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Décodages

Dans la fabrique des inspecteurs du travail

Décodages | Formation | publié le : 05.05.2014 | Anne-Cécile Geoffroy

Ils sont jeunes diplômés, contrôleurs du travail, responsables RH… et se préparent à rejoindre ce corps de fonctionnaires réputé pour son indépendance. Reportage dans le temple de leur formation, l’Intefp, en pleine effervescence.

Moi, je veux bien jouer celle qui titille ! » « Créer un resto en milieu adapté, ça me plaît ! » Installé dans une salle de classe, un groupe d’inspecteurs élèves du travail (IET) se prépare au jeu de rôle que leur proposent les formateurs. Ils sont en cours de comptabilité et analyse financière. Pendant une semaine, ces futurs inspecteurs du travail vont apprendre à déchiffrer un compte de résultat et un bilan prévisionnel. Une vraie punition pour certains. « Mais une compétence qui vous sera utile si un jour vous devez siéger dans une commission France active et attribuer des aides aux entreprises de l’économie sociale et solidaire », argumente Anne-Lise Peron, formatrice et inspectrice du travail dans le Rhône. « Il faudra leur demander quels sont leurs critères de recrutement, quel type de contrat de travail ils envisagent et bien vérifier la cohérence entre les effectifs et la durée du travail », énumère Riad Kabache, l’un des élèves. De l’autre côté de la salle, le groupe chargé de présenter le projet de restaurant se prend vite au jeu en se mettant d’accord sur la création d’un « estaminet à Lille d’une quarantaine de couverts ». « Combien d’éducateurs spécialisés va-t-on embaucher pour encadrer les travailleurs handicapés ? » interroge Vincent Decottignies. L’ambiance est détendue, les blagues fusent mais n’empêchent pas de part et d’autre des questions déjà pointues.

Un métier de constat. En formation depuis sept mois, les 57 élèves de la promotion 2013 se glissent dans le costume d’inspecteur du travail. Certains sortent tout juste de l’université, un master de droit social en poche. D’autres étaient encore il y a quelques mois contrôleurs du travail ou responsables des ressources humaines, voire syndicalistes, dans des entreprises ou des associations. Ils ont entre 21 et 57 ans. Pendant dix-huit mois, nourris et logés sur le campus de l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (Intefp) à Marcy-l’Étoile, près de Lyon, « ils vont apprendre les différents gestes métiers liés à leurs missions, explique Bernard Bailbé, le directeur. C’est la spécificité d’une école professionnelle qui forme l’ensemble des agents du ministère et une partie de ceux des Direccte ».

Les élèves alternent cours théoriques sur les fondamentaux techniques et juridiques et stages de terrain. Soit six semaines à l’école, puis trois ou quatre en entreprise, dans leur section d’affectation ou dans une juridiction. Avec un détour par l’international. « S’ils ne sucrent pas le stage faute de moyens, râle une élève. L’an dernier, la promo est partie à l’OIT… une journée ! On se bagarre pour avoir un vrai stage cette année. » Dans les couloirs de l’école, Richard Abadie, le responsable de la formation initiale, profite des intercours pour échanger et prendre le pouls de la promo. « Ce métier est avant tout un métier qui conduit à s’appuyer sur des constats et non sur ses opinions. C’est cette posture que le cursus de formation doit aussi permettre de maîtriser », explique-t-il.

Quelle que soit la promotion, les IET ont toujours eu la réputation d’être un peu remuants. Traditionnellement, les tracts de contestation, les mots d’ordre syndicaux partaient de Marcy-l’Étoile. Ça n’est plus le cas aujourd’hui. Depuis 1980, c’est ici que se transmet la culture du ministère du Travail et que se forge l’identité très forte de ce corps de fonctionnaires créé en 1892 et chargé de contrôler le respect du Code du travail dans les entreprises. Une identité liée à la convention n° 81 de l’Organisation internationale du travail, qui reconnaît le principe d’indépendance des agents de contrôle dans l’exercice de leurs missions. « Nous sommes formés par nos pairs et cette notion nous est très vite transmise, comme celle d’une inspection du travail généraliste », reconnaît Mathieu Cheutin, un ancien responsable RH qui a choisi de passer de l’autre côté du miroir. L’Intefp s’appuie en effet sur des réseaux de professionnels recrutés au sein du ministère pour construire ses formations techniques. Yves Struillou, directeur général du Travail et ancien inspecteur du travail, venait encore récemment enseigner le droit du licenciement des salariés protégés. « Les jeunes inspecteurs sont sans doute moins militants qu’il y a quelques années, mais ils gardent une indépendance d’esprit. Pendant leur formation, on leur apprend aussi que le corollaire de cette grande indépendance, c’est la compétence », souligne Pierre Sampietro, formateur et directeur du travail adjoint au chef du pôle 3E (entreprises, économie, emploi) en Languedoc-Roussillon.

Une liberté que certains jugent menacée par la réforme du « ministère fort » voulue par Michel Sapin, l’ex-ministre du Travail. Évacuée du projet de loi sur la formation professionnelle et la démocratie sociale par les sénateurs en février, la réorganisation de l’Inspection du travail s’est finalement imposée par décret. Quant au volet sur le renforcement des pouvoirs de l’Inspection, il a fait l’objet d’une proposition de loi déposée par le groupe socialiste au lendemain des municipales (voir l’interview ci-contre). Fini, la structuration autour d’une section composée d’un inspecteur, chef de service, de deux contrôleurs et d’une ou deux secrétaires. Désormais, des unités de contrôle rassembleront 10 à 12 inspecteurs, compétents sur un territoire et chapeautés par un responsable d’unité de contrôle, le RUC. Que beaucoup appellent déjà le « duc » pour protester contre l’idée qu’un inspecteur puisse avoir à répondre à un supérieur hiérarchique. En stage dans les services, les apprentis inspecteurs ont d’ailleurs pu apprécier les réticences de leurs collègues. « Certains boycottaient les groupes de travail mis en place par le Direccte pour préparer cette réforme », se souvient Coline Vinchon, affectée en Seine-Saint-Denis.

Plâtres du premier cursus. Entre la réorganisation de l’Inspection du travail et le plan de transformation de l’emploi qui vise à former 1 500 contrôleurs au métier d’inspecteur dans les dix prochaines années, l’Intefp est en ébullition. Le campus accueille en moyenne entre 7 000 et 10 000 stagiaires par an, principalement en formation continue. « Nous construisons la maquette des futures formations en tenant compte des évolutions législatives et réglementaires », explique Bernard Bailbé. C’est le cas pour la formation des 230 RUC, nommés fin juin et que l’Intefp accueillera pour la majorité début juillet. Depuis janvier, l’Institut accueille aussi la première promotion de contrôleurs du travail retenus dans le cadre du plan de transformation de l’emploi. « Ils apprennent des gestes métiers complémentaires qu’ils ne réalisaient pas jus qu’alors. Comme mener une enquête sur le licenciement d’un salarié protégé. On en profite pour les resituer dans le schéma de l’unité de contrôle, les aider à se positionner dans ce nouveau collectif », explique Georges Martins-Baltar, le directeur des études.

Sylviane Cornemillot fait partie de ces 130 inspecteurs du travail stagiaires, les ITS dans le jargon maison. Entrée en 1979 au ministère du Travail comme secrétaire, elle a passé les concours internes pour devenir contrôleuse du travail sur le champ de la formation professionnelle. « Quand je suis arrivée, j’ai cru que je ne m’en sortirai jamais. Le vocabulaire est tellement différent. Et les sigles ! J’ai acheté un répertoire pour tout retenir », raconte-t-elle. Avec le sentiment d’avoir surtout essuyé les plâtres de ce premier cursus. « Je suis assez déçue par la formation. Elle ne dure que six mois, on aborde parfois des thèmes pas directement utiles à la fonction. Et le stage d’une semaine en unité territoriale intervient trop tard. » Pour la promotion 2013 des IET, la grande réorganisation de l’Inspection reste très théorique. « On est encore formés à la fonction de chef de service alors que l’on sait déjà qu’on ne le sera pas. Ce sont surtout les formateurs qui nous expliquent les évolutions », constate Médéric Bertail, ancien RRH dans l’industrie. « Cette formation est fixée par un arrêté. On ne peut pas s’éloigner des attendus », justifie Yann-Gaël Jaffré, responsable de projet.

Tous les IET ne seront pas non plus affectés à une fonction de contrôle. La moitié prendra un poste dans le champ de l’emploi et de la formation professionnelle, en fonction des besoins des Direccte. La réorganisation a aussi accouché d’un nouveau métier, celui de chargé de mission d’animation territoriale. « Nos collègues doivent être en mesure d’accompagner les acteurs de la négociation collective. Le métier est en train d’évoluer », explique le directeur. Pas sûr que cette évolution déclenche l’adhésion des jeunes inspecteurs, toujours soucieux d’agir pour la protection des salariés.

“Celui qui contrôle ne doit pas être celui qui sanctionne”

DENYS ROBILIARD

Député PS, auteur de la proposition de loi sur les pouvoirs de l’Inspection du travail.

Les inspecteurs du travail craignent pour leur indépendance. Ont-ils raison ?

Si le gouvernement voulait les affaiblir, pourquoi renforcerait-il leurs pouvoirs ? Il nous a semblé nécessaire de réaffirmer le principe d’indépendance des agents dans l’exercice de leur mission et surtout de l’inscrire dans le Code du travail. Jusqu’ici, seule une convention de l’OIT la garantissait. Le texte dote ce corps de fonctionnaires d’un statut plus intéressant. L’outrage à inspecteur du travail était sanctionné par une amende de 3 750 euros. Le texte propose de la faire passer à 37 500 euros. C’est autrement dissuasif. Parallèlement, la proposition instaure un nouveau dispositif de sanctions administratives, crée une transaction pénale pour certaines infractions au Code du travail et permet de sanctionner par ordonnance pénale.

La responsabilité de prononcer la sanction est confiée au Direccte. Pourquoi ?

Celui qui contrôle ne doit pas être celui qui sanctionne. Je tiens beaucoup à ce principe. C’est sans doute ce qui ne convient pas à certains syndicats qui réclament des carnets à souche pour verbaliser les entreprises ! Et, pour préserver l’indépendance des inspecteurs du travail, ils pourront adresser leur rapport d’infraction au procureur de la République ou au Direccte. Est-il anormal de disposer d’une politique nationale de sanctions ? Selon moi, ça n’est pas invraisemblable.

Les organisations patronales dénoncent un texte écrit contre les employeurs.

En France, 2 200 inspecteurs du travail contrôlent 1,8 million d’entreprises. La disproportion des forces est réelle. L’intention politique n’est pas de multiplier les sanctions à l’encontre des employeurs mais de donner des pouvoirs supérieurs aux agents pour que, derrière leurs visites de contrôle, il se passe quelque chose dans l’entreprise. Doit-on attendre qu’un accident arrive pour exercer une pression sur l’employeur ?

D’autant que certaines infractions en matière d’hygiène et de sécurité sont lourdement sanctionnées sur le plan pénal. Instaurer des règles communes à tous, c’est dans l’intérêt des salariés mais aussi des entreprises. Les respecter a un coût pour ces dernières. Au nom de quoi ne devrait-on pas sanctionner celles qui s’en dédouanent ?

Propos recueillis par Anne-Cécile Geoffroy

QUI SONT LES ÉLÈVES ?

IET

Les inspecteurs élèves sont lauréats d’un concours qui permet chaque année le recrutement de nouveaux inspecteurs du travail. Ils suivent une formation de quinze mois en tronc commun et de trois mois complémentaires après leur titularisation.

ITS

Les inspecteurs du travail stagiaires ont réussi un examen professionnel qui permet à des contrôleurs du travail d’accéder aux fonctions d’inspecteur du travail. Ils suivent une formation de six mois.

Source : ministère du Travail.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy