Une valeur fondamentale se perd dans nos sociétés modernes, celle que le sociologue américain Richard Sennett nomme « la coopération exigeante ». C’est-à-dire le désir et la capacité de coopérer avec ceux qui ne sont pas pareils à nous. Le rejet de l’immigration en est un signe, la superficialité des relations sociales un autre. Le livre commence par l’Exposition universelle de 1900 à Paris et une des nombreuses initiatives prises à sa lisière, le projet dénommé « la Question sociale ». « Le mot qui se murmurait dans toutes les salles était “solidarité” ; les gens discutaient de ce qu’il voulait dire », note l’auteur. Ceux qui portaient l’idée de solidarité, notamment à gauche, voulaient guérir les fractures par une action concertée, mais se divisaient sur ses formes. L’équilibre social reposera sur celui entre coopération et compétition, régulé à travers l’échange.

On entre ensuite de plain-pied dans la modernité, placée sous le signe de « la coopération affaiblie ». L’auteur constate l’affaiblissement du paradigme qu’il avait découvert dans ses recherches en usine : le triangle social, délimité par l’autorité acquise, le respect mutuel et la coopération autour d’une crise. C’est même de dislocation qu’il faudrait parler aujourd’hui : le court terme, l’isolement, la compétition et l’envie prédominent. Richard Sennett consacre même un chapitre à cette nouvelle figure psychologique du travailleur, le « moi non coopératif ».

Il plaide en conclusion pour la nécessité de réanimer l’idée de communauté. L’introspection se veut exigeante, parfois trop abstraite et touffue. Mais on en ressort avec une meilleure compréhension de l’énorme défi que la société jette aux valeurs du travail et de la solidarité.

Ensemble : pour une éthique de la coopération, Richard Sennett. Éditions Albin Michel. 370 pages, 24 euros.