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Décodages

Frédéric Devalle valorise la mutation de Pizzorno Environnement

Décodages | Management | publié le : 04.06.2014 | Anne-Cécile Geoffroy

La PME varoise joue dans la cour des grands mais cultive la proximité avec ses salariés. Ripeurs, chauffeurs, trieurs… Soucieuse de la qualité de vie au travail, elle soigne leur intégration, les accompagne dans l’évolution des métiers, mais doit encore apaiser les relations sociales.

Le saviez-vous ? L’entretien des Champs-Élysées, la moitié de la collecte du verre, le ramassage des ordures du XVe arrondissement – bientôt celui des Xe et XVIIIe – sont assurés par une société varoise. Et non plus par la Ville de Paris. Pizzorno Environnement, du nom de son fondateur Francis Pizzorno, fait figure de Petit Poucet face aux géants Veolia et Suez qui opèrent dans le ramassage, le traitement et la valorisation des ordures ménagères. « Auparavant on collectait des déchets. Aujourd’hui, ce sont des ressources », reprend Frédéric Devalle, directeur général délégué de l’entreprise et gendre de Francis Pizzorno.

Une précision sémantique qui en dit long sur l’évolution du secteur. Quand, en 1974, Francis Pizzorno, négociant et distributeur de farine, se reconvertit dans la collecte des déchets, il s’agit d’éradiquer les décharges sauvages et de bâtir une filière industrielle quasi inexistante. L’activité de l’entreprise consistait alors à stocker et à enfouir les détritus non dangereux. Entre-temps les normes environnementales se sont multipliées et les Français convertis au tri. De cette PME varoise, le septuagénaire et sa garde rapprochée ont patiemment fait une société de taille intermédiaire présente en France, en Afrique du Nord et en Mauritanie.

Coté en Bourse depuis 2005, le groupe est resté familial (voir l’entretien page 48) et cultive un management de proximité qui fleure bon le paternalisme d’antan. Figure omniprésente, Francis Pizzorno voue un véritable culte à la propreté et au respect des règles. Dans l’entreprise, on raconte volontiers qu’il a arrêté l’un de ses camions-bennes sur l’autoroute pour signifier aux salariés un excès de vitesse. Aujourd’hui le groupe emploie 7 000 salariés, dont 2 750 dans l’Hexagone (intérimaires et saisonniers inclus). Il collecte et valorise plus de 2,6 millions de tonnes de déchets par an et réalise 230 millions d’euros de chiffre d’affaires. Pizzorno Environnement ne s’interdit plus de jouer en dehors de son territoire d’origine. Depuis Draguignan, la PME grignote des parts de marché dans les grandes métropoles régionales sur un axe reliant Toulon au Havre. Et ne semble pas vouloir s’arrêter là.

1 ACCOMPAGNER LA TRANSFORMATION DES MÉTIERS

Au fond de la zone d’activité Les Ferrières-Le Muy, dans le Var, les murs du hangar du centre de tri cachent une gigantesque ligne de production. Celle-ci mâche méthodiquement les déchets que des camions-bennes acheminent tout au long de la journée. La machine décompacte puis sépare bouteilles, journaux et magazines. « Elle peut gérer sept flux différents, explique Pascal Delattre, le directeur du site. Elle sait reconnaître les bouteilles d’eau selon leur couleur. Grâce à un système de tri optique, les sacs plastique sont séparés des autres déchets. » L’entreprise a investi 1,6 million d’euros pour se doter de cette ligne de tri et faciliter la valorisation des déchets. « L’acier des boîtes de conserve part directement chez ArcelorMittal qui les transforme en poutrelles métalliques. Quant au bois, selon sa qualité, il devient du compost ou part dans le Piémont italien pour être transformé en panneaux de particules pour Ikea. » Une économie circulaire dont tous les métiers sont en mutation. L’entreprise exploite depuis peu l’unité de valorisation énergétique de Toulon. « Avec l’usine d’incinération, nous sommes aujourd’hui le premier producteur d’électricité du Var et nous chauffons 4 500 logements », indique Frédéric Devalle.

Pour s’adapter à ces évolutions technologiques, Pizzorno Environnement a renforcé sa politique de recrutement. « Nous allons chercher de nouveaux profils pour piloter nos sites, souligne Laurence Gouin, la DRH. L’entreprise s’ouvre à des BTS de maintenance industrielle ou des BTS de contrôle industriel et régulation automatique. Les jeunes méconnaissent encore trop l’évolution de nos métiers. » Ces dix dernières années, la PME a multiplié par trois ses effectifs. En 2013, elle a embauché plus de 250 salariés en CDI.

Afin de susciter des vocations, il ouvre régulièrement les portes de ses centres industriels. La DRH entend également s’appuyer sur l’accord contrat de génération signé en septembre dernier pour favoriser l’embauche de jeunes en difficulté à travers les dispositifs d’insertion professionnelle comme les emplois d’avenir (cinq contrats signés), les emplois francs ou encore les contrats d’alternance (39 signés en 2013) et les contrats d’insertion professionnelle intérimaire (40 en 2013). L’entreprise travaille avec les missions locales ou des entreprises d’insertion. Une obligation qui tient aussi aux clauses sociales imposées par les collectivités. À Paris, 15 % du personnel est concerné. Au Muy, le taux monte à 30 %. « Mais nous sommes plus proches de 45 %, souligne Pascal Delattre, le directeur du site. Notre activité se prête bien à la réinsertion professionnelle des publics éloignés de l’emploi. »

2 UNIFIER LA CULTURE D’ENTREPRISE

En décrochant la collecte des poubelles de certains arrondissements parisiens, Pizzorno Environnement vient d’intégrer pas moins de 200 nouveaux salariés. Le secteur est régi par l’annexe V de la convention collective des activités du déchet, qui encadre la reprise de personnel. Les contrats de collecte sont généralement signés pour six ou sept ans. « Si les ripeurs et les chauffeurs de camion savent qu’ils ne perdront pas leur job, c’est toujours stressant de changer d’employeur. Les représentants des salariés doivent rester vigilants sur le maintien des salaires et des acquis sociaux », explique Philippe Queune, délégué syndical central CFE-CGC.

Cette particularité oblige l’entreprise à soigner l’intégration des nouveaux venus. « Nous cherchons à leur transmettre le plus vite possible la culture de proximité de l’entreprise », souligne Laurence Gouin, la DRH. Pour faciliter l’intégration de ses recrues, l’entreprise les forme. Ripeurs, chauffeurs ou agents de tri, tous les salariés passent par Epame Formation, un organisme créé en 2009 par l’entreprise. Sa vocation : faciliter l’homogénéisation de la culture et des méthodes de travail. « Pour casser les habitudes, on mélange des salariés issus de secteurs géographiques différents, précise Laurence Gouin. Lorsque nous reprenons le personnel d’un concurrent, nous lui présentons collectivement puis individuellement l’entreprise. Et, généralement, nous plaçons dans les nouvelles agences des responsables d’exploitation qui connaissent parfaitement le groupe. »

Pizzorno Environnement a également décidé de mettre l’accent sur la formation des agents de maîtrise, qui incarnent cette proximité chère à l’entreprise. « Ils doivent être reconnus comme des managers par les équipes. Nous avons revu les programmes de formation en insistant sur leur capacité à communiquer, à motiver et à affirmer leur autorité », poursuit la DRH. « On doit aller vers une unification des procédures pour que les entretiens d’évaluation soient mieux conduits et les demandes de formation mieux prises en compte dans l’ensemble des agences », estime le DSC CFE-CGC, pour qui « les questions sociales ne sont jamais foulées au pied par la direction ».

3 PRÉSERVER LA QUALITÉ DE VIE AU TRAVAIL

« Un salarié bien dans sa peau, c’est un salarié qui travaille bien ! » Comme une ritournelle, Frédéric Devalle insiste sur l’importance pour l’entreprise de prendre soin de ses équipes. « Nous avons un rôle d’accompagnement social de plus en plus important pour aider nos salariés dans leurs démarches administratives, pour régler un problème familial et faire en sorte qu’ils arrivent au travail l’esprit libre », explique-t-il. Une mission généralement confiée aux responsables RH des différents établissements. D’autant plus que nombre de salariés, issus de l’immigration, ne parlent pas toujours bien français et ne maîtrisent pas totalement les savoirs de base.

Au-delà, l’entreprise a tout intérêt à s’attacher à la qualité et à la sécurité au travail. Dans les agences, des responsables QSE (qualité, santé, environnement) sont là pour rappeler aux salariés les bons gestes professionnels. « Lors des tournées de collecte, ils peuvent suivre le travail réalisé pour observer la façon dont les bacs sont vidés dans les camions et corriger les gestes qui peuvent être dangereux et usants à la longue », indique la DRH. « Depuis que Pizzorno est arrivé à Toulon, le taux d’accidents du travail a vraiment diminué. On doit être à 1 % pour le mois de mai et les arrêts maladie aussi, assure Denis Vermonet, le délégué syndical central FO, basé à Toulon. Deux indicateurs qui ne trompent pas dans nos métiers. »

Au centre de tri du Muy, c’est surtout l’évolution des troubles musculo-squelettiques (TMS) que la direction cherche à contenir. Au son d’une sirène, l’ensemble de la ligne de production s’arrête dix minutes toutes les deux heures. Les opérateurs quittent alors leur cabine de tri, insonorisée et climatisée, pour faire une pause, puis changent de poste de travail. « Chaque opérateur de tri réalise environ 2 000 gestes à l’heure. Pour limiter les TMS nous favorisons la polyvalence », explique Pascal Delattre, qui a par exemple incité les femmes à passer leur Caces (certificat d’aptitude à la conduite en sécurité) pour manier les engins de chantier nécessaires au tri des déchets les plus volumineux.

Le directeur a également travaillé sur les risques psychosociaux. « Lorsque la machine à tri optique est arrivée, la charge émotionnelle du travail des opérateurs a fortement diminué. Trier les sacs plastique souillés était particulièrement éprouvant. Désormais, le module de tri optique s’en charge », se félicite-t-il. Pour que le personnel se réapproprie toute la chaîne de tri et de valorisation, il a également organisé tout au long de l’année 2013 des réunions les lundis avec ses équipiers. « On s’est ainsi rendu compte que les salariés n’avaient pas vu l’activité de l’entreprise évoluer. C’est une façon de redonner du sens au travail. »

4 APAISER LE DIALOGUE SOCIAL

Le 6 mai dernier, les élections professionnelles ont rebattu les cartes syndicales chez Pizzorno Environnement. La CFDT est devenue le syndicat majoritaire au sein du comité d’entreprise de l’unité économique et sociale (UES). La CFTC a perdu trois sièges dans le collèg ouvriers. La CGT en a gagné un. Mais, à Toulon, c’est FO qui tient… le CE. « Nous avons deux CE, décrypte la DRH. L’un pour l’UES, qui réunit la majorité des établissements du groupe ; l’autre pour le site de Toulon. » Lorsque l’entreprise a raflé le marché, les organisations syndicales se sont bagarrées pour garder leur CE. « Nous sommes un village gaulois. Pour nous, c’était la meilleure façon de préserver nos acquis », raconte Denis Vermonet, le DSC. « Il y a un fort sentiment d’appartenance à Toulon, comme à La Seyne-sur-Mer », confirme la DRH. Deux bastions syndicaux bien implantés dans la tradition de ces villes portuaires où le dialogue social est parfois rude. Comme à La Seyne-sur-Mer, où les relations entre le DSC CGT et le responsable d’agence sont plus que tendues. La cour d’appel d’Aix-en-Provence vient d’ailleurs de confirmer la condamnation de Dragui Transports (l’une des sociétés du groupe) pour discrimination syndicale en raison des multiples sanctions disciplinaires dont a fait l’objet le syndicaliste.

Pouraider les managers de proximité à comprendre l’importance des relations sociales, la DRH a intégré des modules de droit social à leur formation. En sortant du département, Pizzorno Environnement va mécaniquement atténuer le poids de ces bastions syndicaux. Dans leur accord sur les IRP, les partenaires sociaux sont convenus de mieux considérer la représentation syndicale des autres établissements que ceux du Var.

Le calendrier des négociations s’annonce chargé pour les nouveaux élus. La DRH veut doter l’entreprise d’un accord sur la qualité de vie au travail. Et le sujet risque d’être très sensible. Dans la branche, peu de métiers ont été identifiés comme pénibles. Au grand dam des éboueurs. Le 12 mai, ils faisaient grève au niveau national à l’appel de la CGT pour que la pénibilité de leur emploi soit mieux prise en compte.

REPÈRES

1 630

collaborateurs ont suivi une formation entre 2011 et 2013.

2,66 %

C’est le pourcentage de la masse salariale consacré à la formation par Pizzorno Environnement.

Source : Pizzorno Environnement.

REPÈRES

1 484

EUROS BRUT PAR MOIS

C’est la rémunération des opérateurs de tri et des ripeurs. Après un an d’ancienneté, elle est de 1 555 euros.

Source : Pizzorno Environnement.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy