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Décodages

Éric Hémar pilote ID Logistics en flux tendu

Décodages | Management | publié le : 05.05.2014 | Anne-Cécile Geoffroy

Absorption après absorption, le groupe logistique n’en finit pas de grossir. Une dynamique qui lui impose de veiller à l’intégration des différentes entités et de développer les compétences. Sans oublier de stabiliser le dialogue social dans un contexte où l’on demande beaucoup aux salariés.

Dans l’entrepôt de 1 600 mètres carrés, c’est un ballet incessant de porte-palettes. D’un côté, les achemineurs récupèrent les colis livrés par les camions durant la nuit et les déposent dans les différentes zones du site. De l’autre, les préparateurs, casque sur la tête et scannette en main, prennent le relais et élaborent les commandes des différents supermarchés avec lesquels le site Cavaillon Produits frais travaille. Il fait 4 °C. Dans cette immense chambre froide, les salariés, en parka et bonnet, ne s’arrêtent jamais en dehors des deux pauses prévues, trente minutes dans la journée. L’entrepôt vauclusien fonctionne en flux tendu. Les équipes se relaient de 5 heures à 21 heures, moment où commence le chargement des camions qui se prolonge jusqu’à 4 heures du matin. « Le site a ouvert il y a un an. À l’époque on travaillait pour huit magasins Leclerc avec six salariés en CDI. Un an plus tard, on livre 30 magasins, 100 personnes sont employées à Cavaillon dont 30 intérimaires », raconte Didier Suffys, le responsable du site.

Une croissance à l’image de celle du groupe de logistique créé par Éric Hémar en 2001. Cet énarque passé par le cabinet du ministre des Transports du gouvernement d’Édouard Balladur, puis par Geodis, reprend alors La Flèche ca vaillonnaise, un petit transporteur local. En treize ans, il transforme la PME en un groupe international spécialisé dans la logistique contractuelle tout en conservant le siège social dans la petite cité installée aux portes du Luberon. Aujourd’hui l’entreprise compte 5 100 salariés en France, 13 000 dans le monde. Elle détient 180 sites qui représentent plus de 3 millions de mètres carrés d’entrepôts. En 2013, le chiffre d’affaires d’ID Logistics a fait un bond de 31,4 %, grâce à l’acquisition d’un concurrent, CEPL, et à la poursuite de l’implantation de l’entreprise à l’étranger, sur des marchés émergents comme la Pologne et la Russie, mais aussi l’Amérique du Sud.

L’appétit de cet entrepreneur, plutôt discret, semble ne pas avoir de limites. Lors de l’annonce de la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay, Éric Hémar fait une proposition au groupe automobile pour construire trois entrepôts sur 25 hectares avec 540 emplois à la clé. Il est le premier et pour le moment le seul à être entré dans le plan de réindustrialisation du site. Pour soutenir cette croissance, Éric Hémar met en tension son organisation et oblige les salariés à s’adapter rapidement.

1 UNIFIER LA CULTURE D’ENTREPRISE

Pour grossir aussi vite, ID Logistics est devenu ces dernières années le spécialiste de la reprise du personnel. En plus de créer in extenso des plates-formes logistiques dédiées pour ses clients, l’entreprise absorbe si besoin leurs activités logistiques ou rachète des concurrents. En 2012, elle entre en Bourse pour se donner les moyens d’assouvir son appétit d’ogre. La même année, le logisticien acquiert France Paquets, spécialisé dans la distribution de colis pour l’e-commerce. L’été dernier, c’est la société CEPL, 1 200 salariés, présente dans quatre pays européens, qui se fait absorber. Sur le tableau blanc à l’entrée de son bureau, Sébastien Guiragossian, le DRH, affiche presque en permanence le mécanisme de l’article L. 1224 du Code du travail qui encadre la reprise de personnel. « Intégrer CEPL, c’est intégrer 13 sociétés régies par neuf conventions collectives, comme celles du commerce de gros, de la chimie, du textile, de l’habillement ou de l’industrie. C’est aussi gérer environ 200 accords d’entreprise », souligne le DRH. Et des cultures d’entreprise forcément très différentes. Autant dire un super casse-tête.

Sébastien Guiragossian se donne deux à trois ans pour boucler cette intégration et assurer une égalité de traitement et de statut entre les entités. « Certains salariés de CEPL travaillaient directement chez des clients comme LVMH. Aujourd’hui ils sont salariés chez un logisticien. Je comprends que cela puisse être difficile à accepter. Notre enjeu est de faire adhérer ces nouveaux salariés à la culture d’ID Logistics. » Sur certains sites, l’arrivée de ce pure player fait grincer des dents. En mai 2013, à Moreuil (Somme), les syndicats ont lancé un appel à la grève pour protester contre la suppression d’une prime au mérite remplacée par une prime d’intéressement et la réduction du nombre de jours de carence avant l’intégration définitive du site chez ID Logistics en 2015.

Une grande attention est également portée à l’encadrement. Pour favoriser les échanges et harmoniser les pratiques entre les sites, ID Logistics multiplie les séminaires de cross fertilization entre les patrons des pays, les directeurs opérationnels ou les commerciaux. Surtout, l’entreprise parie sur la mobilité de ses salariés avec le tout nouveau plan Talents 2020. « Nous cherchons à détecter les collaborateurs qui veulent bouger pour évoluer professionnellement », indique Christophe Satin, le directeur général. Aux candidats, l’entreprise propose un package mobilité qui prend en compte le coût du déménagement, l’accompagnement pendant la période de prise de poste. « Surtout, nous donnons le droit au retour. C’est un moyen de faire progresser nos équipes en sécurité », poursuit-il.

2 SOUTENIR LA CROISSANCE

Pour poursuivre son développement, en France comme à l’étranger, le logisticien mise sur les hommes. ID Logistics est de plus en plus friand d’ingénieurs spécialisés et généralistes. L’entreprise va notamment chasser ces nouveaux profils au sein du réseau des écoles centrales et accueille en permanence cinq à dix stagiaires. Au siège social, la moyenne d’âge est de 35 ans. Mais le gros des troupes est constitué des préparateurs de commandes des entrepôts. « Tout l’enjeu consiste à capter les talents aussi bien en interne que sur le marché, explique Christophe Satin, compagnon de route d’Éric Hémar. Et pour le personnel manutentionnaire, ça n’est pas chose facile. » ID Logistics travaille en partenariat avec Pôle emploi et utilise notamment les actions de formation préalable au recrutement pour disposer d’une main-d’œuvre formée et opérationnelle. « Nous sommes dans un métier où la promotion interne est réelle, souligne Sébastien Guiragossian. Un responsable de site est encore souvent issu de la production, du métier de préparateur de commandes. »

Reste que pour les salariés, manutentionnaires en tête, la croissance, c’est bien, mais le partage de ses fruits, c’est mieux. « Et pour le moment on ne voit rien venir », constatent Stéphane Rochette et Mustapha Zouffir, de la CFDT, le syndicat majoritaire. « Les salaires sont bas. Ils tournent autour du smic. Pour gagner plus, les salariés comptent sur les primes de production », ajoute Denis Spinardi, délégué syndical CGT à Cavaillon. Une carotte au cœur de la grogne des salariés des sites de Lisses et du Bourget qui ont débrayé il y a quelques semaines. « Suite aux exigences de Carrefour, ID Logistics souhaitait baisser cette prime de 13 à 7 euros pour 1 200 colis traités par jour. La mobilisation a permis de garder la prime intacte mais ça n’est pas vrai partout », poursuit le syndicaliste. Lors des dernières négociations annuelles obligatoires (NAO), ID Logistics a proposé une augmentation générale des salaires de 2,4 % si les organisations syndicales signaient l’accord, et de 2,2 % dans le cas contraire. Refus de ces dernières. « 15 euros brut par mois. Comment voulez-vous qu’on aille vendre ça sur leterrain ! » souligne Denis Spinardi. « On a tout de même obtenu une prime de treizième mois cette année et nous devons négocier à la rentrée la mise en place de Chèques-Vacances », précise Mustapha Zouffir, secrétaire du comité d’entreprise.

3 DÉVELOPPER LES COMPÉTENCES

Grande première pour ID Logistics. L’entreprise se lance dans une négociation de GPEC. « Elle vise à formaliser des pratiques qui existaient déjà », précise Sébastien Guiragossian. À l’image de la charte de mobilité. La nouveauté ? L’instauration d’un entretien professionnel. « Nous nous sommes équipés d’un système d’information pour, entre autres, piloter ces entretiens en lien avec les formations que nous mettons en place. » ID Logistics consacre entre 3 et 4 % de sa masse salariale à son plan de formation. « Notre 0,9 % est consommé à 120 % par les seules formations obligatoires et réglementaires inhérentes à nos métiers », poursuit le DRH. Depuis sept ans, l’entreprise s’est dotée d’un organisme interne, ID Training, avec trois formateurs maison. Elle mise beaucoup sur l’e-learning pour prodiguer à moindres frais les formations à la sécurité avec des séances en ligne régulières de dix minutes. « On est plutôt demandeurs si cet accord permet aux salariés d’être mieux au travail, de changer de site s’ils le souhaitent et de progresser », explique Mustapha Zouffir. Même son de cloche à la CGT pour qui « la GPEC est un sujet important à condition que la direction applique l’accord ». Pour ID Logistics, la formalisation des nouveaux process RH vise aussi à obliger le management à assurer une qualité et une continuité de service aux clients.

Une politique groupe dont les effets se feront sentir sur la durée. Et qui n’interdit pas à certaines filiales de gérer leurs propres priorités. Du côté de CEPL, depuis la reprise en juin dernier, le DRH a ainsi surtout travaillé à la conclusion de contrats de génération. Douze au total, dont l’objectif est de favoriser le maintien au poste de travail. Un vrai pari. Car, sur certains sites logistiques, la moyenne d’âge est de 54 ans avec des préparateurs de commandes qui ont pu développer, après autant d’années à manipuler des colis, des troubles musculo-squelettiques.

4 STABILISER LE DIALOGUE SOCIAL

Depuis ses débuts, ID Logistics centralise le dialogue social sur Cavaillon. Les délégués du personnel sont régionalisés entre le Sud et le Nord et chaque site de production dispose d’un CHSCT. Une organisation du dialogue contestée par les institutions représentatives du personnel des nouveaux sites intégrés, comme à Sainghin-en-Mélantois, dans le Nord. La CGT locale est vent debout contre cette représentation, qu’elle juge éloignée du terrain. « Les élus CGT de CEPL craignent surtout de perdre leur mandat ! Avec un CE unique, on est plus forts. On peut négocier des tarifs intéressants pour les vacances », défend Mustapha Zouffir, le secrétaire CFDT du CE à Cavaillon. Côté DRH, Sébastien Guiragossian défend aussi son modèle. « Une fois par mois, on fait le point de toutes les remontées du terrain. Et surtout, derrière, on les traite. Éric Hémar et Christophe Satin sont de tous les CE. C’est notre marque de fabrique et on y tient. »

Sauf que le dialogue social interne est perturbé par les querelles de clocher au sein du premier syndicat du groupe, la CFDT. Depuis mars, ses élus au comité d’entreprise ne décolèrent pas contre… leur fédération, celle des Transports et de l’Équipement (FGTE). Et, surtout, contre le secrétaire de la branche route, Thierry Cordier. Ce dernier a retiré coup sur coup leur mandat aux deux délégués syndicaux centraux cédétistes de l’entreprise pour des histoires de comptes qui ne lui auraient pas été transmis. Dans l’ombre se jouent également des relations interpersonnelles délicates.

Un coup dur pour le syndicat majoritaire du logisticien. Fort de ses 500 adhérents, il ne peut théoriquement plus participer aux NAO ni aux négociations portant sur la GPEC, faute de DS ! « ID Logistics devient une entreprise qui compte dans le secteur. La fédération regarde de très près ce qui s’y passe. Elle veut prendre la main sur l’équipe en place », analyse un adhérent CFDT. La FGTE souhaiterait, aussi, que ses équipes se battent pour réclamer un CE par grande région et multiplier les mandats. Ce qui n’est pas du goût de la direction. Prévues en 2015, les élections professionnelles s’annoncent chaudes.

EN CHIFFRES

735,1

C’est, en millions d’euros, le chiffre d’affaires en 2013, soit une croissance de 34,4 %.

14

C’est le nombre de pays dans lesquels ID Logistics est présent, à travers

180

sites en France et à l’étranger.

DATES CLÉS

2001

Éric Hémar et Christophe Satin reprennent La Flèche cavaillonnaise. Ils créent ID Logistics.

2002

Ouverture d’une première filiale à Taïwan.

2010

Création d’ID Logistics Russie.

2012

ID Logistics entre en Bourse.

2013

Acquisition du groupe CEPL.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy