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Décodages

Les pros du boulot secondaire

Décodages | Travail | publié le : 04.06.2014 | Adeline Farge

Face à un pouvoir d’achat en berne, nombre de salariés arrondissent leurs fins de mois avec un autre job. Un cumul non réservé au privé, encadré par le Code du travail et qui parfois débouche sur un changement d’activité.

Garde d’enfants, aide à domicile, bricolage, vendanges ou vente directe… Il n’y a pas que les travailleurs précaires qui cumulent les temps partiels. Avec la crise, des salariés à temps complet choisissent ou sont contraints de jongler entre deux ou trois activités pour joindre les deux bouts. Aucune étude récente ne chiffre cette dernière catégorie mais, au total, 8,3 % des salariés seraient pluri-actifs selon l’Insee (2009). Rembourser des dettes, financer les études des enfants, partir en vacances, acheter une voiture ou restaurer son pavillon, les motifs invoqués par les adeptes du revenu complémentaire sont variés. Si, pour certains, il s’agit d’un mode de vie nécessaire pour survivre, d’autres le considèrent comme une possibilité de maintenir leur train de vie. « C’est un phénomène grandissant, lié à la dégradation du pouvoir d’achat. Le coût de la vie, surtout les loyers, augmente, contrairement aux salaires. Quand un besoin se fait sentir, ils acceptent des petites missions le soir ou le week-end, comme des réparations ou des livraisons. Il faut faire face au quotidien », pointe Bertrand Tournier, cofondateur de YoupiJob, plate-forme de recrutement entre particuliers lancée en septembre 2012. À côté des demandeurs d’emploi et des étudiants, près de 3 000 salariés s’adonnent, via le site, au jobbing, une tendance venue tout droit des États-Unis.

Grâce à quelques boulots effectués dans le mois, ils peuvent s’octroyer un complément de revenu de l’ordre de 200 à 300 euros par mois. Ce qui n’est pas négligeable lorsque l’emploi principal ne suffit plus. D’après une étude d’OpinionWay pour le Sofinscope d’octobre 2013, les Français interrogés déclarent qu’il leur manque en moyenne 540 euros chaque mois pour vivre correctement. Face à l’augmentation des prix et au gel des salaires, bon nombre rationalisent leurs dépenses. Et ce sont les budgets « plaisirs » qui trinquent : 60 % d’entre eux diminuent leurs frais liés aux loisirs et 35 % restreignent le budget « sorties ».

Pour améliorer leur quotidien, les plus malins ont donc recours au système D. « Quand j’ai acheté ma maison après mon divorce, je me suis rendu compte que je ne gagnais plus assez avec mes 1 600 euros mensuels », raconte Sonia, gestionnaire de formation à plein temps chez EDF. Comme elle n’avait pas la possibilité de réaliser des heures supplémentaires pour son employeur, elle s’est dirigée vers une activité qui l’attirait : vendeuse de sous-vêtements à domicile, pour Charlott’lingerie. Avec le pourcentage récolté sur les ventes, elle ne gagne pas moins de 400 euros.

Une débrouille revendiquée

Selon les données de la Fédération de la vente directe, deux tiers des personnes exerçant dans ce domaine le font en complément, contre un tiers restant à temps plein. « Les gens sont moins complexés, ils n’ont plus honte de dire qu’ils cherchent à arrondir leurs fins de mois. Avec la crise, on est passé dans le monde de la débrouille. On achète des cadeaux d’occasion, on pratique le covoiturage. Ces méthodes entrent dans les mœurs, c’est même devenu une revendication. Et ce n’est pas qu’une question d’origine sociale, cela concerne aussi des personnes qui ne sont pas dans le besoin mais qui veulent continuer à s’offrir des plaisirs », analyse Françoise Lemoine-Monat, auteure d’Arrondir ses fins de mois à Paris (éditions Parigramme, 2013).

En horaire décalé et hyperactif, Christian*, gendarme, a franchi le pas l’année dernière en s’inscrivant sur le site YoupiJob. Bricolage, livraisons, déménagements, ces travaux chez les particuliers occupent ses après-midi et lui permettent d’empocher environ 250 euros par mois. « C’est sympa d’améliorer ses revenus en prenant du plaisir. Je gagne 2 800 euros par mois. Je ne le fais donc pas pour gagner ma vie. Ce petit plus a payé un week-end dans le sud de la France, des places de cinéma avec les enfants. Après une mission, je dépense tout, tout de suite », précise-t-il.

Contrairement à une idée répandue, un fonctionnaire peut, avec l’autorisation de son administration et à condition d’être autoentrepreneur, exercer des activités de services à la personne ou vendre des produits fabriqués par ses soins. Il ne peut en revanche opter pour ce statut s’il souhaite exercer des activités agricoles ou aider son conjoint dans une entreprise artisanale, commerciale ou libérale.

Pour l’ensemble des salariés, le Code du travail n’interdit de cumuler ni les employeurs ni les emplois mais fixe des limites. Les durées maximales de travail ne doivent pas dépasser dix heures par jour, quarante-huit heures par semaine et quarante-quatre heures sur une période de douze semaines consécutives. Le salarié cumulard a également une obligation de loyauté à l’égard de son employeur – pas question d’exercer une activité concurrente – et il ne peut bien entendu pas assurer d’extras si son contrat prévoit une clause d’exclusivité. Gare aux abus ! Faute de ne pas respecter ces règles, employeur et salarié s’exposent à une amende de 1 500 euros chacun. La loi n’oblige pas le salarié qui arrondit ses fins de mois ailleurs à prévenir ses patrons, mais ceux-ci sont parfaitement en droit d’exiger une attestation écrite afin de s’assurer que les durées légales de travail sont bien respectées. Cumuler trop d’heures et répercuter cette surcharge sur la qualité de son travail peut être un motif de licenciement.

Organisation hors pair

Jongler entre différentes activités demande donc une organisation hors pair. Entre les réunions, le travail en amont puis les commandes, Sonia confie ainsi travailler dix heures par semaine à côté de son emploi principal, à trente-deux heures. « Comme j’ai mes enfants en garde alternée, j’essaie de travailler davantage quand ils ne sont pas là. S’ils étaient plus jeunes, cette activité serait plus compliquée à gérer. On est beaucoup sur les routes et on rentre le soir après 22 heures, explique-t-elle. Toutes les ventes ne marchent pas très bien et les clients ne sont pas toujours agréables. En rentrant chez moi, je me demande parfois si cela vaut le coup. »

Rencontrer de nouvelles personnes et développer des compétences commerciales la poussent à prolonger l’aventure. Si les premières motivations sont pécuniaires, ces compléments sont aussi une source d’épanouissement. Passionnée par la cuisine, Ingrid Perrot, Angoumoisine de 35 ans et mère de trois enfants, s’est trouvé une nouvelle vocation : « Un jour, une maman m’a dit qu’elle m’embaucherait bien pour organiser l’anniversaire de son fils. » Elle a lancé sa société événementielle Anime Too autour des goûters d’anniversaire, des repas d’affaires ou encore des mariages. Pendant deux ans, Ingrid a poursuivi en parallèle son métier d’assistante maternelle. De fil en aiguille, elle a concrétisé son rêve : ouvrir son propre restaurant, le Saturnin. « J’ai appris sur le tas à gérer une affaire », souligne-t-elle. Faute de perspectives de carrière, le complément de revenu peut même être précurseur d’une reconversion professionnelle.

* Le prénom a été changé.

Auteur

  • Adeline Farge