poste. Il faut à tout prix créer et maintenir l’emploi, quitte à faire des concessions sur le travail !

Quelles concessions ? Elles sont principalement de deux ordres. La mise à l’écart du modèle du CDI à temps plein, tout d’abord. Sur ce point, le droit français résiste tant bien que mal. Pour preuve, l’échec de la tentative la plus spectaculaire de remise en cause dudit modèle, qu’ont constitué le CPE et le CNE. Cette résistance se manifeste aussi dans deux dispositions de la loi du 14 juin 2013, qui pour l’une renchérit les CDD courts, pour l’autre fixe un minimum de vingt-quatre heures pour les temps partiels. Sur le second aspect, à savoir la flexibilisation des conditions de travail, le droit n’a sans doute jamais été aussi loin que ces derniers mois. Après le temps de travail, la flexibilité prend aujourd’hui pour visage la mobilité, que le droit promeut sous toutes ses formes (interne, externe ; géographique, fonctionnelle).

LES BROUILLAGES

Sur fond de crise, on en arrive aujourd’hui à opposer le travail et l’emploi, au point de créer de plus en plus de situations de dilemme. Un tel conflit est constitué lorsque les acteurs sont contraints, en fait ou en droit, de choisir entre l’un ou l’autre.

Ce dilemme est au fondement des accords de maintien de l’emploi qui, rappelons-le, consistent pour l’entreprise à s’engager à maintenir temporairement l’emploi en échange d’une baisse des salaires et/ou d’un aménagement de la durée du travail. Le salarié doit-il accepter et sauver son emploi pour un ou deux ans moyennant une baisse de salaire, tout en sachant qu’un PSE est tout sauf exclu à l’expiration dudit délai ? Est-il, au contraire, dans son intérêt de refuser afin de préserver son niveau de salaire avec le risque d’un licenciement économique individuel, dont il n’est pas certain, à l’heure actuelle, que la cause pourra être contestée devant le juge ? Tout aussi délicate est la position des syndicats qui, habitués à négocier sur le travail, sont de plus en plus confrontés à une négociation sur l’emploi (la Négociation collective et l’emploi, Tamar Katz, éditions LGDJ, 2007). Leur position est d’autant plus délicate depuis qu’ils sont soumis, pour être représentatifs, à la sanction des urnes !

Que diront les électeurs si le syndicat qui a ratifié un accord de maintien de l’emploi se retrouve, deux ans plus tard, à négocier un PSE ou si, inversement, celui qui a refusé de signer est confronté, quelques semaines après, à une fermeture de site Une situation rendue encore plus épineuse du fait que les syndicats doivent souvent gérer, en parallèle, les résultats d’un référendum organisé par la direction auprès des salariés de l’entreprise. Les accords sur l’emploi, dont on rappelle qu’ils existaient bien avant la loi du 14 juin 2013, ont toujours constitué l’un des domaines de prédilection du référendum (Continental, Dunlop, Goodyear…). Il n’y a pas de raison qu’il en soit désormais autrement, comme l’illustre le référendum organisé le 28 juin 2013 chez Mahle Behr France en préambule à la négociation de l’un des deux accords de maintien de l’emploi conclus à ce jour sous l’empire de la nouvelle loi.

LES LIMITES

Un enjeu majeur, dans ce contexte, consiste à préserver la qualité du travail, tout au moins à circonscrire le mouvement ici décrit dans des limites acceptables. Les contentieux récents montrent que les instruments les plus efficaces sont à rechercher du côté des mécanismes généraux du droit du travail. On se souvient que la convention OIT n° 158 a permis de casser un dispositif (le contrat nouvelles embauches) qui, très explicitement, visait à rogner sur les conditions de rupture du contrat de travail pour favoriser l’emploi. Même si rares sont ceux qui s’attendaient que ce texte puisse un jour être utile au droit français, on peut tout de même espérer que la thématique du travail décent, si chère à l’OIT depuis quelques années, n’aura pas besoin de s’appliquer en France.

Plus généralement, les droits fondamentaux (dignité, non-discrimination, vie personnelle…) ont une place centrale à jouer pour protéger la qualité du travail, à l’image de l’abondant contentieux sur la mise en œuvre des clauses de mobilité (Cass soc., 14 octobre 2008, n° 07-40523) et de la non moins remarquée jurisprudence sur le forfait jours (Cass soc., 30 juin 2011, n° 09-71107). Il faut surtout ajouter l’obligation de sécurité. D’une redoutable efficacité, en ce qu’elle impose un résultat à l’employeur, cette obligation, consacrée par les arrêts « amiante », est désormais capable de remettre en cause, en raison de son possible impact sur la santé des travailleurs concernés, l’organisation du travail et les nouvelles méthodes de management (Cass soc., 5 mars 2008, n° 06-45888). L’employeur qui, pour faire face à une restructuration, imposerait aux salariés restants une surcharge de travail engagerait sa responsabilité, parfois sur le fondement de la faute inexcusable. Car, dans les rapports complexes entre travail et emploi, les réductions d’effectif sont elles aussi un facteur de risque pour la santé des travailleurs, comme le prouve l’intervention croissante du CHSCT dans ce contexte.

Le retour au premier plan de la santé et de la sécurité n’est assurément pas un signe positif quant à la qualité des conditions de travail en ce début de xxie siècle, pour un certain nombre de salariés. La pression sur l’emploi en constitue-t-elle la seule cause Certainement pas. Le mal est profond et appelle une attention redoublée du droit à la problématique du travail, sans la lier nécessairement à celle de l’emploi.

FLASH
L’activité partielle

L’activité partielle, nouvelle dénomination du chômage partiel, permet à l’entreprise de réduire son activité pour faire face à des circonstances exceptionnelles, liées notamment à la conjoncture économique, à une transformation, restructuration ou modernisation de l’entreprise, ou à des difficultés d’approvisionnement. Cette réduction prend la forme d’une diminution du temps de travail ou d’une fermeture temporaire de tout ou partie de l’entreprise. L’objectif est de permettre aux salariés de conserver leur emploi en leur octroyant, avec l’aide de l’État et de l’organisme gestionnaire du régime d’assurance chômage, une indemnité au moins égale à 70 % de leur salaire brut, visant à compenser la perte de salaire dans la limite d’un contingent annuel d’heures indemnisables actuellement fixé à mille heures. L’accès à ce dispositif suppose une autorisation préalable du préfet de département. Une autorisation qui pourra, pour les entreprises ayant déjà bénéficié de l’activité partielle au cours des trois dernières années, être conditionnée à des actions en matière de GPEC et de formation, au maintien de l’emploi des salariés pendant une durée pouvant atteindre le double de la période d’autorisation, ou encore à des mesures visant à rétablir la situation financière de l’entreprise.

Auteur

  • Pascal Lokiec