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Idées

Quels grands chantiers sociaux l’Europe peut-elle mener ?

Idées | Débat | publié le : 05.05.2014 |

Chômage et précarité seront au centre des élections européennes du 22 au 25 mai. Une campagne lancée sous les huées des syndicats, vent debout contre l’austérité qui domine la politique bruxelloise. Pour les intervenants, l’Europe a pourtant encore les moyens de garantir un socle social commun.

Jean-Cyril Spinetta Président de Lasaire.

Après la crise économique de 2008 puis, en 2010, celle de l’euro, l’Europe a fait ses choix : rejet de l’option fédérale, préservation de la monnaie unique par la création du mécanisme européen de solidarité et le renforcement de la gouvernance budgétaire. Mais l’Europe – en continuant d’ignorer que dans tout espace économique unifié par une monnaie unique le centre s’enrichit et la périphérie s’appauvrit – rend ces choix économiquement, socialement et politiquement dangereux. Elle se condamne, pour corriger les écarts de productivité, à ne recourir qu’à des politiques de dévaluation interne menaçant l’investissement, la croissance et l’idée même de progrès social.

Ceux qui croient en l’Europe doivent agir et proposer aujourd’hui pour éviter que le prochain débat ne soit « l’Allemagne et le désert européen ». Agir comment ? En suscitant dans tous les domaines l’instauration de politiques coopératives dans la zone euro. Alors que les échanges commerciaux intraeuropéens représentent plus de la moitié des échanges des pays de la zone, toutes les grandes économies mettent en œuvre des politiques de réduction du coût du travail pour restaurer leur compétitivité. Mais si les progrès des uns se font au détriment des autres, les conduisant à leur tour à des efforts en plus, tous les éléments sont réunis pour que l’Europe s’enfonce dans la crise avec un risque de déflation. Proposer quoi ? Dans le domaine social, la priorité évidente est la lutte pour l’emploi : recul du chômage, qualité de l’emploi, accès des jeunes au marché du travail…

Le moment n’est-il pas venu, comme l’avait proposé Lasaire en 2008, de réunir une conférence sociale européenne sur les salaires et l’emploi ? L’objectif ne saurait être d’augmenter les salaires d’une manière uniforme mais de susciter un examen concerté des politiques salariales de chaque pays en prenant en compte la diversité des situations et des avantages comparatifs. L’Europe a justement écarté l’idée désastreuse d’une renonciation à la monnaie unique. Mais, en limitant ses ambitions à la seule gouvernance budgétaire, elle se condamne à des politiques d’ajustements permanents. Les dévaluations monétaires d’hier ont été remplacées par des dévaluations sociales. Pour que l’idéal européen vive, il est urgent que les acteurs sociaux redeviennent des acteurs de la sortie de crise.

Andrée Thomas Secrétaire confédérale de Force ouvrière, secteur Europe, international.

L’Europe ne peut pas mener de grands chantiers sociaux en maintenant l’austérité budgétaire. Le chômage, la pauvreté et les inégalités ont été fortement accentués par la crise et les politiques d’austérité qui ont suivi. La priorité immédiate est d’inscrire l’Union européenne dans la voie de la relance économique par la mise en œuvre d’un plan d’investissement ambitieux de l’ordre de 2 % du PIB annuel européen afin de permettre la création d’emplois durables et de qualité.

L’ensemble des dispositions renforçant la surveillance et la coordination macroéconomique, adoptées depuis 2011, suit une logique d’austérité permanente. Elles consacrent la suprématie de la dimension économique de l’Europe sur les objectifs de progrès social et d’égalisation par le haut des conditions d’emploi. Force ouvrière soutient une révision des instruments de la nouvelle gouvernance économique pour en faire un outil de coordination et de relance des politiques économiques au service de la création d’emploi et de la lutte contre les inégalités.

L’Europe est souvent perçue comme un danger, alors qu’elle devait être porteuse de droits, de garanties et de progrès social. En visant la construction d’un « modèle social commun », l’Union européenne pourrait faire le choix de réglementations luttant contre le dumping social entre les travailleurs européens et égalisant les conditions de concurrence vers le haut.

Pour y parvenir, il est nécessaire d’intégrer aux traités européens un protocole de progrès social qui non seulement garantisse les droits sociaux, mais permette également l’amélioration constante des conditions de vie et de travail pour tous les travailleurs européens.

La revendication d’un salaire minimum européen fixé à un niveau suffisant dans le respect des pratiques nationales de négociation et de dialogue social permettrait de concrétiser l’idée d’une Europe sociale, à l’image de ce que l’euro a symbolisé pour l’Union monétaire. Il s’agit de promouvoir une certaine conception de la valeur du travail et de la dignité du travailleur qui doit lui permettre d’assurer son existence autonome. Ce serait également un instrument de lutte contre les pratiques de dumping social et en faveur d’une plus grande harmonisation des conditions de travail.

Claude-Emmanuel Triomphe Délégué général d’Astrees.

Garantie jeunesse, protection renforcée des travailleurs détachés : les initiatives sociales récentes de l’Union ne sauraient masquer la faillite d’une certaine Europe sociale. La crise et la suprématie des dogmes monétaires, l’élargissement et les replis nationaux, les excès de la pensée néolibérale et l’obsolescence du projet social-démocrate, tout cela et bien d’autres choses encore l’ont achevée. Faut-il s’en désoler ou bien mettre à profit le vide actuel pour inventer des voies nouvelles ?

Le fond, d’abord : il consisterait à prendre en compte les mutations économiques et les nouveaux besoins sociaux à l’œuvre sur le continent pour y accrocher une dimension sociale offensive. Investir de façon précoce et continue dans les capacités de toutes les personnes pour leur donner les atouts nécessaires à leur réussite à l’école et au travail, développer la mobilité positive par la multiplication des expériences professionnelles dans un pays voisin via un Erasmus pour adultes, penser et cadrer des relations de travail capables de combiner salariat, travail indépendant, inactivité et formation, imaginer de nouvelles formes participatives inhérentes aux entreprises du futur, encourager l’instauration d’une assurance chômage transnationale combinée à un système ambitieux de gestion des transitions professionnelles, promouvoir des pactes sociaux transfrontaliers : les sujets sont nombreux et leur dimension transnationale, seule assurée d’une certaine légitimé, évidente. Mais cela n’ira pas sans un changement profond de méthode.

L’Europe des 28 n’avancera pas d’un même pas ; il nous faudra miser sur des cercles concentriques avec, au centre, les pays – voire les régions – qui voudront aller de l’avant. Il nous faudra aussi innover dans la mobilisation et la délibération sociales : initiatives sociales citoyennes – à l’instar de celle sur le droit à l’eau -, conférences transnationales de jeunes ou de migrants, dialogues accueillant de nouvelles parties prenantes et dépassant un bi- ou un tripartisme souvent essoufflés, agenda social largement ouvert à la société civile et non pas à une somme de non-projets étatiques… Tout cela, les traités l’autorisent ou, à tout le moins, ne l’empêchent pas. Cette refondation sociale, il suffit de la penser, de la vouloir et d’y associer très étroitement les générations montantes.

CE QU’IL FAUT RETENIR

Candidat des socialistes à la Commission européenne, l’Allemand Martin Schulz s’est prononcé en faveur d’un salaire minimum européen proportionnel au PIB de chaque État. Il souhaite également remettre à plat la directive sur le détachement des travailleurs, adoptée le 16 avril à Strasbourg. Pour la première fois, les États de l’UE devront « tenir compte » du résultat des élections législatives pour nommer la tête de l’exécutif européen.

La Commission européenne intègre, depuis 2014, de nouveaux indicateurs sociaux dans ses examens annuels de croissance des pays de la zone euro. Ils portent sur le taux de chômage, le revenu des ménages, l’inégalité et la pauvreté. Cette initiative fait suite au projet de « renforcement de la dimension sociale » de l’Union économique et monétaire, décidée le 28 juin 2013.

LES CHIFFRES

10,6 %

C’est le taux de chômage relevé par Eurostat en février 2014 dans l’ensemble des 28 pays de l’Union européenne. Il était de 7,1 % en 2008.

325,15

C’est en milliards d’euros le montant alloué pour 2014-2020 par l’UE aux politiques de cohésion sociale. Un budget en baisse de 8,4 % par rapport à celui de 2007-2013.